Agriculteurs français discutant leurs difficultés financières avec un avocat pour un règlement amiable agricole. Scène de conseil.

Règlement amiable agricole : prévenir et gérer les difficultés des exploitants et protéger les cautions

Table des matières

Confronté à des difficultés financières, l’exploitant agricole dispose d’un outil préventif spécifiquement adapté à sa situation : le règlement amiable agricole (RAA). Cette procédure confidentielle, distincte des mécanismes de droit commun, vise à trouver un accord avec les créanciers pour assurer la pérennité de l’exploitation. Bien comprise et correctement mise en œuvre, elle constitue une solution efficace pour protéger l’activité, le patrimoine et parfois même le logement de l’agriculteur. Naviguer dans les méandres de cette procédure exige cependant une expertise pointue, et l’assistance d’un avocat compétent en procédures collectives peut s’avérer déterminante pour le succès de la démarche.

Le règlement amiable agricole : un mécanisme préventif spécifique

Le règlement amiable agricole est une procédure préventive conçue pour aider les exploitants agricoles à surmonter leurs difficultés financières, juridiques ou économiques avant qu’elles ne mènent à une cessation des paiements. Confidentielle et volontaire, elle offre un cadre de négociation privilégié avec les principaux créanciers pour une restructuration de la dette permettant la continuation de l’activité de l’entreprise.

A. Définition et fondements juridiques du RAA

Inscrit aux articles L. 351-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime, le règlement amiable agricole est une procédure destinée à « prévenir et à régler les difficultés financières des exploitations agricoles dès qu’elles sont prévisibles ou dès leur apparition ». Son objectif principal est la conclusion d’un accord amiable entre le débiteur et ses créanciers. Cette procédure est ouverte à toute personne physique ou morale exerçant une activité agricole au sens de l’article L. 311-1 du même code. Le but est de trouver des solutions pérennes, comme des délais de paiement ou des remises de dettes, sous l’égide d’un conciliateur désigné par le président du tribunal de grande instance (TGI).

B. Distinctions avec les procédures de droit commun (conciliation, surendettement des particuliers)

Le RAA se distingue fondamentalement des autres procédures amiables. Contrairement à la procédure de conciliation de droit commun, il est spécifiquement adapté aux réalités du secteur agricole. La loi exclut d’ailleurs expressément les exploitants agricoles du champ de la conciliation classique (CRPM, art. L. 351-1, al. 2). De même, il ne faut pas le confondre avec la procédure de surendettement des particuliers, qui s’adresse aux dettes non professionnelles des personnes physiques. Le RAA, lui, concerne les difficultés globales de l’exploitation, incluant les dettes professionnelles, et prend en compte les spécificités des actifs et des cycles de revenus agricoles, comme l’année culturale, qui justifient un traitement différencié.

Acteurs et conditions d’accès au règlement amiable agricole

L’accès au règlement amiable agricole est encadré par des conditions précises concernant les bénéficiaires et implique des acteurs judiciaires dont le rôle est central. Comprendre qui peut en bénéficier et comment la procédure est initiée est une étape fondamentale pour tout exploitant en difficulté.

A. Les bénéficiaires : exploitants agricoles personnes physiques et morales

La procédure s’adresse à toute personne, physique ou personne morale de droit privé, exerçant une activité agricole. Sont donc concernés les exploitants individuels, les GAEC (Groupements Agricoles d’Exploitation en Commun), les EARL (Exploitations Agricoles à Responsabilité Limitée) et autres sociétés civiles agricoles. En revanche, l’article L. 351-1 du Code rural et de la pêche maritime exclut explicitement toute société commerciale qui exerce une activité agricole ; celles-ci relèvent des procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises du Code de commerce, souvent devant le tribunal de commerce.

B. Le rôle central du président du tribunal judiciaire et du conciliateur

La procédure est initiée par une requête adressée au président du tribunal judiciaire compétent (souvent au siège du TGI). La demande peut être formée par l’exploitant agricole lui-même ou, plus rarement, par un créancier. Le président du TGI examine la requête et, s’il l’estime fondée, désigne un conciliateur dans les semaines qui suivent. Le choix de ce dernier est crucial : il peut s’agir d’un expert du monde agricole, d’un administrateur judiciaire ou de toute autre personne qualifiée. La mission du conciliateur, définie par le président, est de favoriser la conclusion d’un accord amiable en négociant avec le débiteur et ses principaux créanciers pour trouver des solutions viables telles que des délais de paiement, des remises sur chaque créance ou des abandons de sûretés. Les compétences du président du tribunal judiciaire sont donc au cœur du dispositif, garantissant un cadre légal et équilibré aux négociations.

Déroulement et effets de la procédure de règlement amiable agricole

La procédure de RAA se déroule en plusieurs étapes clés, marquées par un principe essentiel de confidentialité. L’un de ses effets les plus significatifs est la possibilité d’obtenir une suspension des poursuites, offrant un répit indispensable à l’exploitant pour négocier sereinement.

A. Étapes clés de la procédure et confidentialité

Après la saisine du président du TGI et la désignation du conciliateur, une phase de négociation s’engage. Le conciliateur réunit l’exploitant et ses principaux créanciers (fournisseurs, banques, organismes sociaux et fiscaux) pour établir un diagnostic de la situation et élaborer des propositions. Toute la procédure se déroule de manière confidentielle : rien ne transparaît publiquement, ce qui permet de préserver la réputation de l’exploitation et de ne pas alarmer les partenaires commerciaux. Si les négociations aboutissent et que les créanciers acceptent le plan, un accord est formalisé par écrit. Il peut être, à la demande des parties, constaté ou faire l’objet d’une homologation par le juge du TGI pour lui donner force exécutoire et clore la procédure.

B. La suspension provisoire des poursuites : un répit pour l’exploitant

Pour faciliter les négociations, l’article L. 351-5 du Code rural et de la pêche maritime permet au président du tribunal de prononcer, à la demande du débiteur, la suspension provisoire des poursuites pour une durée maximale de deux mois, renouvelable une fois. Cette décision capitale interdit toute action en justice de la part des créanciers visant à obtenir le paiement d’une somme d’argent et arrête toute voie d’exécution (saisie, etc.) sur les biens de l’exploitant. Durant cette période de plusieurs semaines, le débiteur ne peut, sauf autorisation, payer ses dettes antérieures ni aliéner ses biens en dehors de la gestion normale de l’exploitation. Ce moratoire offre une véritable bouffée d’oxygène pour mener les pourparlers à bien.

Les conséquences de l’accord amiable et les perspectives post-RAA

L’aboutissement d’un règlement amiable agricole a des conséquences juridiques importantes, tant pour l’exploitant que pour ses créanciers. Il s’agit d’un outil stratégique qui, en cas de succès, permet d’éviter des procédures judiciaires plus contraignantes. L’accord ouvre également des perspectives de finance pour assurer la relance de l’activité.

A. Formalisation et opposabilité de l’accord amiable

L’accord trouvé sous l’égide du conciliateur est formalisé dans un protocole signé par l’exploitant et les créanciers participants. Pour lui donner plus de force, il peut être constaté par le président du TGI, ce qui lui confère force exécutoire. Similaire à l’issue d’un accord de conciliation, il peut également faire l’objet d’une homologation, ce qui renforce sa sécurité juridique et le rend opposable à tous les créanciers signataires. Fait notable, les administrations financières (Trésor public) et les organismes de sécurité sociale (MSA) peuvent consentir des remises de dettes dans le cadre de cet accord, ce qui constitue un levier puissant pour le redressement de l’exploitation.

B. Le RAA : un bouclier contre les procédures collectives

L’un des avantages majeurs du règlement amiable est sa nature préventive. En intervenant avant l’état de cessation des paiements, ce dispositif permet d’éviter l’ouverture d’une procédure collective plus lourde comme la sauvegarde, la procédure de redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire. Contrairement à ces procédures publiques et souvent coûteuses, le RAA préserve la confidentialité, offre une plus grande souplesse dans les solutions négociées et maintient le dirigeant à la tête de son exploitation. C’est un outil de gestion de crise qui privilégie la négociation et la recherche de consensus à la contrainte judiciaire.

C. Le privilège de « new money » dans le contexte du RAA

Bien que le RAA soit une procédure spécifique, il peut s’inspirer de certains mécanismes des procédures collectives de droit commun. C’est le cas du privilège de « new money », prévu à l’article L. 611-11 du Code de commerce pour la conciliation. Si un créancier (souvent une banque) accepte d’apporter de l’argent frais à l’exploitation en difficulté dans le cadre de l’accord ayant fait l’objet d’une homologation, il peut bénéficier d’un privilège de paiement. Cela signifie qu’en cas d’ouverture ultérieure d’une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, ce créancier sera payé en priorité par rapport aux autres créanciers antérieurs. Ce mécanisme est un levier essentiel pour favoriser le financement de la restructuration et assurer la poursuite de l’activité.

La protection des garants et l’appréciation de la bonne foi de l’exploitant agricole

Le règlement amiable agricole ne se limite pas à la relation entre l’exploitant et ses créanciers. Il a également des implications importantes pour les personnes qui se sont portées caution pour les dettes de l’exploitation. Par ailleurs, l’accès à la procédure et le succès des négociations reposent sur un critère essentiel : la bonne foi de l’agriculteur.

A. L’information et la protection des cautions (garants) dans le RAA

Les proches de l’exploitant (conjoint, parents) sont souvent amenés à se porter caution personnelle pour les emprunts professionnels. Leur protection est un enjeu majeur. La réforme du droit des sûretés, issue de l’ordonnance du 15 septembre 2021, a renforcé les obligations d’information à la charge des créanciers professionnels. De plus, un cautionnement manifestement disproportionné aux biens et revenus de la caution au moment de sa souscription peut être remis en cause. Dans le cadre d’un RAA, l’accord trouvé avec les créanciers peut prévoir des aménagements concernant les engagements des cautions, voire leur abandon partiel. Il est donc essentiel que les garants soient informés de l’ouverture de la procédure et de ses conséquences sur leurs propres engagements.

B. L’appréciation de la bonne foi de l’exploitant agricole

La bonne foi est une condition fondamentale pour bénéficier de la procédure de RAA et obtenir l’adhésion des créanciers à un plan de redressement. Elle s’apprécie au cas par cas. Le juge de l’instance et le conciliateur examineront si l’exploitant a cherché à dissimuler sa situation, s’il a aggravé son endettement de manière déloyale ou s’il a fait preuve de transparence dans la communication de chaque document financier. Une attitude constructive et honnête est un gage de confiance indispensable pour convaincre les créanciers de consentir des efforts. À l’inverse, une mauvaise foi avérée peut conduire à ce que le président du TGI rejette la requête, ou à l’échec des négociations, laissant l’exploitant sans autre solution que les procédures collectives.

Délais et statistiques de la procédure de règlement amiable agricole

Pour un exploitant envisageant un règlement amiable, il est légitime de s’interroger sur la durée de la procédure et ses chances de succès. Bien que chaque cas soit unique, il existe des repères temporels et des facteurs clés qui influencent l’issue des négociations.

A. Délais procéduraux clés

La procédure débute par la saisine du président du tribunal judiciaire (le TGI). Une fois la demande jugée recevable, la loi prévoit une durée initiale pour la mission du conciliateur qui ne peut excéder quatre mois, prorogeable une fois pour un mois supplémentaire (CRPM, art. L. 351-4 et C. com., art. L. 611-6). Si une suspension provisoire des poursuites est accordée, elle est limitée à deux mois, renouvelable une fois. L’objectif est d’aboutir à un accord dans un délai de quelques semaines pour ne pas laisser l’entreprise en difficulté dans l’incertitude. La rapidité de la procédure dépendra de la complexité du dossier, du nombre de créanciers et de la volonté des parties de trouver un terrain d’entente.

B. Taux de succès et facteurs d’échec du RAA

Il n’existe pas de statistiques nationales consolidées et publiques sur le taux de succès spécifique du RAA. Cependant, l’expérience montre que les procédures amiables, lorsqu’elles sont initiées suffisamment tôt, ont un taux de réussite élevé. Le succès repose sur plusieurs facteurs : la réactivité de l’exploitant à reconnaître ses difficultés, la transparence de l’information financière fournie, la viabilité du plan de redressement proposé et la coopération des créanciers qui acceptent la nouvelle échéance. À l’inverse, les principaux facteurs d’échec sont souvent une saisine trop tardive, lorsque la situation est déjà irrémédiablement compromise avec un passif exigible trop important, un manque de confiance entre les parties, ou des prévisions économiques irréalistes qui ne parviennent pas à convaincre les créanciers de la capacité de l’exploitation à se redresser.

L’accompagnement de l’exploitant agricole dans la prévention des difficultés

Face à la complexité des enjeux financiers et juridiques, l’exploitant agricole ne doit pas rester isolé. S’entourer de conseils compétents est un facteur déterminant pour la réussite d’une procédure de règlement amiable et pour assurer la pérennité de l’exploitation.

A. Rôle des experts-comptables et conseillers agricoles

L’expert-comptable et le conseiller de gestion agricole sont des partenaires de premier plan. Leur rôle est essentiel en amont, pour détecter les premiers signes de difficulté et analyser la situation de la finance de l’exploitation. Dans le cadre d’un RAA, ils aident à préparer un dossier solide, à joindre chaque document utile, à élaborer un prévisionnel d’activité réaliste et à quantifier les efforts nécessaires. Leur expertise technique est un appui précieux pour le dirigeant lors des négociations avec les créanciers. Leur intervention est souvent décisive pour structurer un plan de redressement viable, qui peut inclure la renégociation d’un bail rural, l’ajustement des paiements selon l’année culturale, ou la mobilisation de garanties spécifiques comme le warrant agricole pour assurer la pérennité de l’exploitation.

La protection du cadre de vie et de travail de l’agriculteur par le RAA

Les difficultés financières d’une exploitation agricole ont souvent des répercussions directes et dramatiques sur la vie personnelle de l’agriculteur et de sa famille. Le règlement amiable agricole, en agissant en amont, peut être un rempart efficace contre les conséquences les plus graves, notamment la perte du logement.

A. Suspension des mesures d’expulsion du logement lié à l’exploitation agricole

Lorsque le logement de l’agriculteur est situé sur l’exploitation, une dette impayée peut mener à une procédure de saisie et, à terme, à une expulsion. Le RAA offre un mécanisme de protection. La suspension provisoire des poursuites, accordée par le juge de l’instance du TGI au début de la procédure, s’applique à toutes les voies d’exécution et interrompt de fait toute procédure d’expulsion en cours. Au-delà des aspects purement financiers, le RAA est un outil puissant pour prévenir l’expulsion du logement lié à l’exploitation, une mesure particulièrement dévastatrice. L’accord amiable qui en résulte, en rééchelonnant les dettes, a pour objectif de rendre le paiement à nouveau possible et de sécuriser durablement le cadre de vie et de travail de l’exploitant.

Le règlement amiable agricole est une procédure exigeante mais précieuse. En agissant de manière préventive et confidentielle, il offre une réelle opportunité de surmonter les difficultés. Pour naviguer avec succès dans une procédure de RAA et maximiser vos chances de succès, l’accompagnement par un cabinet d’avocats expérimenté est indispensable pour défendre vos intérêts face aux créanciers lors de chaque audience. Notre cabinet se tient à votre disposition pour vous conseiller et vous assister dans ces démarches.

Sources

  • Code rural et de la pêche maritime, notamment les articles L. 351-1 à L. 351-7
  • Code de commerce, notamment les articles L. 611-4 et suivants (relatifs à la conciliation)
  • Code civil, notamment les dispositions relatives au droit des sûretés et au cautionnement
  • Code de procédure civile, pour les aspects relatifs à la saisine du TGI.

Vous souhaitez échanger ?

Notre équipe est à votre disposition et s’engage à vous répondre sous 24 à 48 heures.

07 45 89 90 90

Vous êtes avocat ?

Consultez notre offre éditoriale dédiée.

Dossiers

> La pratique de la saisie immobilière> Les axes de défense en matière de saisie immobilière

Formations professionnelles

> Catalogue> Programme

Poursuivre la lecture

fr_FRFR