Le surendettement des particuliers est une réalité économique et sociale qui a conduit le législateur à mettre en place un dispositif spécifique, conçu pour offrir une seconde chance aux débiteurs de bonne foi. Loin d’être une simple facilité de paiement, ce mécanisme constitue un véritable obstacle légal aux mesures d’exécution forcée. Initialement pensé comme un mécanisme de redressement, le droit du surendettement a progressivement évolué pour intégrer des solutions plus radicales, allant jusqu’à l’effacement pur et simple des dettes. Notre cabinet, par sa pratique dédiée au droit bancaire et aux voies d’exécution, constate que la complexité de cette procédure nécessite une analyse précise pour en maîtriser tous les ressorts et protéger efficacement les droits du débiteur.
Introduction : évolution et objectifs du droit du surendettement des particuliers
Le droit du surendettement des particuliers en France est une construction législative relativement récente, dont la pierre angulaire fut la loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989, dite « loi Neiertz ». Son objectif initial était de traiter les situations de détresse financière par une approche conciliatoire, en cherchant à élaborer des plans de remboursement amiables. Face à l’évolution des profils de surendettés, souvent victimes « d’accidents de la vie » (perte d’emploi, divorce, maladie), le législateur a dû adapter et renforcer le dispositif à plusieurs reprises, notamment avec la loi Borloo de 2003 qui a introduit la procédure de rétablissement personnel, une forme de faillite personnelle, puis la loi Lagarde qui a accéléré les délais de traitement.
La finalité de la procédure a ainsi glissé d’un simple redressement vers une véritable logique de « nouveau départ ». Il s’agit de permettre à des personnes physiques de sortir d’une spirale d’endettement devenue insurmontable. Le dispositif actuel, principalement régi par le Code de la consommation, repose sur un dualisme entre une phase administrative, menée par les commissions de surendettement gérées par la Banque de France, et une phase judiciaire, sous le contrôle du juge des contentieux de la protection. Cette double structure vise à trouver un équilibre entre la recherche de solutions amiables et l’application de mesures contraignantes lorsque la situation l’exige, allant jusqu’à l’effacement des dettes pour les cas les plus compromis.
Les conditions d’éligibilité et l’appréciation de la bonne foi du débiteur
Pour bénéficier de la procédure de traitement du surendettement, le demandeur doit répondre à des critères stricts d’éligibilité. Sont éligibles les personnes physiques, quelle que soit leur nationalité, domiciliées en France ou, pour les nationaux français, domiciliées hors de France mais ayant contracté des dettes non professionnelles auprès de créanciers établis en France. La procédure est ouverte aux salariés, retraités, et même dans certains cas, aux entrepreneurs individuels pour leurs dettes non professionnelles. Le dépôt du dossier exige de fournir toute pièce justificative attestant de la situation financière du demandeur. En revanche, les personnes relevant des procédures collectives du Code de commerce (commerçants, artisans, agriculteurs, professions libérales) en sont exclues pour l’ensemble de leurs dettes.
Le critère central, et le plus sujet à interprétation, est celui de la bonne foi du débiteur, prévu à l’article L. 711-1 du Code de la consommation. La bonne foi est présumée, et il appartient au créancier qui la conteste d’en rapporter la preuve. La jurisprudence apprécie cette notion de manière globale, en combinant une approche contractuelle (les circonstances de la création des dettes) et une approche procédurale (le comportement du débiteur durant la procédure). Le juge examine le comportement général du débiteur pour déterminer s’il a consciemment créé ou aggravé son surendettement. Des dépenses excessives et somptuaires, un train de vie manifestement disproportionné par rapport aux revenus, ou encore des déclarations mensongères peuvent caractériser la mauvaise foi. À l’inverse, un endettement passif, résultant d’un accident de la vie, ne suffit pas à l’écarter. La jurisprudence récente confirme qu’un débiteur ayant déjà bénéficié d’un plan n’est pas automatiquement considéré de mauvaise foi s’il dépose un nouveau dossier, à condition de justifier d’éléments nouveaux aggravant sa situation. L’appréciation de ces conditions est complexe et déterminante pour l’issue de la procédure, rendant souvent utile l’accompagnement par un avocat compétent en droit du crédit.
Effets de la recevabilité du dossier sur les mesures d’exécution forcée
La décision de recevabilité du dossier de surendettement par la commission produit des effets immédiats et puissants. L’article L. 722-2 du Code de la consommation instaure une suspension et une interdiction automatiques de la plupart des procédures d’exécution forcée diligentées contre les biens du débiteur. Cette protection s’applique également aux cessions de rémunérations que le débiteur aurait pu consentir. Cette suspension affecte la plupart des procédures d’exécution portant sur les biens du débiteur, y compris les cessions de rémunérations ou les saisies sur comptes bancaires. La durée de cette protection est de deux ans au maximum, le temps de trouver une solution durable.
Toutefois, ce principe connaît des exceptions importantes. Les dettes alimentaires ne sont pas concernées par cette suspension. De plus, la procédure de saisie immobilière est traitée spécifiquement : si la vente forcée de la résidence principale a déjà été ordonnée avant la décision de recevabilité, le report de l’adjudication n’est pas automatique. La commission doit alors saisir le juge de l’exécution pour demander ce report, qui ne sera accordé que pour des motifs graves et justifiés. De même, la suspension automatique ne concerne pas les mesures d’expulsion du logement, notamment en cas de dette locative. Cependant, la commission ou le débiteur peut saisir le juge (parfois le juge du bail) pour en obtenir la suspension judiciaire. En plus de la suspension légale, il est possible de solliciter des mécanismes de suspension judiciaire et facultative spécifiques, dont les modalités sont détaillées dans l’analyse de l’interaction entre surendettement et saisie immobilière.
Les plans de redressement : du plan amiable aux mesures imposées
Lorsque la situation du débiteur n’est pas jugée « irrémédiablement compromise », la commission de surendettement s’oriente vers l’élaboration de mesures de redressement. La première étape est la recherche d’un accord amiable via un plan conventionnel de redressement, souvent appelé plan de surendettement. Il s’agit d’un véritable contrat, négocié entre le débiteur et ses principaux créanciers sous l’égide de la commission, pour une durée maximale de sept ans. Ce plan de remboursement peut contenir diverses mesures : rééchelonnement des paiements, report d’échéances, réduction du taux d’intérêt, voire des remises de dettes partielles. La fin du plan marque le retour à une situation normale, si toutes les échéances ont été respectées.
Une notion fondamentale guide l’élaboration de ce plan : le « reste à vivre ». La commission doit s’assurer que les remboursements, en fonction de la capacité de remboursement du débiteur, laissent à ce dernier une somme suffisante pour faire face à ses dépenses courantes (logement, nourriture, santé, etc.), au moins égale au montant forfaitaire du RSA. De plus, pour éviter d’aggraver la situation pendant la procédure, la loi interdit la pratique des « intérêts intercalaires » : les créances ne produisent plus d’intérêts entre l’arrêt du passif et la mise en œuvre effective du plan. En cas d’échec de la phase amiable, si aucun accord n’est trouvé, la commission dispose de pouvoirs étendus. Elle peut imposer directement certaines mesures, comme un rééchelonnement des dettes ou une suspension de leur exigibilité pour deux ans, y compris pour les dettes fiscales.
Le rétablissement personnel : une solution pour les situations irrémédiablement compromises
Lorsque aucun plan de redressement n’est envisageable, la procédure s’oriente vers une solution plus radicale : le rétablissement personnel. Cette voie, qui s’apparente à une faillite personnelle civile, est réservée aux débiteurs dont la situation est qualifiée « d’irrémédiablement compromise », c’est-à-dire lorsqu’il est manifestement impossible d’apurer le passif dans le cadre des mesures de traitement classiques. L’appréciation de cette situation de surendettement se fonde sur l’analyse du patrimoine du débiteur mais aussi de ses perspectives d’évolution (âge, qualification, état de santé).
La procédure se décline en deux variantes. La première est le rétablissement personnel sans liquidation judiciaire. Il est imposé par la commission lorsque le débiteur ne possède aucun actif de valeur réalisable, à l’exception des biens meublants nécessaires à la vie courante. Cette procédure, plus rapide, aboutit à un effacement des dettes par une décision du juge qui vient homologuer la recommandation de la commission. La seconde est le rétablissement personnel avec liquidation judiciaire. Il est ouvert par le juge, avec l’accord du débiteur, lorsque celui-ci possède un patrimoine réalisable (un bien immobilier, un véhicule de valeur, etc.). Cette phase, qui peut mener à une liquidation judiciaire où le patrimoine est vendu, s’inscrit dans un cadre plus large où il est essentiel de comprendre l’impact des procédures collectives sur l’exécution forcée et le principe d’arrêt des poursuites individuelles. Un mandataire est alors désigné pour vendre les biens. Le produit de la vente sert à désintéresser les créanciers. À l’issue de la liquidation, le juge prononce la clôture, qui entraîne l’effacement des dettes restantes.
L’effacement des dettes : portée et exceptions du rétablissement personnel
Le jugement de clôture d’une procédure de rétablissement personnel, qu’elle soit avec ou sans liquidation, entraîne l’effacement de dettes pour la quasi-totalité des obligations non professionnelles du débiteur. Le périmètre de cet effacement partiel ou total est large, incluant toutes les dettes non professionnelles et, de manière notable, les dettes de cautionnement, dont le régime complexe mérite une attention particulière. Cet effacement a pour effet d’éteindre l’obligation du débiteur, ce qui est bien plus fort qu’une simple prescription ou une impossibilité de poursuivre.
Cependant, le législateur a prévu des exceptions strictes. Certaines dettes ne sont jamais effacées. Il s’agit principalement : des dettes alimentaires (pensions alimentaires) ; des amendes pénales et des réparations pécuniaires allouées aux victimes dans le cadre d’une condamnation pénale ; des dettes ayant pour origine des manœuvres frauduleuses au préjudice des organismes de protection sociale ; des prêts sur gage souscrits auprès des caisses de crédit municipal. De plus, si une caution ou un coobligé (personne physique) a payé une partie de la dette à la place du débiteur, ce dernier reste tenu de la rembourser. L’une des conséquences de la procédure est l’inscription du débiteur au Fichier national des Incidents de remboursement des Crédits aux Particuliers (FICP) pour une durée de cinq ans. La personne surendettée est donc inscrit au FICP, ce qui restreint son accès au crédit. La radiation de ce fichier n’intervient qu’au bout de ce délai.
Contestations et recours judiciaires dans la procédure de surendettement
La procédure de surendettement n’est pas un processus purement administratif et la décision de la commission peut faire l’objet d’une contestation. Le débiteur comme les créanciers peuvent contester cette décision de recevabilité ou d’irrecevabilité du dossier, mais aussi les mesures imposées ou recommandées. Ce recours est porté devant le juge des contentieux de la protection, souvent au greffe du tribunal judiciaire. La notification de la décision, généralement par lettre recommandée avec avis de réception, précise le délai pour engager une telle contestation.
Le juge saisi d’une contestation dispose d’une plénitude de juridiction. Il n’est pas lié par l’avis de la commission et réexamine l’ensemble du dossier. Il peut vérifier la validité et le montant des créances, apprécier la bonne foi du débiteur et le caractère irrémédiablement compromis de sa situation. Ses pouvoirs sont étendus : il peut valider, modifier ou annuler les mesures proposées par la commission et leur substituer sa propre décision. Il peut par exemple élaborer un plan judiciaire qui se substituera aux recommandations de la commission. Le jugement rendu est lui-même susceptible d’appel, sauf exceptions prévues par les textes. La complexité des critères de bonne foi et des voies de recours rend souvent indispensable l’assistance d’un avocat spécialisé en procédure de surendettement pour maximiser les chances de succès et garantir la protection de vos droits.
Sources
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Code de la consommation, notamment les articles L. 711-1 et suivants
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Code des procédures civiles d’exécution