La stabilité du système financier mondial repose sur un équilibre fragile. L’interconnexion extrême entre les banques, les entreprises d’investissement et les infrastructures de marché signifie que la défaillance d’un seul acteur peut potentiellement déclencher une réaction en chaîne dévastatrice. Pour prévenir ce risque, qualifié de systémique, le législateur a mis en place des mécanismes juridiques dérogatoires, conçus pour isoler et contenir les crises. Ces dispositifs, souvent techniques, créent un régime d’exception qui protège les opérations financières vitales des aléas d’une procédure collective classique. Cet article décrypte ces « pare-feux » légaux, qui s’inscrivent dans le cadre global de la gestion des difficultés des entreprises réglementées, et explique comment ils assurent la continuité des flux financiers, même en temps de crise.
La vulnérabilité du système financier au risque systémique
L’architecture financière moderne, bien que performante, est intrinsèquement exposée à un risque de contagion rapide. La défaillance d’un établissement financier majeur ne se limite pas à ses propres pertes ; elle impacte immédiatement ses contreparties, qui à leur tour peuvent se trouver en difficulté, propageant le choc à l’ensemble du système.
Comprendre le risque systémique
Le risque systémique désigne le péril qu’un événement particulier, comme la faillite d’une grande banque, provoque par effet domino une cascade de défaillances à travers tout le secteur financier, paralysant l’économie réelle. L’exemple de Lehman Brothers en 2008 a illustré de manière spectaculaire comment les liens étroits entre les institutions financières peuvent transformer une difficulté isolée en une crise mondiale. Les créances et les dettes croisées, les garanties échangées et les expositions communes agissent comme des courroies de transmission du risque. Pour contrer ce péril, les régulateurs ont développé des stratégies préventives, notamment les stratégies de résolution et de rétablissement des établissements financiers, visant à gérer la faillite d’une entité systémique sans contaminer l’ensemble du marché.
L’importance des marchés financiers et des systèmes de paiement
Les marchés financiers et les systèmes de paiement forment l’infrastructure vitale de l’économie. Les marchés permettent aux entreprises de se financer et aux investisseurs de placer leur épargne. Les systèmes de paiement, quant à eux, assurent la circulation de l’argent entre les agents économiques, des salaires des employés aux règlements entre fournisseurs. Toute perturbation de ces circuits aurait des conséquences immédiates et graves : gel du crédit, impossibilité de réaliser des paiements, perte de confiance généralisée. C’est pour préserver ces fonctions essentielles que la loi accorde à ces systèmes une protection juridique hors du commun, leur permettant de continuer à fonctionner même lorsqu’un de leurs membres est en procédure collective. Parallèlement à ces dispositifs de sécurisation des marchés, il est essentiel de comprendre comment les clients des banques et assureurs sont protégés en cas de défaillance financière.
Les mécanismes de protection des marchés financiers
Pour garantir la stabilité des marchés, le droit a érigé un véritable bouclier juridique autour des opérations sur instruments financiers. Ce régime spécial permet de finaliser les transactions et de réaliser les garanties associées, en neutralisant les règles du droit commun des procédures collectives qui pourraient en paralyser le dénouement.
Les obligations financières et le close-out netting
Le Code monétaire et financier définit un périmètre d’opérations et d’acteurs bénéficiant d’une protection renforcée. Il s’agit principalement des opérations sur instruments financiers, des opérations de change ou sur métaux précieux, lorsque l’une des parties est un professionnel du secteur financier (banque, entreprise d’investissement, chambre de compensation, etc.). Pour ces opérations, la loi valide les clauses dites de « close-out netting » ou de résiliation-compensation. Concrètement, si une partie à un contrat-cadre fait l’objet d’une procédure collective, l’autre partie a le droit de résilier immédiatement l’ensemble des opérations en cours. Plutôt que de gérer une multitude de créances et de dettes individuelles, les parties calculent un solde net unique. Comme le prévoit l’article L. 211-36-1 du Code monétaire et financier, cette compensation est opposable aux tiers, y compris au liquidateur judiciaire, et ce, même si les créances ne sont pas connexes, dérogeant ainsi frontalement au droit de la faillite.
Les contrats de garantie financière
Pour sécuriser ces obligations financières, les parties échangent des garanties, aussi appelées « collatéral ». L’article L. 211-38 du Code monétaire et financier organise un régime très protecteur pour ces contrats de garantie financière. Ces garanties peuvent prendre la forme soit d’un nantissement de titres ou de sommes d’argent, soit d’un transfert de pleine propriété à titre de garantie (similaire à une fiducie-sûreté). L’efficacité de ces sûretés est redoutable. En cas de défaillance du constituant de la garantie, le bénéficiaire peut réaliser la garantie (vendre les titres, s’approprier les sommes) sans attendre et sans passer par les procédures classiques de réalisation de gage. Cette faculté de réalisation est maintenue même si le constituant entre en procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. Le bénéficiaire de la garantie échappe ainsi à la suspension des poursuites et à l’interdiction des paiements qui s’imposent à tous les autres créanciers.
La sécurité des systèmes de règlements interbancaires et de règlements-livraisons
Au-delà des opérations de marché, la protection s’étend au cœur du réacteur financier : les systèmes qui permettent de transférer l’argent et les titres entre les banques. Ces infrastructures, comme le système TARGET2 pour les paiements en euros ou Euroclear pour le règlement-livraison de titres, bénéficient de règles spécifiques pour garantir l’intégrité des flux.
Le caractère définitif du règlement
La pierre angulaire de la sécurité de ces systèmes est le principe de finalité du règlement, issu de la directive européenne 98/26/CE et transposé à l’article L. 330-1 du Code monétaire et financier. Ce principe est simple mais puissant : une fois qu’un ordre de paiement ou de livraison de titres est accepté par le système et devient irrévocable selon les règles de ce dernier, il est définitif et opposable à tous. Il ne peut être annulé, même si l’établissement qui a émis l’ordre est placé en liquidation judiciaire une minute après. Cette règle, dite de « finalité », a pour but d’empêcher un effet « retour en arrière » qui sèmerait le chaos dans les chaînes de paiement. Elle constitue une exception majeure au principe de nullité des paiements effectués pendant la période suspecte, protégeant ainsi la validité des opérations traitées par le système avant l’annonce officielle de la défaillance.
Les garanties dans les systèmes de paiement
Pour sécuriser leurs opérations, les participants à un système de règlement doivent fournir des garanties au gestionnaire de ce système. Conformément à l’article L. 330-2 du Code monétaire et financier, ces garanties (souvent des titres ou des liquidités) sont affectées à la couverture des obligations au sein du système. Tout comme les garanties financières sur les marchés, ces actifs sont sanctuarisés. En cas de défaillance d’un participant, le gestionnaire du système peut utiliser ces garanties pour honorer les engagements du membre défaillant et assurer le bon dénouement de la journée de compensation. Aucun autre créancier, même privilégié, ne peut faire valoir un droit sur ces garanties. Elles sont exclusivement dédiées à la sécurité du système, formant un pot commun étanche aux procédures collectives individuelles.
Dérogations au droit commun des procédures collectives
L’ensemble de ces mécanismes forme un corps de règles spéciales qui déroge à plusieurs principes fondamentaux du droit des entreprises en difficulté, tel qu’organisé par le Livre VI du Code de commerce. L’objectif est de créer une sphère étanche pour les opérations financières afin d’empêcher la contagion. Ces spécificités des procédures collectives judiciaires applicables aux entreprises réglementées en droit français ont pour principale conséquence la mise à l’écart de l’universalité de la procédure collective, qui voudrait que tous les actifs du débiteur soient appréhendés et que tous ses créanciers soient traités de manière égale.
Les dérogations les plus significatives sont la neutralisation de la « période suspecte » et de l’interdiction de paiement des créances antérieures. En droit commun, les actes passés entre la date de cessation des paiements et le jugement d’ouverture peuvent être annulés. Les mécanismes de finalité du règlement et d’opposabilité du netting empêchent une telle annulation pour les opérations financières qualifiées. De même, le principe d’interdiction de payer les créances nées avant le jugement d’ouverture est écarté, puisque la réalisation des garanties et la compensation permettent de fait à une contrepartie de se « payer » sur les actifs de son cocontractant défaillant. Ces dérogations soulèvent des questions complexes, notamment lorsque les procédures ont une dimension transfrontalière, un aspect central dans la gestion des difficultés des entreprises réglementées au sein de l’UE.
La robustesse de ces dispositifs de sécurisation est essentielle, mais leur mise en œuvre et leur articulation avec le droit des procédures collectives requièrent une analyse fine et une expertise technique. Pour un conseil juridique expert sur la mise en œuvre de garanties financières, la sécurisation de vos opérations sur les marchés et systèmes de paiement, et la protection de vos intérêts face au risque systémique et aux particularités des procédures collectives, contactez notre cabinet.
Sources
- Code monétaire et financier
- Code de commerce