Le financement de projets internationaux majeurs dépasse souvent les capacités d’un seul établissement bancaire. La mise en place d’un tour de table – ou « pool » bancaire – devient alors indispensable pour répartir les risques et mobiliser des capitaux suffisants.
La nécessité des pools bancaires
Dans un contexte de concurrence internationale sévère, le développement des exportations représente un facteur essentiel de croissance économique. Les opérations d’exportation génèrent un besoin important de financement à des taux favorables, tant à court terme qu’à moyen et long terme.
Les risques inhérents au commerce international – méconnaissance des partenaires étrangers, différences de systèmes juridiques, risques commerciaux et politiques – rendent ces financements particulièrement délicats.
Pour les crédits internationaux d’envergure, comme les crédits acheteurs, la présence de « pools » bancaires s’impose. Cette pratique permet de partager les risques entre plusieurs établissements financiers.
La diversité des tours de table et leur qualification juridique
Les tours de table bancaires se caractérisent par leur grande diversité. Selon l’article de Gautier Bourdeaux publié dans le JurisClasseur Droit bancaire et financier:
« Les banques peuvent, en effet, agir soit de façon ostensible vis-à-vis de l’emprunteur comme dans les crédits en participation ou dans les sous-participations bancaires, soit de façon ostensible, dans les crédits consortiaux. »
La qualification juridique de ces groupements pose problème. La jurisprudence française a parfois identifié des sociétés créées de fait (CA Paris, 4 juillet 1975; T. com. Paris, 12 octobre 1984). Mais cette qualification reste controversée pour les crédits consortiaux, où chaque banque entend consentir un crédit autonome, bien que géré collectivement.
Les tours de table sans solidarité constituent plutôt des contrats « sui generis » créés à l’initiative d’un banquier chef de file.
La création du tour de table et le rôle du chef de file
Le banquier chef de file, choisi par l’exportateur, joue un rôle déterminant:
- Il négocie les clauses de l’ouverture de crédit
- Il sollicite la participation d’autres établissements
- Il réalise généralement les opérations annexes (crédits financiers d’accompagnement, garanties à première demande, « swaps »)
Ce rôle comporte des risques. L’établissement chef de file peut voir sa responsabilité engagée s’il fournit des informations inexactes ou imprécises aux autres banques participantes. Cette responsabilité, de nature délictuelle en droit français, s’exerce dans le cadre des pourparlers précontractuels.
L’affaire « Colotronis » devant les juridictions new-yorkaises a mis en lumière ce type de risque.
Les relations entre banques du pool
En France, les relations entre les différentes banques du tour de table sont régies par la « charte des rapports entre les banques dans les crédits acheteurs à moyen terme » pour les crédits bénéficiant d’une intervention publique. Pour les autres crédits, les conventions ou l’usage prévalent.
La gestion courante du pool est assurée par le banquier chef de file qui:
- Vérifie les conditions préalables à l’utilisation du crédit
- Examine les documents remis par l’acheteur
- Gère les flux financiers (tirages et remboursements)
Pour les décisions importantes, deux approches existent:
- Dans les crédits avec intervention publique, le pouvoir de décision revient au chef de file après information des banques du pool
- Dans les crédits libres, la règle de la majorité prévaut, calculée selon le pourcentage de participation au crédit
Les rapports entre prêteurs et emprunteur
La question de la solidarité entre banques envers l’emprunteur est cruciale:
Pour les établissements co-chefs de file, la charte française des rapports entre les banques dans les crédits acheteurs à moyen terme prévoit une solidarité. Cette solution s’explique par le rôle de la COFACE qui couvre les risques liés au crédit.
En revanche, cette solidarité est écartée dans les crédits acheteurs syndiqués libres. Les banques considèrent ces opérations comme une juxtaposition de crédits bancaires distincts.
Risques juridiques spécifiques et jurisprudence
La jurisprudence française sur les crédits acheteurs reste limitée, notamment en raison des clauses compromissoires qui prévoient généralement un arbitrage à Paris selon le règlement de la Chambre de commerce internationale.
Les juridictions françaises se sont principalement prononcées:
- Sur le recours des sous-traitants contre la banque (Cass. com., 12 mars 1985; Cass. com., 9 décembre 1986)
- Sur l’appel de garanties à première demande (Cass. com., 3 mars 1987)
- Sur des crédits relais complémentaires (Cass. com., 2 novembre 1994)
Un point juridique notable concerne le mécanisme de paiement direct. La Cour de cassation a cassé un arrêt de la cour d’appel de Bordeaux qui considérait que le fournisseur pouvait se prévaloir d’une « stipulation faite à son profit ». Selon la Haute juridiction (Cass. com., 13 février 1996), le banquier étant mandataire de l’emprunteur, on ne peut lui reprocher d’avoir exécuté les ordres de son mandant.
Précautions à prendre lors de la négociation
Pour sécuriser ces opérations complexes, plusieurs précautions s’imposent:
- Documentation juridique robuste: conventions-type, clauses de résolution des litiges, choix de la loi applicable
- Clarification du rôle du chef de file: définir précisément ses pouvoirs et responsabilités
- Mécanismes de prise de décision: préciser les modalités de vote et les seuils de majorité pour les décisions importantes
- Clauses de solidarité ou d’absence de solidarité: expliciter clairement le régime applicable
- Attestations de jurisconsultes: vérifier l’efficacité juridique des obligations au regard des droits étrangers concernés
- Sécurisation des flux financiers: définir précisément les mécanismes de paiement direct
Les établissements financiers impliqués dans ces opérations doivent porter une attention particulière à la rédaction des conventions. L’accompagnement par un avocat spécialisé permet d’anticiper les difficultés potentielles et de structurer efficacement le tour de table bancaire.
Quand plusieurs millions d’euros sont en jeu dans une opération internationale, la qualité de la documentation juridique n’est pas un luxe mais une nécessité.
Sources
- G. Bourdeaux, Fasc. 1050: Crédits à l’exportation. Crédits acheteurs et fournisseurs, JurisClasseur Droit bancaire et financier, 2 septembre 2009
- Cass. com., 13 février 1996, D. 1996, p. 381, note D.-R. Martin
- Cass. com., 22 mai 1991, RD bancaire et bourse 1990, p. 211
- CA Paris, 4 juillet 1975, Gaz. Pal. 1975, 2, p. 727
- J. Bertran de Balanda, À la recherche de la nature juridique des conventions de sous-participation bancaires, JCP E 1996, I, 572
- F. Porté, Les tours de table bancaires, Banque et droit 1995, n° 42, p. 9
- Y. Zein, Les pools bancaires. Aspects juridiques, Economica, 1998