Chèque sans provision : comprendre l’interdiction bancaire et ses conséquences

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Le « chèque en bois ». L’expression seule suffit à susciter l’inquiétude. Émettre un chèque sans disposer des fonds nécessaires sur son compte bancaire n’est pas un acte anodin en droit français. Loin d’être une simple négligence, cela déclenche un processus strict appelé « interdiction bancaire », dont les répercussions peuvent être particulièrement contraignantes au quotidien. Comprendre ce mécanisme, le rôle de la Banque de France, les possibilités pour régulariser la situation et les sanctions encourues est essentiel pour toute personne utilisant des chèques.

Cet article vise à démystifier les conséquences d’un chèque sans provision, en expliquant clairement le fonctionnement de l’interdiction bancaire et les démarches à suivre si vous êtes confronté à cette situation.

L’incident de paiement : le point de départ

Tout commence par ce que la loi appelle un « incident de paiement ». Il survient lorsque votre banque (le « tiré ») refuse de payer un chèque que vous avez émis, au motif que la provision sur votre compte est insuffisante ou totalement absente. Le simple fait d’être à découvert ne signifie pas automatiquement qu’il y a absence de provision, si vous bénéficiez d’une autorisation de découvert confirmée et suffisante. L’incident naît du refus de paiement par la banque pour ce motif précis.

Ce refus de paiement peut entraîner des conséquences, notamment des recours spécifiques si le chèque est impayé pour d’autres raisons, comme sa perte, son vol ou sa falsification.

Il est important de souligner une obligation légale qui pèse sur votre banque avant de refuser le paiement et de déclencher la procédure. L’article L.131-73 du Code monétaire et financier impose au banquier « d’informer le titulaire du compte des conséquences du défaut de provision, par tout moyen approprié ». Cette information préalable doit vous permettre, si l’incident résulte d’un oubli ou d’un décalage de trésorerie, d’approvisionner votre compte en urgence pour éviter le rejet et l’interdiction qui s’ensuit. La banque doit vous laisser un délai raisonnable pour réagir après cette information. Si elle manque à cette obligation, elle peut engager sa responsabilité, même si cela n’annule pas l’interdiction si le chèque est effectivement rejeté faute de fonds.

Le rejet d’un chèque tiré sur un compte clôturé est également assimilé à un incident de paiement pour défaut de provision, pendant un an après la clôture.

Le mécanisme de l’interdiction bancaire

Le rôle de votre banque (le tiré)

  1. Enregistrement : Elle doit enregistrer l’incident de paiement dans ses livres.
  2. Injonction : Elle doit vous adresser une lettre d’injonction. Ce courrier, obligatoirement envoyé en recommandé avec accusé de réception, vous informe formellement du rejet, vous enjoint de ne plus émettre de chèques (sauf exceptions que nous verrons) et vous somme de restituer toutes les formules de chèques en votre possession (et celles détenues par vos éventuels mandataires) à tous vos banquiers. La lettre doit contenir des mentions précises définies par la réglementation (article R.131-15 du Code monétaire et financier).
  3. Déclaration : Elle doit déclarer l’incident de paiement à la Banque de France.

Le rôle centralisateur de la Banque de France

  1. Le Fichier Central des Chèques (FCC) : Elle centralise toutes les déclarations d’incidents de paiement et les interdictions bancaires (et judiciaires) dans ce fichier national. Le FCC est essentiellement le fichier des personnes interdites d’émettre des chèques.
  2. Information des autres banques : Grâce à son accès au Fichier des Comptes Bancaires (FICOBA, géré par l’administration fiscale), la Banque de France identifie tous les comptes bancaires détenus par la personne interdite. Elle informe alors chacune des banques concernées de l’interdiction (article L.131-85 du Code monétaire et financier). C’est ce qui rend l’interdiction générale et efficace : elle s’applique à tous vos comptes, dans toutes les banques.
  3. Le Fichier National des Chèques Irréguliers (FNCI) : À ne pas confondre avec le FCC, le FNCI est un fichier distinct accessible (via des services payants comme Vérifiance) aux commerçants et autres bénéficiaires de chèques. Il leur permet de vérifier, avant d’accepter un chèque, si celui-ci n’est pas signalé comme irrégulier (tiré sur un compte clôturé, émis par une personne interdite, ou correspondant à une formule déclarée perdue ou volée).

La portée de l’interdiction bancaire

Qui est concerné ?

L’interdiction frappe le titulaire du compte sur lequel l’incident a eu lieu. Le cas des comptes joints est spécifique. Sauf si les cotitulaires ont désigné par avance et d’un commun accord l’un d’entre eux comme responsable unique des incidents (qui sera alors interdit sur tous ses comptes personnels et sur le compte joint), l’interdiction s’applique à tous les cotitulaires, et ce, sur le compte joint et sur tous leurs comptes personnels respectifs (article L.131-80 du Code monétaire et financier). La prudence est donc de mise lors de l’ouverture et de la gestion d’un compte joint.

Qu’en est-il d’un mandataire (une personne ayant procuration sur le compte) qui émet un chèque sans provision ? La situation a été débattue, mais la jurisprudence semble considérer que l’interdiction peut aussi l’atteindre sur ses comptes personnels, en plus du titulaire.

Qu’est-il interdit de faire ?

La personne interdite bancaire n’a plus le droit d’émettre des chèques de paiement. C’est l’interdiction principale. Elle conserve cependant le droit :

  • D’émettre des chèques de retrait, pour retirer des fonds directement au guichet de sa banque (si le compte est approvisionné).
  • D’émettre des chèques certifiés (la banque bloque alors la provision correspondante) ou d’utiliser des chèques de banque (émis par la banque elle-même, qui en garantit le paiement).

Comprendre les règles générales de paiement par chèque et d’opposition est crucial pour éviter de nouveaux incidents et gérer sereinement ses transactions.

En conséquence, dès qu’une banque a connaissance de l’interdiction (soit parce qu’elle l’a prononcée, soit parce qu’elle en a été informée par la Banque de France), elle ne doit plus délivrer de formules de chèques « classiques » à la personne concernée.

Quelle durée ?

L’interdiction bancaire dure cinq ans à compter de la date de l’injonction, sauf si une régularisation intervient avant ce terme (article L.131-78 du Code monétaire et financier). Si plusieurs incidents non régularisés surviennent, la durée de cinq ans court à partir de la dernière injonction reçue.

Sortir de l’interdiction : la régularisation

Il est possible de mettre fin à l’interdiction bancaire avant le terme des cinq ans par la « régularisation » de l’incident (ou des incidents) de paiement.

Comment régulariser ?

Deux voies principales existent, selon l’article L.131-73 du Code monétaire et financier :

  1. Payer directement le chèque impayé : Vous réglez le montant dû au bénéficiaire par un autre moyen (espèces, virement…). La preuve de cette régularisation auprès de votre banque se fait impérativement par la restitution physique du chèque initialement rejeté. Un simple reçu du bénéficiaire n’est généralement pas suffisant.
  2. Constituer une provision suffisante et affectée : Vous versez sur votre compte les fonds nécessaires pour couvrir le montant du chèque impayé, en indiquant expressément à votre banque que cette somme est destinée au paiement de ce chèque spécifique. La banque doit alors bloquer cette somme au profit du bénéficiaire pendant un an (article R.131-22 du Code monétaire et financier). Le bénéficiaire peut alors se faire payer sur cette provision bloquée, même si le chèque était initialement revenu impayé.

Il faut régulariser tous les chèques ayant fait l’objet d’un incident sur le compte concerné pour obtenir la levée de l’interdiction attachée à ce compte. Si des incidents ont eu lieu sur plusieurs comptes, la régularisation doit être complète sur chacun d’eux.

Notez que la loi considère que la régularisation est acquise par le paiement du montant du chèque. Elle ne conditionne pas la levée de l’interdiction au paiement des éventuels frais ou dommages et intérêts supplémentaires dus au bénéficiaire.

Historiquement, la régularisation impliquait aussi le paiement de pénalités progressives au Trésor Public. Ces pénalités ont été supprimées en 2010 pour ne pas aggraver la situation des personnes en difficulté.

Formalisation de la levée de l’interdiction

Une fois la régularisation justifiée auprès de la banque (par la remise du chèque payé ou la constitution de la provision), celle-ci doit :

  • Mentionner la régularisation sur ses registres.
  • Vous délivrer une attestation de régularisation.
  • Informer la Banque de France de la régularisation dans les deux jours ouvrés (article R.131-31 du Code monétaire et financier).

La Banque de France met alors à jour le FCC et informe les autres banques concernées de la levée de l’interdiction (article R.131-42). Vous retrouvez alors le droit d’émettre des chèques (même si une banque peut toujours refuser de vous délivrer un chéquier pour d’autres motifs liés à votre situation).

Cas particuliers

  • Procédures collectives : L’ouverture d’une sauvegarde, d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire a des incidences complexes sur la régularisation (suspension de paiements, extinction de créances non déclarées, levée de l’interdiction lors de l’adoption d’un plan…). L’homologation d’un accord de conciliation peut lever l’interdiction.
  • Surendettement des particuliers : Un plan de surendettement n’entraîne pas automatiquement la levée de l’interdiction. Cependant, si le plan aboutit à un effacement des dettes (procédure de rétablissement personnel), cela vaut régularisation pour les chèques concernés.

Les frais bancaires

La banque est en droit de facturer des frais pour le rejet d’un chèque sans provision. Cependant, pour éviter des abus, ces frais sont plafonnés par décret (article D.131-25 du Code monétaire et financier). Le plafond dépend du montant du chèque (actuellement, 30 € pour un chèque ≤ 50 €, et 50 € au-delà). Ce plafond inclut tous les frais facturés par la banque pour cet incident (lettre d’information préalable, injonction, frais de rejet…).

Contester une interdiction bancaire

Il peut arriver qu’une interdiction bancaire soit prononcée à tort. Que faire dans ce cas ?

L’annulation par la banque

Si l’incident résulte d’une erreur manifeste de la banque (par exemple, rejet alors que la provision était suffisante, erreur dans la tenue de compte, non-prise en compte d’une ouverture de crédit valide), vous pouvez demander à votre banque d’annuler la déclaration d’incident. Si elle reconnaît son erreur, elle demandera l’annulation à la Banque de France (article R.131-27 du Code monétaire et financier). L’annulation est également possible si la provision a disparu pour une raison qui ne vous est pas imputable (débit frauduleux par un tiers, par exemple).

Le recours judiciaire

Si la banque refuse l’annulation ou si vous contestez le bien-fondé de l’incident pour d’autres raisons, vous pouvez saisir la juridiction civile (Tribunal Judiciaire ou Juge des contentieux de la protection, selon les cas). Cette action en justice n’est pas automatiquement suspensive, c’est-à-dire que l’interdiction continue de s’appliquer pendant la procédure. Toutefois, le juge (y compris en référé, c’est-à-dire en urgence) peut ordonner la suspension de l’interdiction s’il estime qu’il existe une contestation sérieuse (article L.131-79 du Code monétaire et financier).

Les sanctions pénales (aujourd’hui résiduelles)

Il est essentiel de comprendre que le délit principal d’émission de chèque sans provision a été supprimé du Code pénal en 1991. Émettre un chèque sans provision n’est plus, en soi, une infraction pénale passible d’emprisonnement ou d’amende pénale (même si cela peut, dans des cas très spécifiques de manœuvres élaborées, être requalifié en escroquerie).

Cependant, certaines infractions liées au chèque subsistent dans le Code monétaire et financier :

  • Le retrait de la provision (article L.163-2) : Retirer volontairement les fonds après avoir émis un chèque, dans l’intention de nuire au bénéficiaire.
  • Le blocage illicite de la provision (article L.163-2) : Faire opposition au paiement d’un chèque pour un motif non autorisé par la loi.
  • La violation d’une interdiction (article L.163-2 et L.163-7) : Émettre un chèque de paiement alors qu’on est sous le coup d’une interdiction bancaire ou d’une interdiction judiciaire (qui peut être prononcée par un juge pénal comme peine complémentaire pour d’autres délits).

La gestion d’un chèque sans provision, dont les bases d’émission sont essentielles à comprendre, et de ses conséquences peut s’avérer complexe. Si vous vous reconnaissez dans cette situation, n’hésitez pas à contacter notre cabinet pour discuter de vos options et notre expertise en droit bancaire et financier.

Sources

  • Code monétaire et financier (notamment Livre I, Titre III, Chapitre I et Livre I, Titre VI, Chapitre III)
  • Code de commerce (dispositions relatives aux procédures collectives)
  • Code de la consommation (dispositions relatives au surendettement)

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