Naviguer dans la jungle des règles déontologiques bancaires n’est pas chose aisée. Entre les codes homologués par le ministre de l’Économie et les simples recommandations professionnelles, difficile pour le client d’une banque de s’y retrouver. Ces règles s’inscrivent dans le cadre plus large de la responsabilité du banquier. Voici un décryptage de la hiérarchie de ces normes spécifiques et des conséquences attachées à leur non-respect.
Classification des règles déontologiques bancaires
Le paysage normatif du secteur bancaire se caractérise par une stratification complexe, allant de la soft law bancaire aux obligations plus contraignantes. La Fédération bancaire française (FBF) a établi en novembre 2009 une typologie à trois niveaux qui permet de mieux comprendre cette diversité.
Normes professionnelles normatives
Ces règles constituent le premier niveau et le plus contraignant. Elles s’imposent à l’ensemble des établissements bancaires. Elles peuvent être :
- Homologuées par le ministre de l’Économie après avis du Comité consultatif de la législation et de la réglementation financières (CCLRF). Ces normes ont une portée générale et s’intègrent au dispositif de contrôle interne obligatoire des banques.
- Approuvées par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). Leur portée est généralement limitée aux adhérents de l’organisation professionnelle qui les a élaborées.
Un exemple concret est la Charte d’accessibilité bancaire, homologuée par arrêté du 18 décembre 2008, qui renforce l’effectivité du droit au compte et s’applique à tous les établissements de crédit.
Bonnes pratiques professionnelles
À l’échelon intermédiaire, les bonnes pratiques professionnelles représentent une mise en œuvre jugée adéquate pour satisfaire des exigences légales ou réglementaires, sans pour autant être la seule méthode possible. Elles offrent aux banques une certaine marge de manœuvre dans leur application.
Prenons l’exemple du récapitulatif annuel fourni aux commerçants sur les sommes perçues pour l’encaissement des paiements par carte. Cette pratique, bien que non strictement obligatoire au sens d’une loi, est reconnue et encouragée par l’ACPR car elle permet aux commerçants de mieux comparer les tarifs entre banques.
Simples recommandations
Au bas de l’échelle normative, les simples recommandations n’ont pas, en principe, de caractère obligatoire direct. Elles représentent souvent des engagements ponctuels pris par la profession bancaire pour répondre à une situation particulière ou pour promouvoir une certaine éthique professionnelle.
La valeur juridique des différentes catégories
La force contraignante de ces règles varie considérablement selon leur catégorie. Comprendre cette hiérarchie est essentiel pour déterminer les recours possibles en cas de manquement aux obligations par un établissement.
Force obligatoire des codes homologués
Les codes de conduite homologués par arrêté du ministre de l’Économie possèdent une véritable force contraignante. L’article L. 611-3-1 du Code monétaire et financier organise cette procédure d’homologation. Leur non-respect est susceptible d’entraîner des sanctions disciplinaires prononcées par la Commission des sanctions de l’ACPR, en vertu de l’article L. 612-39 du même code.
Un code homologué a donc une valeur quasi réglementaire. Il s’impose à tous les établissements concernés, même à ceux qui n’auraient pas adhéré à l’association professionnelle qui l’a élaboré.
Portée des codes approuvés par l’ACPR
Les codes de conduite approuvés par l’ACPR ont une portée plus limitée. Selon l’article L. 612-29-1 du Code monétaire et financier, cette approbation les rend obligatoires uniquement pour les adhérents de l’association professionnelle qui les a soumis.
Le document de juin 2017 relatif à la politique de transparence de l’ACPR précise que la publication de la décision d’approbation confère un caractère obligatoire aux dispositions approuvées, mais seulement dans le périmètre des adhérents de l’organisation signataire.
Statut incertain des recommandations
Les simples recommandations professionnelles se situent dans une zone juridique plus floue. Comme l’indiquait le médiateur auprès de la FBF dans son rapport d’activité 2010, ces textes ont « un caractère plus pragmatique et souple dans l’application ». L’ACPR veille cependant à ce que ces textes n’utilisent pas abusivement des termes comme « bonne pratique » ou « bonne conduite » pour éviter toute confusion avec des normes plus contraignantes.
La méconnaissance de ces recommandations ne donne pas directement lieu à sanction disciplinaire. Toutefois, l’ACPR peut adresser une mise en garde individuelle à un établissement dont les pratiques s’en écartent de manière significative, surtout si ces pratiques mettent en danger les intérêts des clients.
Les sanctions civiles en cas de violation
Le non-respect des règles déontologiques, même celles relevant de la « soft law », peut avoir des conséquences sur le terrain de la responsabilité civile de la banque.
La règle déontologique comme standard d’appréciation de la faute
Le juge civil peut utiliser une norme déontologique, même non strictement obligatoire, pour évaluer si le comportement de la banque a été fautif. Dans ce cas, la règle professionnelle sert de référence, de standard d’appréciation du comportement qu’on est en droit d’attendre d’un banquier normalement prudent et diligent.
Cette approche est d’autant plus pertinente pour les codes homologués ou approuvés. Plus la norme a reçu une forme de validation par une autorité publique (ministre, ACPR), plus elle constitue un référentiel solide pour le juge pour caractériser une faute engageant la responsabilité civile de l’établissement.
Jurisprudence sur la prise en compte des règles déontologiques
La jurisprudence a confirmé la possibilité pour le juge de tenir compte des règles déontologiques dans l’appréciation de la faute. Dans deux arrêts importants rendus le même jour (Cass. 1re civ. et Cass. com., 29 avril 1997), la Cour de cassation a reconnu cette pertinence, bien qu’avec des nuances.
La première chambre civile approuve simplement la prise en compte de ces règles comme un élément d’appréciation. La chambre commerciale, dans sa formulation, semblait aller plus loin en suggérant que la violation d’une règle déontologique pourrait établir à elle seule l’existence d’une faute civile. Cette position plus tranchée a été débattue par la doctrine, certains y voyant une confusion possible entre la norme professionnelle et la loi. L’approche retenue est donc plutôt celle d’un faisceau d’indices où la règle déontologique éclaire l’appréciation de la faute.
Absence d’impact automatique sur la validité des contrats
Il est essentiel de souligner que la méconnaissance d’une règle déontologique par un établissement bancaire n’entraîne pas automatiquement la nullité du contrat (prêt, convention de compte…) conclu avec le client. Un arrêt de principe de la première chambre civile du 5 novembre 1991 l’a clairement établi.
Si le juge peut s’inspirer des normes professionnelles pour évaluer un comportement fautif et accorder des dommages-intérêts, il ne peut annuler une clause contractuelle au seul motif qu’elle contreviendrait à une règle déontologique, qui n’a pas la même force qu’une disposition légale impérative. La sanction réside principalement dans l’engagement de la responsabilité civile.
Les sanctions disciplinaires
L’arsenal répressif à disposition des autorités de régulation est particulièrement développé dans le secteur bancaire, assurant ainsi une certaine application des règles.
Mesures de police administrative
Avant d’en arriver à la sanction, l’ACPR dispose de pouvoirs de police administrative pour corriger les comportements non conformes :
- Mise en garde : L’article L. 612-30 du Code monétaire et financier permet à l’ACPR d’adresser une mise en garde à un établissement dont les pratiques compromettent les intérêts de ses clients ou s’écartent des bonnes pratiques.
- Mise en demeure : L’article L. 612-31 l’autorise à mettre en demeure un établissement de prendre, dans un délai déterminé, toutes mesures nécessaires pour se conformer à ses obligations légales, réglementaires ou déontologiques (si elles sont homologuées ou approuvées).
Ces mesures préventives visent à obtenir une correction rapide des manquements sans nécessairement engager une procédure de sanction formelle.
Sanctions disciplinaires par l’ACPR
En cas de manquement avéré et persistant, notamment au non-respect des « codes de conduite homologués applicables à la profession », la Commission des sanctions de l’ACPR peut prononcer diverses sanctions disciplinaires. L’article L. 612-39 du Code monétaire et financier liste un éventail de sanctions possibles, graduées selon la gravité des faits :
- Avertissement
- Blâme
- Interdiction d’effectuer certaines opérations
- Limitation de l’exercice de l’activité
- Suspension temporaire d’un ou plusieurs dirigeants (avec ou sans nomination d’administrateur provisoire)
- Démission d’office d’un ou plusieurs dirigeants
- Retrait partiel ou total d’agrément (ou radiation de la liste des personnes agréées)
En complément ou à la place de ces sanctions, la Commission peut infliger une sanction pécuniaire. Son montant peut atteindre 100 millions d’euros ou 10% du chiffre d’affaires annuel net de l’établissement.
Procédure de sanction et recours possibles
La procédure devant la Commission des sanctions de l’ACPR est contradictoire, garantissant les droits de la défense de l’établissement mis en cause. Les décisions sont généralement rendues publiques, sauf exceptions (risque de perturbation grave des marchés, préjudice disproportionné).
Les décisions de la Commission des sanctions ne sont pas définitives. Elles peuvent faire l’objet d’un recours de pleine juridiction devant le Conseil d’État. Cette voie de recours assure un contrôle juridictionnel sur les sanctions prononcées.
Il est important de rappeler que pour les simples bonnes pratiques ou recommandations non homologuées ou approuvées, l’ACPR privilégie la mise en garde. Ce n’est qu’en cas de non-respect persistant de cette mise en garde qu’une procédure disciplinaire peut être envisagée sur ce fondement.
Si vous êtes confronté à un manquement aux obligations de votre banque ou si vous souhaitez comprendre la portée d’une règle déontologique spécifique, l’assistance d’un avocat en sanctions bancaires peut être précieuse pour analyser votre situation et défendre vos intérêts. N’hésitez pas à contacter notre cabinet pour une évaluation de votre dossier.
Sources
- Code monétaire et financier, articles L. 611-3-1, L. 612-1, L. 612-29-1, L. 612-30, L. 612-31, L. 612-39
- Document explicatif sur « la politique de transparence de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution », juin 2017
- JurisClasseur Droit bancaire et financier, Fasc. 140 : Devoirs professionnels des établissements de crédit – Déontologie en matière d’opérations de banque – Conflits d’intérêts
- Cass. 1re civ., 18 mars 1997, n° 95-12.576 et Cass. com., 29 avr. 1997, n° 94-21.424
- Cass. 1re civ., 5 nov. 1991, JCP E 1992, II, 255