Si le chèque reste un moyen de paiement pratique, il n’est pas exempt de risques. Au-delà du problème bien connu du chèque sans provision, d’autres incidents peuvent survenir : perte, vol, falsification… Que faire si vous êtes confronté à l’une de ces situations ? Et si, tout simplement, le chèque que l’on vous a remis revient impayé, quelles sont les démarches pour tenter de recouvrer votre dû ?
Cet article explore les différentes difficultés qui peuvent émailler la vie d’un chèque après son émission, les responsabilités engagées en cas de fraude, et les voies de recours ouvertes en cas de non-paiement.
Comment un chèque circule-t-il ?
Un chèque n’est pas toujours destiné à être encaissé directement par son premier bénéficiaire. Il peut circuler, c’est-à-dire être transmis à d’autres personnes. Le mode de transmission principal est l’endossement.
L’endossement translatif : transférer la propriété
C’est la forme la plus courante d’endossement pour les chèques « à ordre » (la mention « à ordre » est implicite, sauf si le chèque est « non à ordre »). L’endosseur (celui qui détient le chèque) appose sa signature au dos (souvent accompagnée de la mention « payez à l’ordre de… » suivie du nom du nouveau bénéficiaire, l’endossataire). Cet acte, régi par les articles L.131-17 et suivants du Code monétaire et financier, a trois effets majeurs :
- Transfert des droits : Il transfère à l’endossataire la propriété du chèque et, surtout, le droit sur la provision correspondante.
- Garantie de paiement : Sauf clause contraire (« sans garantie »), l’endosseur devient garant solidaire du paiement du chèque vis-à-vis des porteurs ultérieurs (articles L.131-21 et L.131-51). Si le chèque n’est pas payé, on pourra se retourner contre lui.
- Inopposabilité des exceptions : C’est un principe clé du droit cambiaire (article L.131-25). L’endossataire de bonne foi est protégé contre les exceptions (moyens de défense) que le tireur ou un endosseur précédent pourrait avoir contre leur propre créancier. Par exemple, si A émet un chèque à B pour une marchandise défectueuse, et que B endosse le chèque à C (qui ignore le défaut), A ne pourra pas refuser de payer C en invoquant le problème de la marchandise. Il devra payer C, quitte à se retourner ensuite contre B.
L’endossement de procuration : mandater pour l’encaissement
Prévu par l’article L.131-26 du Code monétaire et financier, cet endossement (avec des mentions comme « valeur en recouvrement », « pour encaissement ») ne transfère pas la propriété du chèque. Il donne simplement mandat à l’endossataire (souvent une banque) d’encaisser le chèque pour le compte de l’endosseur. Le banquier doit alors agir avec diligence dans l’accomplissement de ce mandat.
Autres modes de transmission
- La tradition : Pour les chèques « au porteur » (sans nom de bénéficiaire désigné), la simple remise matérielle suffit à transférer les droits.
- La cession de créance : Pour les chèques marqués « non à ordre », la transmission en propriété ne peut se faire que par les formalités plus lourdes de la cession de créance (article 1690 du Code civil), qui n’offre pas les mêmes protections que l’endossement.
Chèque perdu ou volé : que faire ?
La perte ou le vol d’un chèque (ou d’un chéquier entier) est une situation stressante qui nécessite une réaction rapide.
L’opposition : le premier réflexe
Que vous soyez le tireur qui constate la disparition de formules vierges, ou le bénéficiaire qui a perdu un chèque reçu, le premier geste impératif est de faire opposition auprès de la banque tirée. Comme vu dans l’article précédent, la perte et le vol sont des motifs légitimes d’opposition (article L.131-35 du Code monétaire et financier). N’oubliez pas de confirmer immédiatement votre opposition par écrit. La banque informera la Banque de France pour inscription au FNCI.
Les droits du propriétaire dépossédé
Si vous avez perdu un chèque qui vous était dû, la loi vous offre des possibilités pour être payé malgré tout (articles L.131-40 à L.131-43). Vous pouvez demander au juge des référés l’autorisation de vous faire payer par la banque tirée, en justifiant de votre droit et en fournissant une caution (une garantie financière). Vous pouvez aussi demander au tireur d’émettre un duplicata, mais son paiement nécessitera aussi souvent une ordonnance du juge. En pratique, ces procédures étant complexes, la solution la plus fréquente est de demander amiablement au tireur d’émettre un nouveau chèque, après avoir fait opposition sur le premier et en prenant des précautions.
Les droits du porteur de bonne foi
Que se passe-t-il si le chèque perdu ou volé est retrouvé et présenté au paiement par une personne qui l’a reçu sans savoir qu’il avait été perdu ou volé ? Le droit cambiaire protège le porteur de bonne foi (article L.131-24). Si la personne qui présente le chèque l’a acquis légitimement (par une suite d’endossements régulière s’il est à ordre, ou par simple détention s’il est au porteur), sans connaître l’origine frauduleuse et sans avoir commis de « faute lourde » (c’est-à-dire sans avoir ignoré des indices évidents de l’irrégularité), elle sera généralement préférée au propriétaire initial dépossédé. Elle pourra alors demander en justice (en référé) la mainlevée de l’opposition pour se faire payer.
Chèque faux ou falsifié : qui est responsable ?
La fraude peut prendre deux formes principales :
- Le faux dès l’origine : la signature du tireur est imitée sur une formule (souvent volée). Le chèque n’a jamais été valablement émis.
- La falsification : un chèque initialement valable est modifié après coup (changement du montant, du nom du bénéficiaire…).
La question cruciale est de savoir qui doit supporter le préjudice si la banque paie un tel chèque. La réponse dépend largement des fautes commises par les différentes parties.
Le principe : la responsabilité de la banque en cas de fausse signature
La jurisprudence, fondée sur les obligations du banquier dépositaire (article 1937 du Code civil), considère que la banque (le tiré) n’est, en principe, pas libérée si elle paie un chèque dont la signature du tireur est fausse dès l’origine. Elle a payé sur un ordre inexistant et doit donc recréditer le compte de son client, sauf si ce dernier a lui-même commis une faute ayant permis ou facilité la fraude.
En cas de falsification d’un chèque initialement régulier, le risque pèse d’abord sur le tireur. Il ne pourra se retourner contre sa banque que s’il prouve qu’elle a commis une négligence en ne détectant pas une falsification apparente.
Les fautes possibles des acteurs
La responsabilité finale dépendra souvent d’un faisceau d’indices et de l’appréciation des fautes de chacun :
- Fautes de la banque (tiré) :
- Ne pas détecter une imitation grossière de la signature (la banque n’est pas un expert graphologue, mais doit repérer les anomalies évidentes).
- Payer malgré une altération visible (grattage, surcharge…).
- Ne pas vérifier la régularité de la chaîne des endossements si elle est apparente.
- Payer malgré une opposition valablement formée.
- Fautes du titulaire du compte (tireur) :
- Négligence grave dans la garde du chéquier (le laisser traîner dans un lieu accessible, par exemple).
- Signer des chèques en blanc.
- Tarder à vérifier ses relevés de compte, ce qui permet à une fraude de se poursuivre sur plusieurs chèques. Un contrôle régulier est indispensable.
- Tarder à faire opposition après la découverte d’une perte ou d’un vol.
- Manque de surveillance d’un préposé ayant accès aux moyens de paiement (bien que la simple qualité de préposé agissant hors de ses fonctions n’engage plus automatiquement la responsabilité de l’employeur pour le faux lui-même).
- Fautes du bénéficiaire : Négligence dans la conservation du chèque après l’avoir reçu, participation à la fraude…
Le partage fréquent des responsabilités
Très souvent, les tribunaux constatent des fautes des deux côtés (banque et client). Dans ce cas, ils procèdent à un partage de responsabilité, et la banque ne devra recréditer le compte qu’en partie, en fonction de la gravité des fautes respectives.
Le chèque n’est pas payé : les recours
Si un chèque vous revient impayé (faute de provision, opposition abusive…), vous disposez de plusieurs moyens pour tenter de recouvrer votre créance.
Faire constater officiellement le non-paiement
Avant d’engager des poursuites, il faut une preuve du défaut de paiement :
- L’attestation de rejet : Document simple, remis gratuitement par la banque tirée (ou via votre banque) lorsque le paiement est refusé pour défaut de provision (article R.131-46). Elle permet d’engager certaines actions mais n’a pas la force d’un acte officiel.
- Le certificat de non-paiement (CNP) : Plus puissant, il est délivré par la banque tirée, soit d’office après une seconde présentation infructueuse et un délai de 30 jours, soit sur demande du porteur (article L.131-73). Ce document, une fois signifié au tireur par un huissier de justice, permet à ce dernier d’établir un titre exécutoire sans avoir besoin d’un jugement. C’est une voie de recouvrement rapide et efficace contre le tireur. Pour les chèques émis par des entreprises ou professionnels, le CNP fait l’objet d’une publicité légale.
- Le protêt : C’est un acte authentique dressé par un huissier ou un notaire constatant le refus de paiement (articles L.131-47 et suivants). Il est indispensable si vous voulez conserver vos recours contre les éventuels endosseurs ou autres garants (avaliseurs). Il doit être dressé dans des délais stricts (avant l’expiration du délai de présentation). Une clause « sans frais » ou « sans protêt » sur le chèque dispense de cette formalité.
Les actions en justice
Plusieurs types d’actions peuvent être envisagées :
- Les recours « cambiaires » : Ils sont fondés directement sur le chèque. Le porteur peut agir contre le tireur et, s’il a fait dresser protêt à temps (ou si clause « sans frais »), contre les endosseurs et avaliseurs qui sont solidairement tenus (article L.131-51). Attention, ces actions se prescrivent très rapidement : six mois à compter de l’expiration du délai de présentation (article L.131-59). L’action contre le tireur qui n’a pas fait provision subsiste cependant au-delà de ce délai de six mois.
- L’action « fondamentale » : Puisque la remise du chèque n’a pas éteint la dette initiale, vous pouvez toujours agir en justice sur la base de cette dette (la facture impayée, le contrat non exécuté…). Cette action suit le régime de prescription qui lui est propre (généralement 5 ans en matière commerciale ou civile, mais variable).
- L’action subsidiaire en « enrichissement injuste » : Contre un endosseur qui se serait « enrichi injustement » à vos dépens, même si l’action cambiaire est prescrite (article L.131-59, al. 3).
Naviguer dans les méandres des incidents de paiement et des recours peut s’avérer complexe. En cas de litige concernant un chèque perdu, volé, falsifié ou impayé, notre équipe peut vous assister pour faire valoir vos droits.
Sources
- Code monétaire et financier (notamment Livre I, Titre III, Chapitre I)
- Code civil (articles sur la responsabilité, la cession de créance, le dépôt)
- Code de procédure civile d’exécution (mesures conservatoires et d’exécution)