La plupart d’entre nous avons déjà reçu ou connaissons quelqu’un qui a reçu un jour une lettre intimidante d’une société de recouvrement. Ces courriers aux tons menaçants, parfois ornés de tampons rouges « URGENT » ou « DERNIER AVIS », peuvent provoquer stress et anxiété. Pourtant, derrière cette façade intimidante se cache une réalité bien différente : ces sociétés n’ont pas les pouvoirs qu’elles laissent entendre. Décryptons ensemble ce que peuvent réellement faire ces entreprises spécialisées et pourquoi il n’y a pas lieu d’avoir peur face à leurs sollicitations.
Distinction essentielle entre sociétés de recouvrement et huissiers de justice
La confusion est souvent entretenue, parfois délibérément, entre ces deux professions. Un point crucial doit être clarifié d’emblée : une société de recouvrement n’est pas un huissier de justice.
L’huissier est un officier ministériel, nommé par arrêté du Garde des Sceaux. Comme précisé dans l’ordonnance du 2 novembre 1945, il « a seul qualité pour signifier les actes et les exploits, faire les notifications prescrites par les lois et règlements lorsque le mode de notification n’a pas été précisé et ramener à exécution les décisions de justice, ainsi que les actes ou titres en forme exécutoire. »
À l’inverse, les sociétés de recouvrement de créances sont des entreprises commerciales comme les autres. Elles agissent comme simples mandataires d’un créancier dans le cadre d’une procédure amiable. Elles ne peuvent pas :
- Saisir vos biens
- Bloquer vos comptes bancaires
- Pratiquer des retenues sur salaire
- Pénétrer à votre domicile sans votre consentement
Elles ne possèdent aucun des attributs de puissance publique dont dispose l’huissier. Leur seul pouvoir réel ? Tenter de vous convaincre de rembourser la somme due.
Les limites légales strictes du recouvrement amiable
Le législateur a strictement encadré l’activité de recouvrement des sociétés de recouvrement amiable à travers le Code des procédures civiles d’exécution (articles L. 124-1 et R. 124-1 à R. 124-7).
Pour opérer légalement, ces entreprises doivent respecter plusieurs obligations :
- Avoir souscrit une assurance professionnelle
- Disposer d’un compte bancaire exclusivement affecté à la réception des fonds encaissés
- Conclure une convention écrite avec le créancier leur donnant pouvoir d’agir
Cette convention écrite entre le créancier et le débiteur et la société de recouvrement doit obligatoirement préciser :
- Le montant de la créance à recouvrer
- L’origine précise de la créance
- Les conditions de rémunération de la société de recouvrement
- Les conditions et délais de reversement des sommes récupérées
En annexe de cette convention, la société est tenue de joindre un contrat d’assurance responsabilité civile professionnelle, garantissant sa solvabilité en cas de faute.
La première action d’une société de recouvrement est d’envoyer une lettre de mise en demeure de payer qui doit obligatoirement contenir :
- Son nom / dénomination sociale et son siège social
- L’identité précise du créancier
- Le fondement et le montant total détaillé de la dette
- Les modalités de paiement
- La reproduction des alinéas 2 et 3 de l’article L. 111-8 du code
L’omission de ces mentions est passible d’une amende de 1 500 € (5e classe), pouvant être portée à 3 000 € en cas de récidive, conformément au code pénal. Une sanction rarement appliquée mais qui existe.
Un point souvent ignoré : les frais liés au processus de recouvrement amiable restent à la charge exclusive du créancier. Aucune société de recouvrement ne peut légalement facturer au débiteur des « frais de dossier » ou « frais de relance ». L’article L. 111-8 du code des procédures civiles d’exécution est parfaitement clair sur ce point.
Les pratiques contestables et leurs conséquences
Dans la réalité, certaines sociétés spécialisées dans le recouvrement de dette utilisent des tactiques à la limite de la légalité pour obtenir le paiement.
Ces sociétés procèdent généralement par une double approche :
- L’envoi de courriers de mise en demeure, parfois sous forme de lettre recommandée avec accusé de réception
- Des relances par téléphone, parfois répétées et avec une communication malveillante
Bien que les appels téléphoniques ne soient pas illégaux en soi, leur fréquence et leur teneur peuvent constituer du harcèlement. La loi n’autorise pas les appels à des heures indues (avant 8 h ou après 21 h), le week-end ou les jours fériés, ce qui serait une violation du respect de la vie privée.
Ces pratiques abusives peuvent constituer des infractions, notamment :
- Le harcèlement téléphonique, puni d’emprisonnement selon l’article 222 du code pénal
- La divulgation d’informations à des tiers
- L’usurpation de qualité (se faire passer pour un huissier ou un représentant public)
- Les menaces de poursuites pénales pour dettes civiles
Dans certains cas, les sociétés tentent d’ajouter arbitrairement des frais à la facture impayée, pratique formellement interdite par la législation en matière de recouvrement. Si le courrier mentionne des « indemnités forfaitaires », des « frais de dossier » ou autres suppléments, vous n’êtes absolument pas tenu de payer la somme réclamée dans sa totalité.
« Je vais envoyer un huissier chez vous dès demain » ou « Nous allons procéder à une saisie sur salaire » sont des lettres menaçantes typiques. Sans titre exécutoire préalablement obtenu par un juge, ces affirmations sont mensongères et constituent des pratiques commerciales trompeuses sanctionnables.
Comment se défendre face à une société de recouvrement
Premier réflexe : vérifiez la légitimité de la créance litigieuse. Réclamez les documents prouvant l’existence et le montant de la dette.
Si vous contestez totalement la créance réclamée, faites-le savoir clairement par écrit. Vous avez le droit de contester et la société de recouvrement doit en tenir compte. Dans ce cas, le créancier devra décider s’il souhaite poursuivre en justice, ce qui représente un coût et un risque pour lui.
Pour vous aider dans cette démarche, vous pouvez :
- Consulter gratuitement un avocat dans un point-justice pour obtenir aide et conseil
- Vous rapprocher d’un commissaire de justice pour avoir une réponse à vos questions
- Contacter une association de consommation comme l’UFC-Choisir
À noter : soyez vigilant sur le délai de prescription ! En droit français, de nombreuses dettes sont prescrites après :
- 2 ans pour les opérateurs téléphoniques, fournisseurs d’énergie, établissements de santé, services de crédit à la consommation
- 5 ans pour la plupart des créances civiles et commerciales
- 10 ans pour les décisions de justice (à partir de la notification du jugement)
Si vous reconnaissez devoir l’argent mais êtes en difficulté financière, sachez que vous pouvez négocier un délai de paiement. Une solution amiable est généralement préférable pour toutes les parties.
Si vous effectuez un paiement, même partiel, exigez systématiquement une quittance. Ce document atteste officiellement du paiement et constitue une preuve précieuse à conserver.
Si vous estimez que la société outrepasse ses droits, n’hésitez pas à déposer une plainte ou à signaler ces pratiques à la DGCCRF (Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes) ou à une association de consommateurs.
Le passage au recouvrement judiciaire : la vraie contrainte
La véritable limite du pouvoir des sociétés de recouvrement réside dans leur incapacité à vous contraindre sans décision de justice.
Il est important de distinguer les différents termes juridiques souvent utilisés :
- La mise en demeure : simple invitation à payer, sans force contraignante
- La sommation : acte délivré par un huissier, plus formel mais toujours sans pouvoir de contrainte
- L’injonction de payer : véritable décision judiciaire, rendue par un tribunal, qui peut permettre l’exécution forcée
Pour exercer une contrainte légale, le créancier doit obtenir un titre exécutoire, généralement via :
- Une procédure d’injonction de payer devant les tribunaux
- Un jugement au fond après procès
- Depuis la loi de 2015, une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances (inférieures à 4 000 €) par l’intermédiaire d’un huissier
Ce n’est qu’une fois muni de ce titre exécutoire qu’un huissier de justice – et non la société de recouvrement – pourra procéder au recouvrement forcé et saisir vos biens si besoin.
À ce stade, les sociétés de recouvrement collaborent généralement avec des commissaires de justice (anciennement huissiers) ou des avocats pour passer à la phase judiciaire. Cette collaboration explique parfois la confusion entretenue sur leurs pouvoirs réels.
Le coût d’un recouvrement varie considérablement selon la méthode employée :
- Environ 30 € pour des relances téléphoniques ou par envoi de courrier simple
- Plus de 150 € lorsqu’un avocat rédige des documents spécifiques
- Plusieurs centaines d’euros pour une procédure judiciaire ou administrative complète
La plupart des sociétés de recouvrement se rémunèrent par un pourcentage sur les sommes encaissées. Cette rémunération est à la charge du créancier qui fait appel à une société de recouvrement, pas du débiteur.
La différence est considérable : le recouvrement amiable repose uniquement sur votre consentement volontaire, tandis que le recouvrement judiciaire peut avoir pour effet l’utilisation de la force publique pour obtenir paiement.
Il est essentiel de comprendre que le passage d’un recouvrement amiable à un recours judiciaire n’est pas automatique. Il représente un coût et des démarches supplémentaires pour le créancier, qui peut hésiter à les entreprendre, surtout pour des sommes modestes ou en cas de provision insuffisante.
La prochaine fois que vous recevrez un courrier aux apparences officielles d’une société de recouvrement qui vous réclame de l’argent, rappelez-vous : sans titre exécutoire obtenu avant le 31 décembre 2024, elle n’a aucun pouvoir légal de contrainte. Prenez le temps de vous informer et de vous faire conseiller pour expliquer votre situation, le résultat sera souvent en votre faveur.
Sources
- Code des procédures civiles d’exécution, articles L. 124-1 à L. 125-1
- Ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers
- Code des procédures civiles d’exécution, articles R. 124-1 à R. 124-7 et L. 111-8
- Loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques