La saisie-contrefaçon constitue une procédure probatoire particulièrement intrusive. Elle permet d’obtenir la preuve d’une contrefaçon, mais son caractère non contradictoire peut entraîner des abus. Quels recours existent pour contester ces mesures? Comment réagir efficacement quand on est visé par cette procédure, notamment avec l’aide d’un avocat expert en voies d’exécution?
Les recours visant la requête
L’appel par le requérant
Le Code de procédure civile ouvre une première voie de recours au requérant insatisfait. Selon l’article 496, alinéa 1er, « s’il n’est pas fait droit à la requête, appel peut être interjeté ». Le délai d’appel est de quinze jours à compter du jour où l’ordonnance est rendue.
Cette procédure concerne uniquement le requérant qui se voit opposer un refus total ou partiel à sa demande initiale de saisie-contrefaçon. L’appel est formé, instruit et jugé comme en matière gracieuse.
La rétractation à l’initiative du saisi
Pour le saisi, la voie principale reste le référé-rétractation, permettant de contester l’ordonnance en se fondant sur les exigences procédurales de la requête. L’article 496, alinéa 2 du Code de procédure civile permet à « toute personne qui y a intérêt » de saisir le juge qui a fait droit à la requête pour contester l’ordonnance.
Cette procédure présente une souplesse remarquable: elle n’est soumise à aucun délai particulier dans le régime de droit commun. La Cour de cassation l’a confirmé dans plusieurs arrêts, dont celui de la chambre commerciale du 7 juin 1994 (n° 92-15.108).
Le saisi peut ainsi demander au juge de:
- Modifier l’ordonnance
- La rétracter partiellement ou totalement
- Limiter la portée des mesures ordonnées
La jurisprudence est claire: le juge saisi de cette demande dispose des mêmes pouvoirs que l’auteur de l’ordonnance (Civ. 2e, 9 juill. 1997, n° 95-12.580).
Le cas particulier de la propriété littéraire et artistique
En matière de propriété littéraire et artistique, l’article L. 332-2 du Code de la propriété intellectuelle prévoit un mécanisme spécifique. Le saisi peut demander la mainlevée ou le cantonnement de la saisie dans un délai de « vingt jours ouvrables ou trente-et-un jours civils ».
Un arrêt notable (Civ. 1re, 21 mai 1990, n° 88-19.469) a précisé que ce délai court à compter de la date du procès-verbal, sans qu’une notification ne soit nécessaire.
Les recours concernant l’exécution
Contestation des conditions d’intervention de l’huissier
L’intervention de l’huissier, essentielle à l’exécution de la saisie-contrefaçon, doit respecter strictement les termes de l’ordonnance. Tout dépassement constitue un motif de nullité.
La jurisprudence exige une « stricte interprétation de l’autorisation de procéder à une saisie-contrefaçon » (Paris, 25 nov. 2009, RG n° 09/02848). Par exemple, l’huissier ne peut:
- Saisir plus d’exemplaires que prévu
- Étendre sa mission à d’autres produits
- Procéder à un interrogatoire du saisi
- Prendre des photographies sans autorisation
De même, un vice purement formel comme le défaut d’identification du requérant ou l’absence de signature de l’huissier peut entraîner la nullité.
L’inscription de faux contre le procès-verbal
Le procès-verbal de saisie-contrefaçon fait foi jusqu’à preuve du contraire. Pour contester directement son contenu, la procédure d’inscription de faux (articles 303 et suivants du Code de procédure civile) constitue l’unique voie possible.
Cette procédure vise à remettre en cause la force probante du procès-verbal, notamment quand il contient des éléments qui n’ont pu être constatés par l’huissier. La cour d’appel de Paris l’a rappelé dans un arrêt du 15 janvier 2014 (RG n° 12/09291): seule une inscription de faux permet de remettre en cause l’intégrité du procès-verbal.
Nullité pour vice de forme ou de fond
Le tribunal saisi au fond peut prononcer la nullité de la saisie-contrefaçon pour différents motifs. Cette demande constitue une défense au fond, comme l’a précisé la Cour de cassation (Com. 29 mars 2011, n° 09-16.330).
Par conséquent:
- Elle peut être soulevée pour la première fois en appel
- Elle n’a pas à être présentée in limine litis
- Elle relève de la compétence du juge du fond et non du juge des référés
Selon la Chambre commerciale (19 janvier 2010, n° 08-18.732), le moyen de nullité d’une saisie-contrefaçon ne constitue pas une exception de procédure.
Les recours liés à l’action au fond
Nullité pour défaut d’action
Le défaut d’action au fond dans le délai prescrit entraîne la nullité de la saisie.
Les textes sont explicites: « à défaut pour le demandeur de s’être pourvu au fond […] l’intégralité de la saisie, y compris la description, est annulée à la demande du saisi » (articles L. 332-4, L. 521-4, L. 615-5, L. 623-27-1, L. 716-4-7 et L. 722-4 du Code de la propriété intellectuelle).
Le délai d’action est de « vingt jours ouvrables ou trente-et-un jours civils si ce délai est plus long » à compter de la saisie. Son non-respect est sanctionné sévèrement, sans que le saisi n’ait à démontrer l’existence d’un grief (Com. 3 juin 2003, n° 01-14.214).
La Cour de cassation a précisé que le moyen tiré du défaut d’action au fond est une nullité de fond dont le prononcé n’est pas subordonné à la preuve d’un grief (Civ. 1re, 26 mai 2011, n° 10-14.495).
Engagement de nouvelles mesures après annulation
L’annulation d’une saisie-contrefaçon n’empêche pas le titulaire du droit privatif de faire pratiquer une nouvelle mesure. La Chambre commerciale l’a clairement établi dans son arrêt du 8 juillet 2008 (n° 07-15.075): la réitération d’une saisie annulée n’est pas, en elle-même, constitutive d’abus.
Par ailleurs, l’annulation d’une saisie-contrefaçon n’empêche pas l’action en contrefaçon de prospérer si d’autres éléments probants sont produits (Paris, 10 septembre 2008, RG n° 07/17462).
Demande de dommages-intérêts
Le saisi peut réclamer des dommages-intérêts en cas d’abus dans l’exercice de la saisie-contrefaçon.
Dans un cas notable, la Cour de cassation a validé l’octroi de dommages-intérêts lorsque le saisissant avait procédé à une saisie en sachant qu’il n’avait pas déposé son modèle (Com. 10 janvier 1995, n° 92-17.616).
De même, dans une affaire où l’huissier avait révélé des informations confidentielles, le tribunal a alloué 20 000 € de dommages-intérêts au saisi (TGI Paris, 7 janvier 2009, RG n° 08/00116).
Stratégies de défense contre une saisie-contrefaçon
Réaction immédiate
La première réaction doit être de vérifier méticuleusement:
- La signification de l’ordonnance avant le début des opérations
- Le respect du délai raisonnable entre signification et début des opérations
- L’identification précise des personnes accompagnant l’huissier
- La stricte limitation des opérations aux termes de l’ordonnance
Le procès-verbal doit mentionner l’heure de la signification et l’heure du début des opérations. Leur comparaison permet d’évaluer si un « délai raisonnable » a été respecté.
Protection des informations confidentielles
Si des informations confidentielles sont en jeu, le saisi doit immédiatement:
- Demander la mise sous scellés des éléments saisis
- Solliciter la désignation d’un expert pour trier les documents
- Invoquer si nécessaire la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 sur la protection du secret des affaires
La jurisprudence admet que « le caractère confidentiel des pièces saisies ne saurait faire échapper leur examen au principe du contradictoire même si celui-ci doit être aménagé » (TGI Paris, 31 octobre 2000).
Contestation sur le fond
Si des failles substantielles apparaissent, la stratégie peut viser:
- Une demande de rétractation immédiate devant le juge des référés
- Une contestation devant le juge du fond en invoquant l’absence de droits du requérant
- Une action en dommages-intérêts en cas d’abus caractérisé
Un arrêt marquant de la Cour de cassation (Civ. 1re, 25 janvier 2017, n° 15-25.210) a invalidé un constat d’achat effectué par le stagiaire du cabinet d’avocat du saisissant pour violation du principe de loyauté dans l’administration de la preuve.
Sources
- Code de la propriété intellectuelle, articles L. 332-1 à L. 332-4, L. 521-4, L. 615-5, L. 623-27-1, L. 716-4-7, L. 722-4
- Code de procédure civile, articles 114, 303, 496, 497
- Cour de cassation, chambre commerciale, 8 juillet 2008, n° 07-15.075
- Cour de cassation, 1ère chambre civile, 26 mai 2011, n° 10-14.495
- Cour de cassation, chambre commerciale, 19 janvier 2010, n° 08-18.732
- Cour de cassation, 1ère chambre civile, 25 janvier 2017, n° 15-25.210
- Cour de cassation, 2ème chambre civile, 9 juillet 1997, n° 95-12.580
- Cour d’appel de Paris, 25 novembre 2009, RG n° 09/02848
- Tribunal de grande instance de Paris, 7 janvier 2009, RG n° 08/00116