Dans l’ombre de notre système juridique œuvrent les commissaires de justice. Ces professionnels manient quotidiennement des pouvoirs considérables : ils signifient des actes, exécutent des décisions de justice, procèdent à des saisies. Une question s’impose alors : comment s’assurer de leur probité et de leur compétence ?
Le législateur y a répondu par une architecture professionnelle rigoureuse et un système disciplinaire précis. Plongée dans cet univers structuré.
La structure organisationnelle de la profession
Les chambres régionales : les piliers territoriaux
Au niveau local, les commissaires de justice sont organisés en chambres régionales ou interrégionales.
Chaque cour d’appel abrite dans son ressort une chambre régionale des commissaires de justice (article 15 de l’ordonnance n°2016-728 du 2 juin 2016). Leur composition varie selon la démographie professionnelle :
- 7 membres pour moins de 70 commissaires de justice
- 11 membres pour 70 à 139 commissaires
- 15 membres pour 140 à 199 commissaires
- 19 membres au-delà de 200 commissaires
Ces chambres exercent plusieurs missions importantes :
- Représenter les commissaires de justice du ressort
- Vérifier la comptabilité et l’organisation des études
- Contrôler le respect des obligations anti-blanchiment
- Prévenir et arbitrer les différends professionnels
- Donner des avis sur les actions en responsabilité
Les chambres régionales constituent le premier échelon disciplinaire. Leur président peut prendre des mesures administratives (rappel à l’ordre, injonction) en cas de manquement d’un professionnel.
La Chambre nationale : l’autorité centrale
Au niveau national, la Chambre nationale des commissaires de justice, établissement d’utilité publique, coordonne l’ensemble de la profession.
Sa composition actuelle comprend 47 délégués élus, en attendant un régime définitif en 2026. Son bureau comprend un président, des vice-présidents et divers membres.
Ses attributions sont multiples :
- Représenter la profession auprès des pouvoirs publics
- Organiser la formation professionnelle initiale et continue
- Préparer le code de déontologie
- Régler les différends entre chambres régionales
- Exercer l’action disciplinaire dans certains cas
La Chambre nationale gère également la caisse des prêts, service spécifique qui aide au financement de l’installation des jeunes professionnels.
Les règles déontologiques : un cadre éthique exigeant
Le code de déontologie : fondement de l’éthique professionnelle
Un code de déontologie a été adopté et mis en application le 1er mars 2024 par le décret n°2023-1296 du 28 décembre 2023. Il énonce les principes essentiels régissant la profession.
Ce code traite :
- Des devoirs généraux liés à la fonction
- Des obligations dans les relations entre professionnels
- Des devoirs envers les parties et les tiers
Il s’applique aux commissaires de justice dans toutes leurs activités, y compris en dehors de l’exercice professionnel.
Le collège de déontologie : instance consultative
L’article 3 de l’ordonnance n°2022-544 du 13 avril 2022 a créé un collège de déontologie. Composé d’un président, de deux professionnels et de deux personnalités extérieures qualifiées, il :
- Participe à l’élaboration du code de déontologie
- Émet des avis sur son application
- Formule des recommandations
- Peut être consulté sur des situations individuelles
Les membres sont nommés pour trois ans par le président de la Chambre nationale. Jusqu’au premier renouvellement, le collège doit comprendre un ancien commissaire-priseur judiciaire et un ancien huissier de justice.
La procédure disciplinaire : un mécanisme de contrôle rigoureux
Les juridictions disciplinaires : une architecture à deux niveaux
La réforme de 2022 a profondément modifié l’organisation disciplinaire. Elle repose désormais sur :
- Les chambres de discipline (première instance)
- Instituées auprès des chambres régionales désignées par arrêté
- Composées d’un magistrat du siège (président) et de deux commissaires de justice
- Dotées d’un service d’enquête indépendant
- La Cour nationale de discipline (appel)
- Instituée auprès de la Chambre nationale
- Composée d’un magistrat de la Cour de cassation (président), de deux magistrats du siège et de deux commissaires de justice
Les manquements disciplinaires : définition large
L’article 7 de l’ordonnance n°2022-544 du 13 avril 2022 définit le manquement disciplinaire comme :
- Toute contravention aux lois et règlements
- Tout fait contraire au code de déontologie
- Toute infraction aux règles professionnelles
Cette définition englobe même les faits commis en dehors de l’exercice professionnel.
Les sanctions disciplinaires : gradation des peines
L’article 16 de l’ordonnance n°2022-544 prévoit les sanctions suivantes :
- L’avertissement
- Le blâme
- L’interdiction d’exercer à titre temporaire (max. 10 ans)
- La destitution (interdiction définitive)
- Le retrait de l’honorariat
Une amende peut s’ajouter à ces sanctions, dans la limite de 10 000 € ou 5% du chiffre d’affaires.
En cas d’urgence ou pour protéger des intérêts, une mesure de suspension provisoire peut être prononcée pour six mois (renouvelable une fois).
Les voies de recours : garanties procédurales
Les décisions disciplinaires sont susceptibles d’appel devant la Cour nationale de discipline dans un délai de deux mois.
Le commissaire de justice suspendu ou interdit peut demander son relèvement après plusieurs années d’exercice irréprochable.
Protection des droits des justiciables
Le dispositif disciplinaire protège efficacement les justiciables. Toute personne confrontée à un comportement problématique peut adresser une réclamation au président de la chambre régionale.
Cette réclamation suit une procédure précise :
- Accusé de réception
- Information du professionnel mis en cause
- Tentative de conciliation
- En cas d’échec, possibilité de saisir la juridiction disciplinaire
Si vous estimez qu’un commissaire de justice a commis une faute professionnelle, documenter précisément les faits reprochés s’avère essentiel. La réclamation doit contenir l’identification précise des parties, un exposé des faits et toutes pièces utiles.
Avant d’engager une telle démarche, évaluer juridiquement la situation permet souvent d’identifier les solutions les plus adaptées et d’organiser efficacement la défense de vos intérêts. Notre cabinet peut vous accompagner dans cette analyse et vous guider vers la meilleure stratégie.
Sources
- Ordonnance n°2016-728 du 2 juin 2016 relative au statut de commissaire de justice
- Ordonnance n°2022-544 du 13 avril 2022 relative à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels
- Décret n°2022-900 du 17 juin 2022 relatif à la déontologie et à la discipline des officiers ministériels
- Décret n°2023-1296 du 28 décembre 2023 portant code de déontologie des commissaires de justice
- Décret n°2022-729 du 28 avril 2022 relatif à l’organisation de la profession de commissaire de justice
- Arrêté du 22 avril 2022 désignant les chambres de discipline instituées en application de l’article 11 de l’ordonnance n°2022-544 du 13 avril 2022