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Vos droits une fois votre dessin ou modèle enregistré : étendue et limites

Table des matières

Félicitations, après avoir navigué les étapes de la création et du dépôt, votre dessin ou modèle est désormais enregistré auprès de l’INPI ! Cette reconnaissance officielle vous confère un véritable droit de propriété sur l’apparence de votre produit. Mais que signifie concrètement ce droit ? Quels actes pouvez-vous effectivement interdire à vos concurrents ? Pour combien de temps cette protection est-elle valable ? Et existe-t-il des situations où, malgré votre enregistrement, vous ne pourrez pas empêcher un tiers d’utiliser une apparence similaire ?

Comprendre précisément l’étendue et les limites de votre monopole est essentiel. Cela vous permet non seulement d’exploiter sereinement votre création, mais aussi de savoir quand et comment réagir face à une éventuelle copie, et d’éviter des actions en justice vouées à l’échec. Cet article a pour vocation de détailler la portée du droit exclusif que vous venez d’acquérir, sa durée de vie, ainsi que les principales exceptions et limitations prévues par la loi française qu’il vous faut connaître.

Le monopole d’exploitation conféré par l’enregistrement

L’enregistrement de votre dessin ou modèle vous octroie, selon l’article L. 513-2 du Code de la propriété intellectuelle (CPI), un véritable droit de propriété. Comme tout droit de propriété, il vous donne avant tout un droit exclusif : celui d’exploiter l’apparence protégée, et surtout d’interdire aux autres de le faire sans votre autorisation.

Le droit d’interdire les actes clés

Quels sont les actes que vous pouvez concrètement interdire ? L’article L. 513-4 du CPI est très précis à ce sujet. Sauf à obtenir votre consentement (par exemple via une licence), il est interdit à tout tiers de réaliser les actes suivants concernant un produit dont l’apparence est protégée par votre enregistrement :

  • La fabrication : Produire des objets reprenant votre design.
  • L’offre : Proposer ces objets à la vente (dans des catalogues, sur un site web…).
  • La mise sur le marché : Vendre ou distribuer ces objets.
  • L’importation : Introduire en France des objets fabriqués à l’étranger.
  • L’exportation : Envoyer hors de France des objets fabriqués en France.
  • Le transbordement : Faire transiter par la France des objets contrefaisants.
  • L’utilisation : Employer le produit contrefaisant (surtout dans un cadre professionnel).
  • La détention à ces fins : Stocker des produits contrefaisants en vue de les vendre, de les utiliser, etc.

Cette liste couvre l’essentiel des actes d’exploitation économique. Elle vous donne donc un contrôle étendu sur l’utilisation commerciale de l’apparence que vous avez créée et protégée. Par exemple, vous pouvez agir contre un concurrent qui fabrique une copie, mais aussi contre le magasin qui la vend, ou l’entreprise qui l’importe pour son propre usage.

Protection contre l’identique ET le similaire

Votre monopole ne se limite pas à interdire la copie servile, à l’identique, de votre création. Ce serait une protection bien faible, car il suffirait à un concurrent de modifier quelques détails pour échapper à la contrefaçon. La loi va plus loin.

L’article L. 513-5 du CPI précise que la protection de votre enregistrement « s’étend à tout dessin ou modèle qui ne produit pas sur l’observateur averti une impression visuelle d’ensemble différente ».

On retrouve ici la notion d’observateur averti (cet utilisateur informé et attentif du secteur concerné, que nous avions vu pour la condition de caractère propre).

Si un produit concurrent, sans être strictement identique au vôtre, lui ressemble tellement qu’il ne crée pas une impression globale différente aux yeux de cet observateur averti, alors il y a contrefaçon. Votre droit protège donc contre les imitations proches, celles qui reprennent l’essentiel des caractéristiques qui donnent son caractère propre à votre création. L’appréciation se fait au cas par cas, en comparant l’impression d’ensemble dégagée par les produits.

Indépendance de la bonne ou mauvaise foi (au civil)

Un point important à noter concerne l’intention du contrefacteur présumé. En matière civile (demande de dommages-intérêts, interdiction…), une fois votre dessin ou modèle publié au BOPI, la contrefaçon est généralement constituée par la simple réalisation d’un des actes interdits (fabrication, vente…), même si le tiers n’avait pas l’intention de copier ou ignorait l’existence de votre droit. La publication rend votre droit opposable à tous, et la mauvaise foi du contrefacteur est présumée. Il lui appartient, pour tenter d’échapper à sa responsabilité, de prouver une éventuelle bonne foi (ce qui est très difficile pour un professionnel, censé se renseigner), mais même la bonne foi n’empêche pas nécessairement la condamnation à cesser les actes et à réparer le préjudice. Au pénal, en revanche, l’intention frauduleuse (« sciemment ») devra être démontrée.

La durée de votre protection

Contrairement au droit d’auteur, dont la durée est extrêmement longue, la protection conférée par l’enregistrement d’un dessin ou modèle est limitée dans le temps. Il est essentiel de connaître ces échéances pour gérer correctement vos droits.

Une protection par tranches de 5 ans

Selon l’article L. 513-1 du CPI, la protection initiale accordée par l’enregistrement dure 5 ans. Cette période commence à courir à compter de la date de dépôt de votre demande à l’INPI.

Prorogation possible jusqu’à 25 ans maximum

Cette protection initiale de 5 ans n’est qu’un début. Vous pouvez la prolonger (on parle de « prorogation ») par périodes successives de 5 ans. Pour cela, il faut en faire la demande à l’INPI et payer les taxes de maintien en vigueur correspondantes avant l’expiration de chaque période.

Vous pouvez ainsi proroger votre protection une première fois pour atteindre 10 ans, puis 15, puis 20, et enfin une dernière fois pour atteindre la durée maximale totale de 25 ans à compter de la date de dépôt. Au-delà de 25 ans, la protection spécifique par dessin ou modèle prend fin, et votre création tombe dans le domaine public au titre de ce droit spécifique.

Le système par tranches de 5 ans permet une certaine souplesse : si votre design n’a plus de succès commercial après 7 ou 12 ans, vous pouvez simplement décider de ne pas payer la prochaine taxe de prorogation, et votre droit s’éteindra. Cela évite d’encombrer les registres avec des protections inexploitées.

Comparaison avec le droit d’auteur et intérêt du cumul

La durée maximale de 25 ans peut sembler courte, surtout comparée à la durée du droit d’auteur (généralement, vie de l’auteur + 70 ans après sa mort). Pour les créations qui ont une longue vie commerciale (certains meubles iconiques, bijoux classiques…), cette limite peut être une contrainte.

C’est ici que le cumul des protections (évoqué dans notre premier article) prend tout son sens. Si votre dessin ou modèle enregistré est également une œuvre originale protégée par le droit d’auteur, vous pourrez continuer à vous défendre contre la copie sur le fondement du droit d’auteur, même après l’expiration des 25 ans de protection par dessin ou modèle. L’enregistrement vous aura offert une protection forte et facile à prouver pendant les premières années (souvent les plus critiques commercialement), et le droit d’auteur pourra prendre le relais pour la suite.

Les limites importantes de votre droit exclusif

Votre monopole n’est pas absolu. La loi prévoit plusieurs situations où, malgré votre enregistrement, vous ne pourrez pas interdire certains actes réalisés par des tiers. Il est essentiel de connaître ces limites pour ne pas engager d’actions vouées à l’échec.

Les exceptions légales classiques

L’article L. 513-6 du CPI liste plusieurs actes qui ne peuvent pas être interdits par le titulaire d’un dessin ou modèle :

  • Actes accomplis à titre privé et à des fins non commerciales : Une personne qui fabrique pour son usage personnel, sans intention de vendre, un objet reprenant votre design ne commet pas de contrefaçon. Les deux conditions (privé ET non commercial) sont cumulatives.
  • Actes accomplis à des fins expérimentales : Utiliser votre design pour mener des recherches ou des expériences n’est pas interdit.
  • Actes de reproduction à des fins d’illustration ou d’enseignement : Reproduire votre modèle dans un livre, un article ou un cours est permis, mais sous des conditions strictes : il faut mentionner l’enregistrement et le nom du titulaire, l’utilisation doit être conforme aux « pratiques commerciales loyales » (pas de dénigrement, pas de concurrence déloyale) et elle ne doit pas porter un préjudice injustifié à l’exploitation normale de votre dessin ou modèle.
  • Utilisation d’équipements sur des navires ou aéronefs étrangers : Si un navire ou un avion immatriculé à l’étranger et équipé de pièces reprenant votre design entre temporairement en France, vous ne pouvez pas l’interdire. Idem pour l’importation de pièces destinées à la réparation de ces engins.

L’épuisement du droit dans l’Espace Économique Européen (EEE)

C’est une limite fondamentale issue du principe de libre circulation des marchandises au sein de l’UE (et de l’EEE, qui inclut en plus la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein). La règle, inscrite à l’article L. 513-8 du CPI, est la suivante : une fois qu’un produit incorporant votre dessin ou modèle a été mis en circulation (c’est-à-dire vendu pour la première fois) dans un pays de l’EEE, par vous-même ou avec votre consentement (par un licencié, un distributeur autorisé…), votre droit de dessin ou modèle est « épuisé » pour cet exemplaire spécifique du produit.

Concrètement, cela signifie que vous ne pouvez plus interdire la libre circulation de cet exemplaire à l’intérieur de l’EEE. Vous ne pouvez pas empêcher quelqu’un qui a acheté légalement ce produit dans un pays A de l’EEE de le revendre dans un pays B de l’EEE, même si vous y commercialisez le même produit (peut-être à un prix différent). C’est ce qui permet les « importations parallèles » au sein du marché unique.

Attention, deux conditions sont nécessaires pour l’épuisement :

  1. La première mise en circulation doit avoir été faite par vous ou avec votre accord. Si un produit contrefaisant est mis sur le marché sans votre consentement, même dans l’EEE, votre droit n’est pas épuisé et vous pouvez agir.
  2. La première mise en circulation consentie doit avoir eu lieu sur le territoire de l’EEE. Si vous vendez vos produits aux États-Unis, par exemple, votre droit n’est pas épuisé en Europe. Vous pouvez donc interdire l’importation en France de ces produits achetés aux USA (« marché gris »), car la règle de l’épuisement ne s’applique qu’à l’échelle européenne (on parle d’épuisement régional ou communautaire, et non international).

La « clause de réparation » pour les pièces détachées automobiles

Le secteur des pièces de rechange automobiles, en particulier les pièces de carrosserie visibles (ailes, capots, pare-chocs, phares, rétroviseurs…) a fait l’objet d’un débat intense pendant des années au niveau européen. L’enjeu était de concilier la protection du design des constructeurs automobiles avec la nécessité d’assurer une concurrence sur le marché de la réparation, dans l’intérêt des consommateurs et des assureurs.

La France a finalement introduit une « clause de réparation » limitée par la loi « Climat et Résilience » du 22 août 2021, modifiant l’article L. 513-6 du CPI. Depuis le 1er janvier 2023, la situation est la suivante :

  • Pour les pièces de vitrage : Le droit du constructeur (titulaire du dessin ou modèle) ne peut plus être exercé contre la fabrication ou la vente de pièces de rechange destinées à rendre au véhicule son apparence initiale. Le marché est donc libéralisé pour les vitrages.
  • Pour les autres pièces visibles (carrosserie, optiques, rétroviseurs…) :
    • Si la pièce de rechange est fabriquée par l’équipementier ayant fabriqué la pièce d’origine (sous-traitant du constructeur), le droit du constructeur ne peut pas non plus être exercé.
    • Si la pièce est fabriquée par un autre équipementier (indépendant), la protection du dessin ou modèle du constructeur sur cette pièce est limitée à 10 ans à compter de la date de dépôt (au lieu de 25 ans). Passé ce délai, la fabrication et la vente par des tiers deviennent libres.

Cette clause complexe vise un équilibre : elle ouvre partiellement le marché des pièces de rechange à la concurrence, tout en maintenant une protection significative (notamment pendant les 10 premières années pour les pièces hors vitrage fabriquées par des indépendants) pour les constructeurs ayant investi dans le design.

Gérer vos droits : Cession et Licence

Votre dessin ou modèle enregistré n’est pas seulement un outil de défense, c’est aussi un actif économique que vous pouvez valoriser. L’article L. 513-2 du CPI mentionne explicitement que vous pouvez céder (vendre) votre droit de propriété ou concéder (accorder une licence d’exploitation) à un tiers, généralement en contrepartie d’une rémunération (somme forfaitaire ou redevances proportionnelles aux ventes).

  • La cession implique un transfert définitif de la propriété du droit.
  • La licence est une autorisation d’exploiter, qui peut être exclusive (vous vous interdisez d’accorder d’autres licences, voire d’exploiter vous-même sur un territoire donné) ou non exclusive. Elle est limitée dans le temps et souvent géographiquement.

Il est fortement recommandé de formaliser ces accords par des contrats écrits détaillant précisément l’étendue des droits transférés ou concédés (durée, territoire, types d’actes autorisés, rémunération…).

Point crucial : pour que ces actes de cession ou de licence soient opposables aux tiers, ils doivent impérativement être inscrits au Registre National des Dessins et Modèles (RNDM) tenu par l’INPI (article L. 513-3 CPI). Sans cette inscription, par exemple, un licencié pourrait avoir des difficultés à agir en justice contre un contrefacteur, ou un cessionnaire pourrait voir son droit remis en cause par un tiers qui aurait acquis des droits du cédant initial sans connaître la première cession.

Comprendre précisément l’étendue et les limites de vos droits est essentiel pour exploiter sereinement vos dessins et modèles et réagir adéquatement en cas de copie. Une bonne connaissance de ces règles vous permet de mieux définir votre stratégie commerciale, de négocier vos contrats de licence ou de cession, et de cibler efficacement vos actions contre la contrefaçon. Notre cabinet vous conseille sur la gestion de votre portefeuille de droits et la défense de vos intérêts.

Sources

  • Code de la propriété intellectuelle (CPI), articles L. 513-1, L. 513-2, L. 513-3, L. 513-4, L. 513-5, L. 513-6, L. 513-8.
  • Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (pour la clause de réparation).
  • Droit de l’Union Européenne (pour l’épuisement des droits).

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