Confier ses marchandises au transport fluvial est souvent perçu comme une option fiable et moins risquée que d’autres modes de transport. La lenteur relative de la navigation, la capacité d’emport importante des bateaux et la moindre exposition aux aléas routiers contribuent à cette image de sécurité. Cependant, le risque zéro n’existe pas. Un incident de navigation, un incendie à bord, un problème lors des manutentions ou même un vol peuvent survenir et endommager ou faire disparaître votre précieuse cargaison. Qui paiera la facture dans ce cas ? La responsabilité du transporteur fluvial est souvent limitée par la loi ou le contrat. Pour une protection complète de la valeur de vos biens, une assurance spécifique, dite assurance « sur facultés », est indispensable.
Cette assurance, souscrite par le propriétaire des marchandises (l’expéditeur, le destinataire, ou toute personne ayant un intérêt économique à leur conservation), couvre les dommages et pertes matériels subis par la cargaison durant son transport par voie d’eau intérieure. Mais attention, toutes les polices ne se valent pas. Les assureurs proposent généralement deux grands niveaux de garantie : une couverture de base pour les « Événements Majeurs » et une protection plus large dite « Tous Risques ». Cet article vous aide à comprendre ces différentes options, leurs garanties, leurs exclusions et la marche à suivre en cas de sinistre, pour que vous puissiez choisir la couverture la mieux adaptée à vos marchandises et à votre activité.
Deux niveaux de garantie pour vos marchandises
Lorsque vous cherchez à assurer des marchandises transportées par voie fluviale, l’assureur vous proposera principalement deux types de contrats, correspondant à deux philosophies de couverture différentes. Il est essentiel de bien saisir la distinction pour choisir en connaissance de cause.
La police « Garantie Événements Majeurs » : une couverture de base
Comme son nom l’indique, cette police offre une protection contre une liste limitative d’événements graves et bien définis. Votre marchandise ne sera indemnisée que si les dommages ou les pertes résultent directement de l’un de ces événements spécifiquement énumérés dans le contrat.
Quels sont ces événements majeurs typiquement couverts ? La liste peut varier légèrement d’un assureur à l’autre, mais on retrouve généralement :
- Les accidents graves affectant le bateau transporteur lui-même : naufrage, chavirement, échouement, abordage, heurt avec un corps fixe ou mobile.
- Les accidents affectant un véhicule terrestre utilisé pour le transport accessoire (pré ou post-acheminement fluvial) : heurt ou collision du véhicule, écrasement, déraillement, renversement, chute, rupture d’essieu ou de châssis…
- L’incendie ou l’explosion, que ce soit sur le bateau ou pendant le transport terrestre accessoire.
- Certains événements naturels ou externes d’une certaine gravité : écroulement de bâtiments, ponts ou tunnels, affaissement soudain de la chaussée, chute d’arbres, rupture de digues ou de barrages, éboulement, avalanche, foudre, inondation, débordement de fleuves, débâcle de glaces, raz-de-marée, cyclone, éruption volcanique, tremblement de terre…
L’avantage de cette police est son coût, généralement plus faible. L’inconvénient majeur est que tout dommage résultant d’une autre cause (vol sans effraction, casse durant une manutention normale, mouille par la pluie sous une bâche défectueuse, contamination par une autre marchandise…) ne sera pas couvert. C’est une garantie contre les « coups durs », mais elle laisse de nombreux risques à découvert.
La police « Tous Risques » : une protection plus étendue
Cette police fonctionne sur le principe inverse : elle couvre en théorie tous les dommages et pertes matériels subis par les marchandises assurées, sauf ceux qui sont explicitement exclus par le contrat. C’est donc une approche beaucoup plus large et protectrice pour le propriétaire de la marchandise.
La garantie « Tous Risques » couvre donc non seulement les événements majeurs listés ci-dessus, mais aussi une multitude d’autres incidents potentiels :
- Le vol (avec cependant des conditions spécifiques).
- La casse, la mouille, la déformation…
- Les pertes de poids ou de quantité.
- Les dommages dus aux opérations de chargement ou de déchargement.
Cependant, « Tous Risques » ne signifie pas « sans aucune exclusion » (voir plus bas). De plus, même pour les risques couverts, des conditions spécifiques peuvent s’appliquer. Par exemple :
- Vol partiel : Le vol d’une partie seulement du contenu d’un colis (par exemple, quelques articles dans un carton) n’est souvent couvert que si des traces d’effraction claires sont constatées sur l’emballage.
- Disparition de colis entiers : La perte d’un ou plusieurs colis complets doit généralement être prouvée par un certificat de non-livraison définitive établi par le transporteur ou par tout autre document irréfutable.
- Manquants sur marchandises en vrac : Pour les marchandises transportées sans emballage (céréales, sable, liquides…), les pertes de quantité (manquants) ne sont souvent couvertes par la police « Tous Risques » que si elles résultent de l’un des événements majeurs listés dans la garantie de base. Les pertes dues à l’évaporation naturelle, aux coulages mineurs ou aux imprécisions de pesage (freinte de route) sont généralement exclues.
Malgré ces nuances, la police « Tous Risques » offre une sécurité bien supérieure à la garantie « Événements Majeurs », mais son coût est logiquement plus élevé.
Au-delà des dommages matériels : les frais couverts
L’assurance facultés ne se limite pas à indemniser la valeur de la marchandise perdue ou endommagée. Elle prend aussi en charge certains frais engagés pour préserver les biens ou permettre la poursuite du voyage.
Les deux types de polices (« Événements Majeurs » et « Tous Risques ») couvrent généralement :
- Les frais raisonnablement exposés en cours de transport pour préserver les marchandises d’un dommage matériel garanti ou pour en limiter l’étendue (par exemple, frais de bâchage d’urgence, frais de mise au sec…). C’est l’application de l’obligation de sauvetage qui pèse aussi sur l’assuré.
- Les frais engagés suite à une interruption ou une rupture de voyage (due à un événement garanti) pour permettre l’acheminement des marchandises jusqu’à destination : frais de déchargement, de magasinage temporaire, de transbordement sur un autre bateau ou un autre mode de transport, et frais de réacheminement. Attention, cette garantie ne joue généralement pas si l’interruption de voyage est due à la simple défaillance financière du transporteur.
- La contribution aux avaries communes (si applicable en fluvial) et les frais d’assistance au bateau transporteur, dans la mesure où ces frais concernent la sauvegarde des marchandises assurées.
La différence entre les deux polices réside dans la condition de prise en charge :
- En « Garantie Événements Majeurs », ces frais ne sont couverts que s’ils résultent de l’un des événements majeurs listés et garantis.
- En « Tous Risques », ils sont couverts dès lors qu’ils sont engagés pour éviter un dommage matériel garanti (c’est-à-dire non exclu) ou suite à une interruption de voyage elle-même causée par un risque couvert.
Ce qui n’est jamais (ou rarement) couvert : les exclusions
Même la police « Tous Risques » comporte des exclusions. Certaines sont communes aux assurances fluviales, d’autres sont spécifiques aux marchandises.
Les exclusions générales (rappel bref)
Comme pour l’assurance « corps », les exclusions générales s’appliquent : faute intentionnelle de l’assuré, guerre, troubles civils, risques nucléaires, activités illégales, navigation hors zones…
Les exclusions spécifiques aux marchandises
Ces exclusions sont particulièrement importantes car elles visent des causes de dommages fréquentes pour les cargaisons :
- Le vice propre : C’est le défaut intrinsèque de la marchandise, sa tendance naturelle à se détériorer ou à s’endommager sans cause extérieure (par exemple, un fruit qui mûrit trop vite, un produit chimique qui se décompose spontanément, un défaut de fabrication préexistant). Ces dommages ne sont pas couverts.
- Les vers et la vermine : Les dommages causés par les insectes ou les rongeurs sont généralement exclus, sauf si leur présence est la conséquence directe d’un événement garanti (par exemple, une mouille prolongée suite à un naufrage).
- L’influence de la température atmosphérique : Les dommages dus aux variations normales de température ou d’humidité (condensation, rouille de surface, altération par le chaud ou le froid…) ne sont pas couverts, sauf si des garanties spécifiques ont été souscrites pour les marchandises sensibles.
- La freinte de route : C’est la perte de poids ou de quantité considérée comme normale et inévitable pendant le transport pour certaines marchandises (évaporation pour les liquides, déshydratation pour les produits frais, pertes de poussière pour les pulvérulents…). Cette freinte usuelle n’est pas indemnisée.
- L’emballage ou le conditionnement insuffisant ou inadapté : Si la marchandise est endommagée parce que son emballage, son calage ou son arrimage étaient défectueux, l’assurance ne jouera pas, surtout si ces opérations ont été réalisées par l’assuré lui-même ou ses préposés. Il est essentiel d’utiliser des emballages adaptés au transport fluvial.
L’exclusion du retard (spécifique « Tous Risques »)
La police « Tous Risques », bien que large, exclut généralement les conséquences financières d’un simple retard dans l’expédition ou l’arrivée des marchandises (perte de marché, pénalités contractuelles…). L’assurance couvre les dommages matériels, pas les préjudices purement commerciaux dus au retard, sauf si ce retard est la conséquence directe d’un événement majeur garanti affectant des marchandises en vrac (cas très spécifique vu précédemment).
Les marchandises souvent exclues (mais rachetables)
Comme pour l’assurance « corps », certains types de marchandises sont exclus de la garantie standard en raison de leur nature ou de leur valeur, mais peuvent souvent être couverts par une convention spéciale et une surprime :
- Fourrures, objets d’art, sculptures, peintures, antiquités, objets de collection.
- Documents, échantillons dont la valeur marchande est sans commune mesure avec la valeur intrinsèque.
- Animaux vivants.
- Marchandises classées dangereuses par la réglementation (leur transport nécessite des précautions et une assurance spécifiques).
Quand commence et finit la garantie ? Le temps de l’assurance
Pour être efficace, l’assurance doit couvrir la marchandise pendant toute la durée où elle est exposée aux risques du transport. Les polices facultés fluviales adoptent généralement le principe d’une couverture « magasin à magasin ».
Cela signifie que la garantie commence au moment où les marchandises, une fois préparées et emballées pour l’expédition, quittent les magasins de l’expéditeur au point de départ du voyage assuré. Elle se termine au moment où elles entrent dans les magasins du destinataire (ou de ses représentants) au lieu de destination final prévu par le contrat.
Cette approche large couvre donc non seulement la phase de navigation fluviale proprement dite, mais aussi les éventuels transports initiaux et finaux (pré ou post-acheminement par route ou rail) ainsi que les transbordements entre les différents modes de transport, à condition qu’ils fassent partie du même voyage assuré.
Que se passe-t-il si le voyage est interrompu ou prolongé sans que ce soit de votre fait (par exemple, une grève des éclusiers, une crue bloquant la navigation) ? L’assurance reste normalement acquise, mais l’assureur peut demander une surprime pour la durée supplémentaire de l’exposition au risque.
En revanche, si vous (ou le destinataire) prenez livraison des marchandises avant qu’elles n’atteignent le magasin de destination final prévu (par exemple, vous les récupérez directement sur le quai), la garantie cesse immédiatement à ce moment-là.
Il existe aussi une limite de temps absolue : la durée de la garantie après l’arrivée du bateau à destination ne peut excéder un délai fixé par la police, souvent quinze jours calculés depuis la fin du déchargement des marchandises assurées. Au-delà, si les marchandises restent en attente sur le quai ou dans un entrepôt portuaire, elles ne sont plus couvertes par l’assurance transport.
Sinistre sur la cargaison : la marche à suivre
Si vous constatez ou suspectez des dommages ou des manquants sur votre marchandise à l’arrivée (ou même en cours de route si possible), il faut réagir vite et méthodiquement pour préserver vos droits à indemnisation.
Constater les dommages : l’expertise obligatoire
La première chose à faire est de faire constater officiellement l’état de la marchandise. Vous devez requérir l’intervention d’un commissaire d’avaries ou d’un expert fluvial agréé. Le CESAM (Comité d’études et de services des assureurs maritimes et transports de France) recommande des experts compétents. Votre police peut aussi désigner des organismes spécifiques.
Cette demande d’expertise doit être faite très rapidement, généralement dans les trois jours ouvrables suivant la fin de la garantie (c’est-à-dire l’arrivée dans vos magasins ou la limite des 15 jours post-déchargement). L’expert procédera alors à une expertise contradictoire, en présence si possible des représentants du transporteur et de l’assureur, pour déterminer la nature, la cause et l’étendue des dommages et des pertes. Son rapport sera la base de votre réclamation d’assurance.
Il est également essentiel de prendre toutes les mesures conservatoires nécessaires (protéger la marchandise de dommages supplémentaires) et de préserver vos recours contre le transporteur fluvial ou tout autre tiers potentiellement responsable (en émettant des réserves écrites et motivées sur le document de transport, en respectant les délais pour confirmer ces réserves par lettre recommandée, etc.).
Calculer l’indemnité : la valeur assurée comme référence
Comment l’assureur calcule-t-il l’indemnité ? La base est la valeur assurée que vous avez déclarée lors de la souscription du contrat (et pour laquelle vous avez payé une prime). Attention, en cas de sinistre, vous devrez justifier cette valeur (par des factures, par exemple).
La police fixe généralement un plafond à cette valeur assurée : elle ne peut excéder la plus élevée des sommes suivantes :
- Le prix de revient des marchandises au lieu de destination, augmenté d’un profit espéré (souvent forfaitisé à 10% ou 20%, sauf justification d’un taux plus élevé).
- La valeur de la marchandise à la date d’arrivée selon les cours du marché ou les dispositions du contrat de vente.
- Parfois, pour les biens manufacturés, la valeur de remplacement à neuf, mais uniquement si cela a été convenu spécifiquement avec l’assureur et si vous justifiez du remplacement effectif par des factures.
Une fois la valeur assurée validée, l’assureur détermine le taux de dépréciation subi par la marchandise (en comparant sa valeur en état d’avarie et sa valeur à l’état sain). Ce taux est ensuite appliqué à la valeur assurée pour calculer l’indemnité brute.
Si la marchandise doit être vendue en cours de route à cause des dommages, l’indemnité correspond à la différence entre la valeur assurée et le produit net de la vente. Si l’assureur décide de faire réparer la marchandise (en la renvoyant par exemple au lieu de fabrication), il prend en charge tous les frais de réexpédition et de réparation, même si leur total dépasse la valeur assurée.
Enfin, l’indemnité d’assurance inclut généralement les frais et honoraires de l’expert ou du commissaire d’avaries. Une franchise, si prévue au contrat, sera déduite du montant final.
Le délaissement des marchandises : une option sous conditions
Comme pour l’assurance « corps », dans des situations extrêmes, vous pouvez choisir de « délaisser » votre marchandise endommagée à l’assureur, c’est-à-dire de lui en abandonner la propriété en échange du paiement de la valeur assurée totale. Cette option n’est possible que si :
- Le bateau transporteur est reconnu hors d’état de continuer le voyage et les marchandises n’ont pu être rechargées pour être acheminées à destination dans un délai fixé (souvent trois mois).
- Ou si le montant des dommages et pertes matériels garantis atteint au moins les trois quarts (75%) de la valeur assurée.
Si vous optez pour le délaissement, vous devez le notifier à l’assureur. Les polices sont souvent muettes sur le délai dont dispose l’assureur pour accepter ou refuser ce délaissement.
Assurer correctement sa cargaison lors d’un transport fluvial demande une bonne compréhension des garanties offertes et de leurs limites. Le choix entre une police « Événements Majeurs » et une police « Tous Risques » dépendra de la valeur et de la sensibilité de vos marchandises, ainsi que de votre appétence au risque.
Choisir la bonne assurance facultés dépend de la nature de vos marchandises et du niveau de risque acceptable. Pour sécuriser vos transports fluviaux, notre cabinet peut vous aider à sélectionner la garantie adéquate.
Sources
- Code des assurances (notamment art. L. 174-4)
- Polices françaises d’assurance des marchandises transportées par voie fluviale (« Événements Majeurs » et « Tous Risques » – principes généraux issus des imprimés types)