Le jugement est enfin tombé, et il vous donne raison. C’est une étape décisive et souvent un soulagement après des mois, voire des années de procédure. La décision ordonne également à votre adversaire de vous rembourser les « dépens », ces frais liés au procès qui ont été avancés tout au long de l’instance. Mais obtenir cette condamnation sur le papier n’est que la première partie du chemin. Comment transformer cette ligne du jugement en un remboursement effectif ? Pour faire valoir efficacement vos droits de recouvrement, il est essentiel de maîtriser la procédure spécifique qui s’applique, telle que précisée par la loi et la jurisprudence.
En effet, le recouvrement des dépens obéit à des règles précises, détaillées dans le Code de procédure civile. Il ne suffit pas d’envoyer une simple facture à la partie adverse. Il faut surtout bien comprendre la nature de ces frais et ne pas les confondre avec les honoraires de votre avocat, qui relèvent d’une autre catégorie : les frais irrépétibles. L’application de ces règles peut présenter une certaine difficulté pratique.
Dépens et frais irrépétibles : ne confondez plus !
Avant d’engager la moindre démarche, le principe est de distinguer deux types de frais de justice que l’on a tendance à mélanger. Le jugement les traite séparément car leur nature et leur mode de recouvrement sont différents. Les dépens sont les frais de la procédure dont le remboursement est quasi automatique pour la partie gagnante, tandis que les frais irrépétibles ne sont remboursés que si le juge le décide expressément, en application de son pouvoir souverain.
La liste limitative des dépens (article 695 cpc)
Les dépens correspondent aux frais engagés pour mener le procès, dont la liste est strictement et limitativement énumérée par l’article 695 du Code de procédure civile (dans sa version en vigueur en octobre 2023). Ce caractère limitatif, régulièrement rappelé par la jurisprudence de la Chambre civile de la Cour de cassation, signifie que tout ce qui n’est pas explicitement mentionné dans cet article est exclu. On y trouve principalement :
- Les droits, taxes ou redevances perçus par les greffes des juridictions.
- Les frais de traduction des actes si elle a été rendue nécessaire par la procédure.
- Les indemnités des témoins.
- La rémunération des techniciens, comme pour une expertise judiciaire.
- Les émoluments tarifés et frais taxés des commissaires de justice (anciens huissiers de justice). Un constat d’huissier peut en faire partie.
- Le droit de plaidoirie, d’un montant fixe de 13 € (montant fixé par le décret n° 2017-862 du 9 mai 2017, JORF du 10 mai 2017).
Le poste de dépense le plus important qui est sciemment exclu de cette liste est celui de la rémunération d’avocat. C’est là qu’intervient la seconde notion, relative aux frais non compris dans les dépens.
Les frais irrépétibles (article 700 cpc) : les « autres » frais du procès
Les frais irrépétibles sont ceux qui ne figurent pas dans la liste des dépens. Il s’agit pour l’essentiel de la rémunération de votre avocat, mais aussi de certains frais de déplacement ou de conseil que vous avez pu engager. L’article 700 du Code de procédure civile (dans sa version en vigueur depuis le 1er novembre 2019) permet au juge de condamner la partie perdante à vous rembourser tout ou partie de ces frais. Toutefois, contrairement aux dépens, cette décision n’est pas automatique. En cette matière, le juge statue en fonction de l’équité ou de la situation économique des parties. Il dispose d’un pouvoir souverain, comme le confirme une jurisprudence établie, pour fixer le montant de la condamnation au titre de l’article 700, qui peut être inférieur à la somme que vous avez réellement dépensée. La distinction avec les frais irrépétibles de l’article 700 du Code de procédure civile est donc essentielle pour toute action en justice.
Étape 1 : obtenir un compte détaillé et le faire vérifier par le greffe
La première chose à faire est de quantifier précisément le montant des dépens dus. Si vous êtes assisté par un avocat, cet auxiliaire de justice établira un « état de frais » ou « compte de dépens ». Ce document, qui constitue une demande officielle, récapitule de manière détaillée tous les postes de dépenses engagées qui correspondent à la liste de l’article 695 du Code de procédure civile (version applicable au litige).
Une fois ce compte établi, il doit être soumis au greffier de la juridiction qui a rendu la décision. Le greffier a en effet une mission capitale : vérifier ce compte, comme le prévoit l’article 704 du Code de procédure civile (dans sa version en vigueur). Il s’assure que les sommes réclamées sont conformes à la réglementation tarifaire et qu’elles correspondent bien à des actes prévus par la loi. À l’issue de cette vérification, le greffier délivre un document clé : le certificat de vérification (article 705 CPC, version du décret d’avril 2017). Cette étape, qui vise à obtenir un compte vérifié, est un préalable obligatoire avant toute poursuite ou mesure de recouvrement forcé.
Étape 2 : rendre le compte exécutoire via la notification
Le certificat de vérification seul ne suffit pas pour exiger le paiement. Il doit devenir « exécutoire ». Pour cela, un acte de notification formel du certificat doit être adressé à la partie condamnée (article 706 CPC, version de 2019). Cette notification est soumise à un formalisme strict : elle doit mentionner que l’adversaire dispose d’un délai d’un mois pour contester le montant et préciser qu’à défaut, le certificat deviendra exécutoire. Elle doit être envoyée directement à la partie concernée, généralement par lettre recommandée avec avis de réception, accompagnée d’une copie du certificat.
Si aucun recours n’est formé dans ce délai, il suffit de retourner voir le greffier. Sur présentation de la preuve de notification reçue, il apposera sur le certificat la mention qui lui confère sa force exécutoire (article 707 CPC, version issue du décret du 28 décembre 1998, JORF du 30 décembre 1998). Vous détenez alors un titre exécutoire, au même titre qu’un jugement et revêtu de l’autorité de la chose jugée quant à son montant, vous permettant de mandater un commissaire de justice pour procéder au recouvrement forcé si un paiement spontané n’intervient pas.
Étape 3 : la contestation des dépens – la procédure de taxe
Si votre adversaire conteste le montant vérifié par le greffier dans le délai d’un mois, il doit saisir le Président de la juridiction compétente. Ce magistrat intervient alors comme « juge taxateur » (articles 708 et 709 CPC, dans leur version issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019, JORF du 12 décembre 2019). Le juge examine la contestation sur pièces ou après avoir recueilli les observations des parties et leur demande. Il rend une décision appelée ordonnance de taxe, qui fixe judiciairement le montant final des dépens. Cette ordonnance, une fois revêtue de la formule exécutoire par le greffe, permet d’engager le recouvrement. Un arrêt récent a confirmé la rigueur de cette procédure.
L’appel de l’ordonnance de taxe : un dernier recours suspensif
La décision du juge taxateur ne satisfait pas l’une des parties ? Un recours est possible devant le Premier Président de la Cour d’Appel (article 714 CPC, version au 1er janvier 2020). Cet appel doit être formé dans un délai d’un mois à compter de la notification de l’ordonnance. Il a un effet suspensif : tant que le Premier Président n’a pas statué, le paiement des dépens ne peut être exigé par la contrainte. C’est l’une des voies de recours suspensives prévues par la réglementation en vigueur.
Le recouvrement forcé : stratégies et recours en cas de résistance
Vous avez obtenu un titre exécutoire, que ce soit un certificat de vérification non contesté ou une ordonnance de taxe, mais la partie adverse ne s’exécute toujours pas. Le paiement spontané n’est pas toujours la norme. Plusieurs options s’offrent alors à vous pour recouvrer ce qui vous est dû.
Faire appel à un commissaire de justice : les voies d’exécution classiques
C’est la voie la plus directe. Muni de votre titre exécutoire, un commissaire de justice peut mettre en œuvre les procédures de saisie. La plus efficace est souvent la saisie-attribution, qui permet de bloquer et de se faire verser les sommes disponibles sur les comptes bancaires de votre débiteur. D’autres saisies, comme la saisie-vente des biens mobiliers ou même, pour des créances importantes, la saisie immobilière, sont également des voies d’exécution envisageables.
Mandater une société de recouvrement : une option possible ?
Une fois le titre exécutoire obtenu, la créance de dépens est une créance civile comme une autre. Rien ne vous empêche donc de mandater une société de recouvrement de créances. Celle-ci pourra agir en votre nom pour mener des démarches de recouvrement amiable ou pour coordonner et suivre les actions du commissaire de justice. Cette alternative, dont l’intervention doit être encadrée, peut s’avérer utile pour externaliser le suivi parfois fastidieux de ces procédures.
Mauvaise foi du débiteur : comment obtenir des dommages-intérêts supplémentaires ?
Le simple retard dans l’exécution génère automatiquement des intérêts au taux légal. Mais que faire si votre adversaire organise son insolvabilité ou fait preuve d’une résistance abusive manifeste, qui constitue une difficulté d’exécution ? L’article 1231-6 du Code civil (dans sa version en vigueur depuis l’ordonnance du 10 février 2016, JORF du 11 février 2016) offre une voie de recours. Si vous parvenez à prouver non seulement la mauvaise foi de votre débiteur, mais aussi un préjudice distinct du simple retard (par exemple, des agios bancaires que vous avez dû payer parce que les fonds n’étaient pas disponibles), vous pouvez demander au juge de le condamner à des dommages-intérêts supplémentaires en vertu de cette disposition.
Cas particuliers et points de vigilance
Au-delà de la procédure classique, certains points méritent une attention particulière pour ne pas perdre le bénéfice de vos droits ou pour optimiser les démarches. La pratique du contentieux révèle plusieurs subtilités.
Le recouvrement direct par l’avocat (article 699 cpc)
Ce mécanisme, prévu par l’article 699 du CPC (version 2021), permet à l’avocat qui a personnellement avancé les dépens (en versant une provision par exemple) de les réclamer directement à la partie adverse, sans que ces sommes ne transitent par vous. Pour cela, il doit en avoir fait la demande expresse au juge et l’avoir obtenue dans la décision. C’est une facilité pratique, mais qui est soumise à des conditions strictes, notamment le fait que la représentation par avocat soit obligatoire dans la procédure concernée au stade de la première instance ou de l’appel. Cette demande doit être faite à peine de nullité avant la fin de la mise en état.
La prescription de l’action : attention aux délais !
Le droit de réclamer le paiement des dépens n’est pas éternel. En principe, il s’agit d’un délai de prescription, qui peut donc être interrompu (par la notification du certificat de vérification, par exemple) ou suspendu, à la différence d’un délai de forclusion qui est un délai butoir. Le délai de droit commun est de cinq ans (article 2224 du Code civil, dans sa version issue de la loi du 17 juin 2008). Attention, ce délai est ramené à deux ans si la partie condamnée est un consommateur (article L. 218-2 du Code de la consommation, dans sa version en vigueur). Il est crucial de noter que la jurisprudence a précisé les points de départ de ces délais. De plus, le droit de l’Union européenne, notamment en matière de protection des consommateurs, peut influencer l’application de ces règles en droit français.
Le cas de l’aide juridictionnelle
Si vous avez bénéficié de l’aide juridictionnelle (AJ), c’est l’État qui a avancé tout ou partie des dépens. Si votre adversaire est condamné, votre avocat se chargera de récupérer ces sommes, qui seront ensuite reversées au Trésor Public (ou à l’administration compétente). Vous n’avez donc pas à vous préoccuper du recouvrement des frais pris en charge par l’AJ, ce qui constitue une information juridique importante pour le bénéficiaire.
Quid des frais de médiation ?
Les modes alternatifs de règlement des litiges se développent, mais comment leurs frais sont-ils traités ? Sauf accord contraire entre les parties ou décision spécifique du juge, les frais de médiation ne sont généralement pas considérés comme des dépens compris dans les dépens au sens de l’article 695 CPC (dans sa version la plus récente). Le plus souvent, ils sont partagés entre les participants. L’accord de médiation peut d’ailleurs prévoir une répartition spécifique, illustrant la souplesse de cette voie alternative au contentieux judiciaire.
Le recouvrement des dépens, bien que logique après une victoire, nécessite des démarches précises. Notre cabinet peut vous assister dans ces étapes post-jugement pour assurer le recouvrement des sommes qui vous sont dues. Contactez-nous pour discuter de votre situation et des voies d’exécution les plus pertinentes.
Foire aux questions
Qu’est-ce que les dépens ?
Les dépens sont les frais de justice engagés pour la conduite d’un procès, dont la liste est fixée par la loi (article 695 du Code de procédure civile, dans sa version en vigueur en octobre 2023). Ils incluent notamment les frais de commissaire de justice, les frais d’expertise judiciaire, le constat, ou encore les indemnités des témoins.
Les honoraires de mon avocat font-ils partie des dépens ?
Non, les honoraires d’avocat ne sont pas des dépens. Ils constituent des « frais irrépétibles » que le juge peut décider de mettre à la charge de la partie perdante, en totalité ou en partie, sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile (dans sa version de novembre 2021).
Quel est le délai pour réclamer le paiement des dépens ?
L’action en recouvrement des dépens se prescrit par cinq ans à compter de la date à laquelle la décision du tribunal est devenue définitive. Ce délai est réduit à deux ans si la partie condamnée est un consommateur (en application du droit de la consommation). La jurisprudence administrative et judiciaire a apporté des précisions sur ce point.
Que faire si la partie adverse ne paie pas les dépens ?
Une fois que vous disposez d’un titre exécutoire (certificat de vérification non contesté ou ordonnance de taxe), vous pouvez mandater un commissaire de justice pour engager des procédures de recouvrement forcé, comme une saisie sur les comptes bancaires du débiteur.
Qu’est-ce qu’un certificat de vérification des dépens ?
C’est un document officiel délivré par le greffier de la juridiction qui atteste du montant exact et conforme des dépens dus. Il est obligatoire pour la vérification et le recouvrement, avant de pouvoir rendre la créance de dépens exécutoire et de procéder à un recouvrement forcé.
Quelle est la différence entre les dépens et les frais irrépétibles ?
Les dépens sont les frais de procédure listés par la loi (art. 695 CPC, version 2023), dont le remboursement est quasi-systématique pour la partie gagnante. Les frais irrépétibles (art. 700 CPC, version consolidée), comme la rémunération de l’avocat, ne sont remboursés que si le juge l’ordonne spécifiquement en fonction de l’équité. La jurisprudence de la Cour de cassation, par de multiples arrêts, veille au respect de cette distinction.