L’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire marque le début d’une phase délicate : la période d’observation. Durant cette étape, l’objectif principal est de déterminer si l’entreprise dispose des capacités nécessaires pour se redresser tout en maintenant son activité. La gestion quotidienne de l’entreprise se poursuit, mais dans un cadre juridique strict où les pouvoirs sont répartis entre le dirigeant et les organes de la procédure, notamment l’administrateur judiciaire lorsqu’il est désigné. Comprendre cette répartition des rôles et des pouvoirs est fondamental pour naviguer cette période complexe et préserver au mieux les intérêts de l’entreprise.
La situation du chef d’entreprise : droits et restrictions
Contrairement à une idée reçue, l’ouverture d’une procédure collective ne signifie pas systématiquement la mise à l’écart du dirigeant. Sa position et ses prérogatives varient cependant en fonction de la nature de la procédure et des décisions du tribunal.
Maintien en fonction : principe en sauvegarde et redressement
En procédure de sauvegarde, le principe est clair : le débiteur, c’est-à-dire le chef d’entreprise ou l’équipe dirigeante, conserve la direction de son entreprise. La sauvegarde est conçue comme une procédure volontaire, initiée par un dirigeant qui anticipe les difficultés. Il n’y a donc pas de raison fondamentale de le dessaisir de ses fonctions de gestion.
En redressement judiciaire, la situation est similaire : le dirigeant reste en principe aux commandes. Toutefois, la loi prévoit la possibilité pour le tribunal de nommer un administrateur judiciaire avec une mission plus étendue pouvant aller jusqu’à la représentation totale ou partielle du dirigeant pour certains actes de gestion. Le maintien en fonction n’est donc pas absolu et dépendra des circonstances et de la mission confiée à l’administrateur. Pour une vue d’ensemble de cette phase, vous pouvez consulter notre guide période d’observation.
Actes de gestion courante vs actes de disposition
Pendant la période d’observation, le pouvoir du dirigeant est encadré. La distinction essentielle repose sur la nature des actes envisagés. Les actes de gestion courante sont ceux nécessaires à la poursuite normale et habituelle de l’activité : acheter des matières premières, payer les salaires, régler les fournisseurs courants, facturer les clients, etc. Le dirigeant peut, en principe, accomplir seul ces actes, sauf si un administrateur a été désigné avec une mission d’assistance ou de représentation.
En revanche, les actes de disposition sont ceux qui engagent le patrimoine de l’entreprise de manière plus significative et qui sortent du cadre de l’exploitation ordinaire. Il peut s’agir de vendre un immeuble, céder une branche d’activité, consentir une hypothèque, ou encore transiger sur un litige important. Ces actes sont soumis à un contrôle plus strict. Ils nécessitent généralement l’autorisation du juge-commissaire, et parfois l’accord ou l’intervention de l’administrateur judiciaire si celui-ci a une mission d’assistance ou de représentation. La qualification d’un acte (gestion courante ou disposition) peut parfois être délicate et source de contentieux, justifiant l’assistance avocat procédure collective.
Rémunération du dirigeant
La question de la rémunération du dirigeant pendant la période d’observation est souvent sensible. Elle est fixée par le juge-commissaire, après avis du mandataire judiciaire (et de l’administrateur s’il y en a un). Le juge tiendra compte de la situation de l’entreprise, des responsabilités exercées et des pratiques habituelles. L’objectif est de trouver un équilibre entre la nécessité de rémunérer le travail du dirigeant, qui continue souvent à œuvrer pour le redressement, et la préservation des fonds disponibles pour les créanciers.
Mesures spécifiques possibles à l’encontre des dirigeants
Dans certaines situations, notamment en cas de faute de gestion avérée ayant contribué aux difficultés, ou si le dirigeant entrave le bon déroulement de la procédure, des mesures plus sévères peuvent être prises. Le tribunal peut, sur demande de l’administrateur, du mandataire judiciaire ou du ministère public, prononcer des sanctions personnelles : interdiction de gérer, faillite personnelle, ou encore l’obligation de combler une partie du passif (action en comblement de passif). Ces mesures restent exceptionnelles pendant la période d’observation elle-même mais soulignent l’importance d’une gestion rigoureuse et transparente.
L’intervention de l’administrateur judiciaire : désignation et missions
L’administrateur judiciaire n’est pas systématiquement présent dans toutes les procédures. Sa désignation et l’étendue de ses pouvoirs sont déterminées par la loi et le jugement d’ouverture. Pour une meilleure compréhension de l’ensemble des acteurs clés des procédures collectives, il est essentiel de maîtriser leurs missions respectives.
Cas de désignation obligatoire ou facultative
La désignation d’un administrateur judiciaire est obligatoire en redressement judiciaire lorsque l’entreprise dépasse certains seuils (fixés par décret, généralement liés au chiffre d’affaires et au nombre de salariés). Elle est également obligatoire en sauvegarde si l’entreprise atteint ces mêmes seuils.
En dessous de ces seuils, la désignation est facultative. Le tribunal peut décider de nommer un administrateur s’il l’estime utile, notamment en fonction de la complexité du dossier ou si le débiteur en fait la demande. En sauvegarde accélérée, la désignation est systématique. L’avocat pour dirigeant peut jouer un rôle important dans les discussions relatives à cette désignation.
La mission de surveillance : contenu et limites
Lorsque l’administrateur est désigné avec une mission de surveillance (principalement en sauvegarde), son rôle est d’observer la gestion effectuée par le dirigeant, sans s’y immiscer directement. Il s’assure que le dirigeant accomplit les actes nécessaires à la conservation des droits de l’entreprise et informe le juge-commissaire et le ministère public de tout acte ou manquement qui pourrait compromettre l’avenir de l’entreprise. Le dirigeant conserve l’essentiel de ses pouvoirs de gestion quotidienne.
La mission d’assistance : collaboration avec le débiteur
La mission d’assistance est plus intrusive. L’administrateur assiste le débiteur pour tous les actes de gestion ou certains d’entre eux, selon ce que le tribunal a précisé. Concrètement, les actes concernés ne peuvent être valablement accomplis qu’avec la double signature du dirigeant et de l’administrateur. Cette mission instaure une co-gestion visant à sécuriser les décisions importantes tout en laissant une marge d’initiative au dirigeant.
La mission de représentation : quand l’administrateur agit seul
C’est la mission la plus étendue. L’administrateur judiciaire assure seul, au nom et pour le compte du débiteur, l’ensemble des actes de gestion ou certains d’entre eux spécifiquement désignés par le tribunal. Le dirigeant est alors dessaisi des pouvoirs correspondants. Cette mission est généralement réservée aux situations où la gestion du dirigeant est jugée défaillante ou lorsque sa présence est devenue préjudiciable à l’entreprise.
Focus sur les actes étrangers à la gestion courante
Quelle que soit la mission confiée (surveillance, assistance ou représentation), l’administrateur joue un rôle clé concernant les actes qui ne relèvent pas de la gestion courante. Il s’agit notamment des actes de disposition (ventes d’actifs importants, hypothèques…) mais aussi de décisions stratégiques comme la continuation des contrats en cours. Pour ces actes, l’administrateur prépare souvent le dossier, recueille l’avis du dirigeant (sauf en cas de représentation totale) et sollicite l’autorisation nécessaire du juge-commissaire.
L’articulation des pouvoirs entre le débiteur et l’administrateur
La coexistence du dirigeant et de l’administrateur judiciaire (quand il est nommé) nécessite une définition claire des prérogatives de chacun pour assurer une gestion efficace durant la période d’observation.
Le principe : le débiteur continue d’assurer la gestion
Sauf exception expresse prévue par le jugement d’ouverture (mission de représentation confiée à l’administrateur), le chef d’entreprise conserve la responsabilité de la gestion quotidienne et des actes nécessaires à la poursuite de l’activité. C’est lui qui connaît le mieux son entreprise, ses clients, ses fournisseurs et ses salariés.
L’impact de la mission confiée à l’administrateur (surveillance, assistance, représentation)
L’étendue réelle des pouvoirs du dirigeant est directement modulée par la mission fixée à l’administrateur par le tribunal:
- Surveillance : Le dirigeant agit seul pour la gestion courante, l’administrateur contrôle a posteriori.
- Assistance : Le dirigeant partage le pouvoir de décision et de signature avec l’administrateur pour les actes visés par la mission.
- Représentation : Le dirigeant est dessaisi des pouvoirs confiés à l’administrateur, qui agit seul.
Il est essentiel pour le dirigeant de bien comprendre la portée exacte de la mission de l’administrateur pour savoir quels actes il peut accomplir seul et lesquels nécessitent une co-signature ou sont entièrement délégués.
La nécessité d’autorisations pour certains actes (juge-commissaire)
Au-delà de la répartition des pouvoirs entre dirigeant et administrateur, certains actes particulièrement importants nécessitent une autorisation préalable du juge-commissaire. Il s’agit principalement :
- Des actes de disposition étrangers à la gestion courante (vente d’immobilisations, nantissements, etc.).
- Du paiement de créances antérieures au jugement d’ouverture pour retirer un gage ou une rétention.
- De la conclusion d’une transaction ou d’un acquiescement à une demande en justice.
- De la décision sur les contrats en cours (poursuite ou résiliation).
L’administrateur (s’il existe) ou le débiteur (assisté ou seul selon la mission) doit présenter une requête motivée au juge-commissaire pour obtenir cette autorisation. Agir sans autorisation requise expose l’acte à la nullité et peut engager la responsabilité de son auteur.
Le respect des obligations légales et réglementaires par le chef d’entreprise
Même en période d’observation, le chef d’entreprise reste tenu de respecter l’ensemble des obligations légales et réglementaires qui incombent normalement à tout dirigeant. L’ouverture de la procédure ne constitue pas une parenthèse où ces règles seraient suspendues.
Obligations comptables et fiscales
Le dirigeant doit veiller à la tenue régulière de la comptabilité de l’entreprise. Cette comptabilité est essentielle pour suivre l’évolution de l’activité pendant la période d’observation et pour élaborer un éventuel plan de sauvegarde ou de redressement. Il doit également établir les comptes annuels si l’exercice social se clôture pendant cette période.
Sur le plan fiscal, toutes les déclarations (TVA, impôts sur les sociétés, autres taxes) doivent être effectuées aux dates prévues et les impôts correspondants, nés de l’activité poursuivie après le jugement d’ouverture, doivent être payés à échéance. Le non-respect de ces obligations peut entraîner des sanctions et compliquer l’issue de la procédure.
Obligations sociales
Le dirigeant conserve ses responsabilités d’employeur. Il doit continuer à établir les bulletins de paie, à payer les salaires dus pour la période postérieure au jugement d’ouverture, et à effectuer les déclarations sociales correspondantes. Les cotisations sociales liées à l’activité poursuivie doivent également être réglées. La gestion des relations avec les représentants du personnel se poursuit normalement. Toute décision impactant les salariés (licenciement économique envisagé dans le cadre d’un plan futur, par exemple) doit suivre les procédures légales spécifiques, souvent en concertation avec l’administrateur et après autorisation du juge-commissaire le cas échéant.
Le rôle du mandataire judiciaire dans la gestion ?
Il est important de ne pas confondre l’administrateur judiciaire et le mandataire judiciaire, dont les rôles sont distincts et complémentaires.
Distinction fondamentale avec l’administrateur
Alors que l’administrateur judiciaire (quand il est désigné) a pour mission principale d’assister, surveiller ou représenter le débiteur dans la gestion de l’entreprise et l’élaboration d’une solution de redressement, le mandataire judiciaire a une fonction différente.
Focus sur la défense de l’intérêt collectif des créanciers
Le mandataire judiciaire représente l’intérêt collectif des créanciers. Sa mission principale est de vérifier le passif de l’entreprise, c’est-à-dire de recevoir les déclarations de créances, de les vérifier en collaboration avec le débiteur (et l’administrateur), et de défendre les intérêts des créanciers tout au long de la procédure. Il n’intervient pas directement dans la gestion quotidienne de l’entreprise, sauf pour donner son avis sur certains actes (comme la rémunération du dirigeant) ou pour agir en justice au nom des créanciers si nécessaire. Son rôle est central dans la vérification des créances.
Naviguer la gestion quotidienne en période d’observation requiert une compréhension fine des pouvoirs de chacun. Notre cabinet peut vous éclairer sur vos droits et obligations.
Sources
- Code de commerce, notamment les articles L622-1 à L622-34 (Sauvegarde) et L631-1 à L631-22 (Redressement judiciaire) relatifs à la période d’observation.
- Code de commerce, articles R622-1 et suivants, R631-1 et suivants (Dispositions réglementaires).