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Le sort des contrats en cours durant la période d’observation

Table des matières

L’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire place l’entreprise dans une situation délicate, marquée par la nécessité de poursuivre son activité tout en faisant face à ses difficultés financières. La période d’observation, véritable phase de diagnostic et de restructuration, soulève une question fondamentale pour la survie de l’entreprise : quel est le sort des contrats essentiels à son fonctionnement ? Fournisseurs, bailleurs, clients, salariés… les relations contractuelles sont au cœur de l’activité économique. Le droit des entreprises en difficulté instaure un régime spécifique, dérogatoire au droit commun des contrats, visant à préserver les chances de redressement en permettant le maintien des flux contractuels nécessaires. Comprendre ce régime est indispensable tant pour le débiteur que pour ses partenaires commerciaux.

Le principe : la continuation des contrats en cours exigée par l’administrateur

L’objectif premier de la période d’observation étant de permettre la poursuite de l’activité, le législateur a posé un principe de continuation des contrats en cours. Ce mécanisme, encadré par l’article L.622-13 du Code de commerce, déroge aux règles habituelles qui pourraient permettre à un cocontractant de suspendre ou de rompre un contrat en cas de défaillance de son partenaire.

Quels contrats sont concernés ?

La notion de « contrat en cours » est déterminante. Il s’agit des contrats conclus avant le jugement d’ouverture de la procédure collective et dont l’exécution n’est pas achevée à cette date. Cela vise typiquement les contrats à exécution successive (bail, fourniture, maintenance, licence, travail…) mais aussi les contrats à exécution instantanée dont toutes les prestations n’ont pas encore été fournies par les deux parties au jour du jugement. Par exemple, une vente dont le prix n’a pas été payé et la chose pas encore livrée est un contrat en cours. En revanche, si l’une des parties a totalement exécuté son obligation principale avant le jugement (livraison effectuée mais prix non payé), le contrat n’est plus considéré comme « en cours » au sens de ce régime ; la créance du cocontractant relèvera alors du passif antérieur soumis à déclaration.  

Le pouvoir exclusif de l’administrateur (ou du débiteur) d’exiger la continuation

La décision de poursuivre ou non un contrat en cours n’appartient pas au cocontractant de l’entreprise en difficulté. C’est une prérogative exclusive de l’administrateur judiciaire, lorsqu’il en a été désigné un, ou du débiteur lui-même avec l’assistance du mandataire judiciaire en l’absence d’administrateur (cas fréquent en sauvegarde ou dans les plus petites structures). Le pouvoir de l’administrateur est donc central dans ce dispositif. Il exercera cette option en fonction des besoins de l’entreprise et des perspectives de redressement. L’objectif est de ne maintenir que les contrats jugés utiles ou indispensables à la poursuite de l’activité pendant la période d’observation et, potentiellement, dans le cadre d’un futur plan de sauvegarde ou de redressement. Les contrats superflus ou trop coûteux pourront ainsi être écartés.

L’obligation pour le cocontractant de remplir ses engagements malgré le défaut de paiement antérieur

C’est l’un des aspects les plus dérogatoires du régime : le cocontractant dont le contrat est poursuivi doit remplir ses obligations contractuelles (livrer les marchandises, fournir le service, laisser la jouissance des locaux…) même si l’entreprise en difficulté n’a pas honoré des paiements dus avant le jugement d’ouverture. Ces impayés antérieurs constituent une créance que le cocontractant devra déclarer au passif de la procédure (voir notre article sur la déclaration de créance). Le cocontractant ne peut donc pas invoquer l’exception d’inexécution pour des sommes dues avant le jugement pour refuser de poursuivre le contrat si l’administrateur (ou le débiteur) en exige la continuation. Cette règle vise à éviter que l’entreprise ne soit paralysée par le refus de ses partenaires de continuer à travailler avec elle du fait de dettes anciennes.  

Les conditions de la continuation des contrats

La continuation d’un contrat en cours n’est cependant pas sans contreparties pour l’entreprise en difficulté. Elle est subordonnée au respect de conditions strictes visant à protéger les intérêts du cocontractant pour la période postérieure au jugement d’ouverture.

Fourniture de la prestation promise au débiteur

Cette condition relève de l’évidence : si l’administrateur exige la continuation du contrat, c’est bien pour que l’entreprise bénéficie de la prestation prévue. Le cocontractant doit donc fournir la prestation convenue (marchandises, services, mise à disposition d’un bien…) conformément aux termes du contrat, pour toute la période postérieure au jugement d’ouverture. Comme vu précédemment, il ne peut s’y soustraire au motif d’impayés antérieurs au jugement.

Paiement des échéances postérieures au jugement d’ouverture

C’est la contrepartie essentielle exigée de l’entreprise en difficulté. Si elle bénéficie de la continuation du contrat, elle doit impérativement payer les échéances dues pour la période postérieure au jugement d’ouverture, selon les modalités prévues au contrat. Ces paiements sont considérés comme des créances « utiles » à la procédure et bénéficient d’un régime de faveur : elles doivent en principe être payées à leur échéance. Le non-respect de cette obligation emporte des conséquences graves, pouvant mener à la résiliation du contrat. Il est donc vital pour l’entreprise de s’assurer qu’elle dispose de la trésorerie suffisante pour honorer ces paiements si elle souhaite conserver le bénéfice des contrats essentiels.  

Le contrôle du juge-commissaire

Le juge-commissaire, organe clé de la procédure collective, veille au bon déroulement des opérations et à la protection des intérêts en présence. Bien que l’option de continuer les contrats appartienne à l’administrateur (ou au débiteur), le juge-commissaire peut être saisi en cas de contestation ou de difficulté. Il peut par exemple autoriser l’administrateur à payer des créances antérieures pour obtenir la levée d’une clause de réserve de propriété ou d’un droit de rétention d’un cocontractant, si cela est indispensable à la poursuite de l’activité. Son intervention assure un équilibre entre les besoins de l’entreprise et les droits des créanciers.

La résiliation des contrats en cours

Si le principe est la continuation, le régime prévoit également plusieurs mécanismes de résiliation des contrats en cours, soit à l’initiative des organes de la procédure, soit de manière automatique en cas de défaillance de l’entreprise.

La résiliation à l’initiative de l’administrateur (ou débiteur)

L’administrateur (ou le débiteur autorisé) qui estime qu’un contrat n’est plus utile à la poursuite de l’activité ou qu’il pèse trop lourdement sur les finances de l’entreprise peut décider de ne pas le poursuivre. Cette décision de ne pas opter pour la continuation, ou même de résilier un contrat initialement poursuivi, doit être notifiée au cocontractant. Cette résiliation ouvre droit, pour le cocontractant, à des dommages et intérêts dont le montant devra être déclaré au passif. L’indemnité est réputée couvrir le préjudice subi du fait de la résiliation anticipée. Le choix de résilier est stratégique et doit être mûrement réfléchi dans le cadre de la restructuration globale de l’entreprise.  

La résiliation de plein droit faute de paiement des échéances postérieures

C’est la sanction du non-respect par l’entreprise de son obligation fondamentale : payer les prestations fournies après le jugement d’ouverture. Si l’entreprise ne paie pas une échéance due en contrepartie d’une prestation fournie après le jugement, le contrat est résilié de plein droit. Le cocontractant constate simplement cette résiliation, sans avoir besoin de saisir un juge. Cette règle protectrice pour le cocontractant souligne l’importance pour l’entreprise en difficulté de disposer d’une trésorerie suffisante pour assumer les charges courantes liées aux contrats poursuivis. Une mauvaise gestion de la trésorerie pendant la période d’observation peut ainsi entraîner la perte de contrats vitaux.  

L’impossibilité pour le cocontractant de se prévaloir de l’ouverture de la procédure pour résilier

Le Code de commerce est très clair sur ce point : toute clause contractuelle prévoyant la résiliation d’un contrat du seul fait de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire à l’encontre de l’une des parties est réputée non écrite (article L.622-13, I). De même, le cocontractant ne peut pas invoquer le non-paiement de sommes dues avant le jugement d’ouverture pour justifier une résiliation ou refuser d’exécuter ses obligations. L’objectif est d’empêcher que l’ouverture de la procédure ne provoque une rupture en chaîne des relations contractuelles, ce qui anéantirait les chances de redressement. Le sort du contrat dépend uniquement de la décision de l’administrateur (ou du débiteur) et du respect par l’entreprise de ses obligations postérieures au jugement.

Le cas spécifique du défaut de réponse de l’administrateur après mise en demeure

Face à l’incertitude sur le sort d’un contrat, le cocontractant dispose d’un moyen pour obtenir une clarification. Il peut adresser une mise en demeure à l’administrateur judiciaire (ou au débiteur si pas d’administrateur) de prendre parti sur la continuation du contrat. Si l’administrateur ne répond pas dans un délai d’un mois (sauf si le juge-commissaire accorde un délai supplémentaire, qui ne peut excéder deux mois), le contrat est résilié de plein droit. Ce mécanisme permet au cocontractant de ne pas rester indéfiniment dans l’attente et de connaître rapidement le sort de sa relation contractuelle avec l’entreprise en difficulté.  

Cas particuliers de contrats

Certains contrats obéissent à des règles spécifiques ou soulèvent des questions particulières pendant la période d’observation.

Le sort du contrat de bail commercial

La situation spécifique du bailleur commercial en procédure collective mérite une attention particulière. Le bail des locaux d’exploitation est souvent un contrat essentiel. Le régime général de la continuation s’applique. L’administrateur peut exiger sa poursuite, à condition que les loyers et charges postérieurs au jugement soient payés. S’il décide de le résilier, cette résiliation prend effet au jour de la demande de résiliation formulée par l’administrateur. Le bailleur ne peut invoquer le non-paiement de loyers antérieurs au jugement pour obtenir la résiliation. En cas de non-paiement des loyers postérieurs, le bailleur peut demander la résiliation ou la faire constater. La gestion du bail est un point critique qui nécessite souvent un conseil juridique adapté.

Les contrats de travail

Les contrats de travail sont des contrats en cours par nature. Ils se poursuivent automatiquement après le jugement d’ouverture, sans que l’administrateur ait à exercer une option formelle. Toutefois, des licenciements pour motif économique peuvent intervenir pendant la période d’observation, mais selon une procédure spécifique et sous le contrôle du juge-commissaire (article L.622-17). Ce régime est complexe et fera l’objet d’un développement dédié.

Les contrats de prêt et les découverts bancaires

Les contrats de prêt (amortissable) posent question. Si le prêt a été intégralement débloqué avant le jugement, il n’est généralement plus considéré comme un contrat en cours susceptible de continuation forcée. La banque devra déclarer sa créance pour le capital restant dû. Les échéances postérieures ne sont plus exigibles immédiatement du fait de l’arrêt des poursuites individuelles. Pour les ouvertures de crédit ou découverts confirmés avant le jugement, la situation est débattue, mais la tendance est de considérer que la banque ne peut être contrainte de maintenir son concours si elle n’y trouve plus son intérêt, sous réserve de ne pas commettre une rupture abusive.

Les contrats intuitu personae

Ces contrats, conclus en considération de la personne même du cocontractant (mandat, contrat d’artiste, etc.), posent une difficulté théorique. Peut-on forcer la continuation d’un contrat où la confiance ou les qualités personnelles sont déterminantes ? La loi ne prévoit pas d’exception explicite. Cependant, l’administrateur devra tenir compte de cette nature particulière. Si la continuation s’avère impossible ou inopportune en raison de cet intuitu personae, la résiliation sera sans doute privilégiée, potentiellement sans indemnité si la rupture est justifiée par la disparition de l’élément personnel essentiel.

Les conséquences de la continuation ou de la résiliation

La décision de poursuivre ou de résilier un contrat emporte des conséquences significatives pour toutes les parties impliquées.

Pour le débiteur et la procédure

La continuation des contrats essentiels permet à l’entreprise de maintenir son outil de production, ses approvisionnements, ses locaux et ses marchés, condition sine qua non pour envisager un plan de redressement. Elle génère cependant des charges nouvelles (les paiements postérieurs au jugement) qui doivent être assumées par la trésorerie de l’entreprise. La résiliation, si elle allège les charges, peut priver l’entreprise de moyens nécessaires à son activité ou entraîner le paiement d’indemnités qui viendront alourdir le passif. La stratégie adoptée vis-à-vis des contrats en cours est donc un élément déterminant de l’issue de la procédure, qu’il s’agisse d’une sauvegarde, d’un redressement ou même d’une cession. La période d’observation et ses enjeux sont détaillés dans notre guide complet.

Pour le cocontractant (déclaration de créance, indemnités…)

Si le contrat est poursuivi, le cocontractant est assuré d’être payé pour les prestations fournies après le jugement (sauf défaillance de l’entreprise menant à la résiliation de plein droit). Pour les sommes dues avant le jugement, il devient créancier dans la procédure et doit impérativement déclarer sa créance pour espérer être payé dans le cadre du plan ou de la liquidation. En cas de résiliation du contrat à l’initiative de l’administrateur (ou du débiteur, ou suite à une mise en demeure restée sans réponse), le cocontractant a droit à des dommages et intérêts. Le montant de cette indemnité doit également faire l’objet d’une déclaration de créance. La résiliation de plein droit pour défaut de paiement des échéances postérieures n’ouvre, en principe, pas droit à indemnité pour le cocontractant, mais il devra déclarer sa créance pour les prestations fournies et impayées après le jugement.

La gestion des contrats en cours est un enjeu majeur et complexe durant la période d’observation. Elle nécessite une analyse fine de la situation de l’entreprise et des implications juridiques et financières de chaque décision. Pour sécuriser vos relations contractuelles, que vous soyez le débiteur ou le cocontractant, le recours à un avocat expert en procédures collectives est souvent indispensable. Notre cabinet vous offre une expertise juridique approfondie sur la gestion des contrats en cours en période d’observation. Contactez-nous pour discuter de votre situation.

Sources

  • Code de commerce, notamment les articles L.622-13, L.622-17, L.641-11-1 (régime similaire en liquidation judiciaire avec maintien provisoire d’activité).

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