Le recouvrement transfrontalier de créances en Europe s’est considérablement simplifié grâce à la procédure d’injonction de payer européenne. Cependant, cette efficacité accrue pour les créanciers soulève une question légitime : comment protéger les défendeurs contre les abus potentiels ou les erreurs ? La procédure prévoit des mécanismes de protection spécifiques, notamment le droit au réexamen dans des situations exceptionnelles.
Le délicat équilibre entre efficacité et droits de la défense
La procédure européenne d’injonction de payer, instaurée par le Règlement (CE) n° 1896/2006, repose sur le principe d’inversion du contentieux. Le défendeur n’est informé qu’après délivrance de l’injonction et dispose de 30 jours pour s’y opposer. Sans opposition, l’injonction devient exécutoire.
Ce mécanisme, efficace pour les créanciers, comporte des risques pour les défendeurs. Que faire si l’acte n’a pas été correctement notifié ou si l’injonction a été délivrée à tort ?
Le réexamen dans des cas exceptionnels : une soupape de sécurité
L’article 20 du Règlement prévoit une procédure de réexamen après expiration du délai d’opposition. Deux cas d’ouverture existent.
Premier cas : notification tardive ou force majeure
Le défendeur peut demander un réexamen lorsque :
- L’injonction a été notifiée selon un mode sans preuve de réception (article 14 du Règlement) et que cette notification n’est pas intervenue en temps utile pour préparer sa défense, sans faute de sa part.
- Il a été empêché de contester la créance pour cause de force majeure ou en raison de circonstances extraordinaires, sans faute de sa part.
Dans les deux hypothèses, le défendeur doit agir « promptement ».
Second cas : injonction manifestement délivrée à tort
Le réexamen est également possible lorsque l’injonction a été délivrée à tort au vu des exigences du Règlement ou en raison d’autres « circonstances exceptionnelles ».
Cette disposition vise les cas d’irrégularités procédurales manifestes, comme l’incompétence de la juridiction d’origine ou l’absence de caractère transfrontalier du litige.
Une interprétation restrictive par la CJUE
La Cour de justice de l’Union européenne a adopté une approche stricte du réexamen, pour préserver l’efficacité de la procédure.
Dans l’affaire Novontech-Zala (ordonnance du 21 mars 2013), la Cour a jugé que le manque de diligence du représentant du défendeur ne constituait pas une « circonstance extraordinaire » justifiant un réexamen.
Plus récemment, dans l’affaire Thomas Cook Belgium (22 octobre 2015), la CJUE a rejeté la possibilité d’un réexamen fondé sur une prétendue incompétence de la juridiction d’origine, reposant sur des informations supposément erronées fournies par le demandeur.
Ces décisions montrent la volonté de la Cour de limiter le recours à cette procédure exceptionnelle.
La procédure de réexamen en pratique
En droit français, la procédure est encadrée par les articles 1424-8 à 1424-15 du Code de procédure civile.
La demande se forme au greffe de la juridiction ayant rendu l’injonction, par déclaration contre récépissé ou lettre recommandée. Contrairement à l’opposition, aucun formulaire type n’est prévu au niveau européen.
Si le réexamen est accordé, l’injonction est déclarée nulle et non avenue. Dans le cas contraire, elle reste pleinement valable. La décision est susceptible d’appel si le montant de la demande excède 4 000 euros.
Un dispositif perfectible
Le mécanisme de réexamen présente plusieurs faiblesses :
- L’absence de formulaire standardisé complique la tâche des défendeurs.
- La notion de « promptitude » reste floue, sans délai précis fixé par le Règlement.
- Les notions de « circonstances extraordinaires » ou « exceptionnelles » manquent de clarté.
Une réforme inspirée du Règlement (CE) n° 4/2009 sur les obligations alimentaires pourrait résoudre certaines de ces difficultés en :
- Supprimant la distinction fondée sur le mode de notification
- Clarifiant les cas d’ouverture du réexamen
- Établissant un délai précis, comme celui de 30 jours proposé dans d’autres instruments européens
Notons également que le défendeur peut demander la suspension ou la limitation de l’exécution auprès des juridictions compétentes de l’État d’exécution, conformément à l’article 23 du Règlement.
Le contentieux récent montre l’importance cruciale de la notification. Dans un arrêt du 5 décembre 2024 (C-389/23), la CJUE a validé la possibilité pour les droits nationaux d’imposer la nullité de l’injonction en cas de signification irrégulière.
Nos conseils pour les défendeurs confrontés à une injonction de payer européenne :
- Vérifiez immédiatement les conditions de notification
- Consultez rapidement un avocat pour évaluer les recours disponibles
- N’attendez pas : agissez dans les plus brefs délais, la notion de « promptitude » étant interprétée strictement
Des questions sur vos droits en matière d’injonction de payer européenne ou besoin d’assistance pour contester une décision ? Notre cabinet d’avocats spécialisé en droit européen se tient à votre disposition pour examiner votre situation et vous proposer la stratégie juridique adaptée.
Sources
- Règlement (CE) n° 1896/2006 du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d’injonction de payer
- CJUE, ord. du 21 mars 2013, Novontech-Zala kft. c/ Logicdata Electronic & Software Entwicklungs GmbH, aff. C-324/12
- CJUE, 4e ch., 22 octobre 2015, Thomas Cook Belgium NV c/ Thurner Hotel GmbH, aff. C-245/14
- CJUE, 3e ch., 4 septembre 2014, affaires jointes C-119/13 et C-120/13, Eco cosmetics et Raiffeisenbank
- CJUE, 5 décembre 2024, aff. C-389/23
- Articles 1424-8 à 1424-15 du Code de procédure civile français
- G. PAYAN, « Procédure d’injonction de payer européenne », Répertoire de procédure civile, Dalloz, janvier 2018