Un client consulte un avocat français dans son bureau pour contester une saisie abusive, examinant des documents importants.

L’abus de saisie et le principe de proportionnalité : protection du débiteur en exécution forcée

Table des matières

Face à une dette impayée, un créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance certaine, liquide et exigible a le droit de recourir à l’exécution forcée en nature pour recouvrer les sommes qui lui sont dues. Cependant, ce droit n’est pas absolu. Les procédures civiles d’exécution, qui permettent de saisir les biens ou les revenus d’un débiteur, sont strictement encadrées par la loi pour éviter les dérives. La protection du débiteur repose sur des mécanismes juridiques précis, au premier rang desquels figurent la sanction de l’abus de saisie et le respect du principe de proportionnalité. Comprendre ces notions est la première étape pour faire valoir ses droits, souvent avec l’aide d’un avocat compétent en voies d’exécution.

I. Le cadre juridique de l’abus de saisie et de la proportionnalité

Le droit à l’exécution d’une décision de justice est un principe fondamental, mais il ne saurait autoriser un créancier à agir sans mesure. Des garde-fous existent pour sanctionner les pratiques excessives et garantir que la dignité et les moyens de subsistance du débiteur soient préservés. Le Juge de l’Exécution (JEX) est le principal garant de cet équilibre délicat.

A. Définition et fondements de l’abus de saisie

L’abus de saisie est une application spécifique de la théorie de l’abus de droit. Il n’existe pas de droit qui puisse être exercé dans le seul but de nuire à autrui ou de manière téméraire. Dans le contexte des saisies, l’abus est caractérisé lorsque le créancier met en œuvre une mesure d’exécution de manière malveillante ou avec une légèreté blâmable. La jurisprudence de la Cour de cassation a identifié plusieurs situations pouvant constituer un tel abus : engager des poursuites pour une créance déjà payée, maintenir une saisie après le règlement de la dette, ou encore multiplier inutilement les procédures sur différents biens alors qu’un seul suffirait à couvrir la créance. La notion d’abus de droit trouve une application concrète dans les procédures civiles d’exécution, notamment dans le cadre d’une saisie-attribution abusive où le créancier outrepasse ses droits. La sanction de tels agissements peut aller de la mainlevée de la mesure à la condamnation du créancier à verser des dommages-intérêts au débiteur pour le préjudice subi.

B. Le principe de proportionnalité des mesures d’exécution forcée

Étroitement lié à la sanction des abus, le principe de proportionnalité est un pilier des procédures civiles d’exécution, affirmé par l’article L. 111-7 du Code des procédures civiles d’exécution. Ce texte dispose que le créancier a le choix des mesures, mais que l’exécution de celles-ci « ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l’obligation ». Autrement dit, toute mesure d’exécution doit être à la fois adaptée à son objectif – le recouvrement de la créance – et mesurée dans ses conséquences pour le débiteur. Pratiquer une saisie immobilière sur un bien d’une valeur très importante pour recouvrer une dette modeste pourrait ainsi être jugé disproportionné si d’autres voies moins contraignantes, comme une saisie sur le compte bancaire du débiteur ou sur rémunération, sont possibles et suffisantes. L’appréciation de cette proportionnalité se fait au cas par cas, en tenant compte de la bonne ou de la mauvaise foi des parties.

C. Rôle et compétences du Juge de l’Exécution (JEX) face à l’abus et l’excès

Le Juge de l’Exécution est la figure centrale du contentieux en matière de saisie. L’article L. 121-2 du Code des procédures civiles d’exécution lui confère explicitement le pouvoir « d’ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d’abus de saisie ». C’est donc devant lui que le débiteur qui s’estime victime d’une mesure excessive doit porter sa contestation. Sa demande de mainlevée de la saisie sera examinée par cette juridiction spécialisée. Sa compétence est large : il peut annuler un acte de saisie irrégulier, ordonner sa suppression (mainlevée) et réparer le préjudice causé par la faute du créancier. Il est le garant de l’équilibre entre le droit du créancier à obtenir paiement et la nécessaire protection du débiteur. Face à une mesure jugée abusive, le débiteur doit se tourner vers le garant de la procédure ; il est donc essentiel de bien comprendre les attributions et les compétences du Juge de l’Exécution pour fonder sa contestation.

Il est crucial de distinguer cette procédure civile du domaine du droit pénal. En matière pénale, la saisie pénale et la peine de confiscation (prévue à l’article 131-21 du Code pénal) ne visent pas le recouvrement d’une créance, mais la privation de la propriété de l’objet ou du produit direct ou indirect d’une infraction. La Chambre criminelle de la Cour de cassation veille à l’application de ces règles, qui peuvent aboutir à la confiscation définitive d’un bien sans contrepartie, une sanction qui n’a rien de commun avec les voies d’exécution civiles. Une telle confiscation peut frapper l’objet ou le produit d’une infraction même entre les mains d’un tiers, sauf s’il est de bonne foi. Cette peine de confiscation est une peine principale ou complémentaire issue d’un jugement répressif, alors que la saisie civile ne fait qu’exécuter une obligation préexistante.

II. La protection du débiteur face aux saisies abusives et mesures disproportionnées

Au-delà de la sanction des abus et du contrôle de proportionnalité, la loi organise une protection concrète du débiteur à travers plusieurs dispositifs, allant de la mise à l’abri de certains biens essentiels à des procédures spécifiques pour les personnes en grande difficulté économique.

A. Les biens et revenus insaisissables : une garantie fondamentale

Pour garantir la survie et la dignité du débiteur et de sa famille, la loi a établi une liste de biens et de revenus qui ne peuvent faire l’objet d’aucune saisie. Cette protection de la propriété des biens essentiels à la vie est un principe fondamental du droit commun, qui contraste avec la logique de confiscation en matière pénale où le bien est retiré à titre de sanction d’une infraction. Parmi les revenus protégés, on trouve notamment :

  • Les provisions, sommes et pensions à caractère alimentaire, comme les pensions alimentaires ou la prestation compensatoire.
  • Une fraction des rémunérations du travail, calculée selon un barème qui tient compte du niveau de salaire et des personnes à charge.
  • La plupart des prestations sociales et familiales (RSA, allocations familiales, allocation aux adultes handicapés, etc.).

De plus, un mécanisme spécifique protège les comptes bancaires : le solde bancaire insaisissable (SBI). Quelle que soit la saisie-attribution pratiquée sur un compte, une somme équivalente au montant forfaitaire du RSA pour une personne seule doit impérativement être laissée à la disposition du débiteur. Concernant les biens matériels, l’article L. 112-2 du Code des procédures civiles d’exécution liste les biens mobiliers jugés « nécessaires à la vie et au travail du saisi et de sa famille » qui sont insaisissables. Cela inclut les vêtements, la literie, les objets de ménage essentiels, les appareils de chauffage, ou encore les instruments de travail indispensables à l’exercice personnel de l’activité professionnelle.

B. Les réformes récentes et les types de saisies contestables

Le droit de l’exécution forcée est en constante évolution. Une réforme majeure, applicable au plus tard le 1er juillet 2025, concerne la saisie des rémunérations. Cette procédure, jusqu’alors gérée par les greffes des tribunaux, est « déjudiciarisée » pour être confiée aux commissaires de justice (profession qui a succédé à celle d’huissier de justice). Cette modification, introduite par la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 et validée dans son principe par le Conseil constitutionnel, vise à simplifier et moderniser les démarches, notamment par la création d’un registre numérique des saisies. Si la procédure change, les droits du débiteur demeurent. La contestation de la saisie reste possible à tout moment devant le Juge de l’Exécution. La récente déjudiciarisation de la saisie des rémunérations illustre parfaitement le rôle accru des commissaires de justice, qui deviennent les interlocuteurs principaux dans la mise en œuvre et la contestation de certaines mesures. Toutes les saisies (mobilières, immobilières, sur comptes bancaires) peuvent potentiellement faire l’objet d’une contestation pour abus ou disproportion, mais certaines sont plus fréquemment sujettes à débat, comme la saisie vente d’un bien mobilier de grande valeur ou la saisie immobilière lorsque la valeur du bien saisi est sans commune mesure avec la créance à recouvrer.

C. Surendettement et bonne foi : les mécanismes de protection

Lorsqu’une situation financière est si dégradée qu’un particulier se trouve dans « l’impossibilité manifeste de faire face à l’ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir », il peut bénéficier des procédures de traitement du surendettement, une forme de procédure collective adaptée aux particuliers. Ce dispositif, géré par des commissions départementales sous le contrôle du juge, constitue une protection ultime. L’ouverture d’une procédure de surendettement entraîne la suspension et l’interdiction de toutes les procédures d’exécution. La condition essentielle pour en bénéficier est la bonne foi du débiteur. La mauvaise foi, qui conduit à l’irrecevabilité du dossier, est appréciée par la commission et le juge. Elle peut être caractérisée par des déclarations mensongères, l’organisation de son insolvabilité ou une accumulation de dettes en ayant conscience de l’impossibilité de les rembourser, agissements qui peuvent parfois frôler l’infraction pénale comme l’organisation frauduleuse d’insolvabilité. Pour le débiteur de bonne foi dont la situation est irrémédiablement compromise, les procédures de surendettement constituent l’ultime rempart contre les saisies, pouvant mener jusqu’à l’effacement des dettes, total ou partiel, dans le cadre d’un rétablissement personnel.

III. Stratégies et recours pour contester une saisie abusive

Contester une mesure d’exécution n’est pas une démarche à prendre à la légère. Elle nécessite de respecter des délais stricts et de présenter des arguments juridiques solides devant la juridiction compétente.

A. Les voies de contestation devant le JEX : procédure et délais

La contestation d’une mesure d’exécution se fait par voie d’assignation devant le Juge de l’Exécution. Il s’agit d’un acte rédigé et délivré par un commissaire de justice (huissier) qui convoque le créancier à une audience. Le délai pour agir est généralement court : par exemple, pour la procédure de saisie-attribution sur compte bancaire, la contestation doit être formée dans un délai d’un mois à compter de la dénonciation de la saisie au débiteur. Le non-respect de ce délai de prescription de l’action entraîne l’irrecevabilité de la contestation, et la saisie devient alors définitive. Il est donc essentiel d’agir rapidement. La procédure devant le JEX est orale, mais le dépôt de conclusions écrites détaillant les arguments et les pièces justificatives est fortement recommandé. Le rôle d’un avocat est alors primordial pour préparer le dossier, rédiger les actes nécessaires, représenter le débiteur à l’audience, et, le cas échéant, interjeter appel de la décision.

B. La preuve de l’abus ou de la disproportion : éléments clés

Pour obtenir la mainlevée d’une saisie, le débiteur doit prouver son caractère abusif ou disproportionné. Plusieurs éléments peuvent être avancés devant le juge. Il peut s’agir de démontrer l’inutilité de la mesure (dette déjà payée), l’intention de nuire du créancier, ce qui s’apparente à une faute civile distincte de l’infraction pénale, ou le non-respect du principe de proportionnalité. Un des critères essentiels pour prouver la disproportion est la différence manifeste entre le montant de la créance et la valeur du bien saisi, un argument particulièrement puissant dans le cadre d’une saisie immobilière. Un autre argument pertinent concerne l’impact de la saisie sur la vie personnelle ou professionnelle du débiteur. Par exemple, la saisie vente d’un véhicule à usage mixte, indispensable à l’activité professionnelle mais aussi aux déplacements familiaux, peut être jugée disproportionnée. Le juge procèdera alors à une analyse concrète, en pesant la nécessité du bien pour la subsistance du débiteur face au droit du créancier, et vérifiera si une voie moins dommageable n’était pas envisageable.

C. L’impact des réformes et des évolutions jurisprudentielles

Le droit des voies d’exécution est une matière technique et vivante, régulièrement modifiée par le législateur et précisée par la jurisprudence de la haute juridiction. Les réformes récentes, comme celle de la saisie des rémunérations, modifient les interlocuteurs et les procédures de contestation. La jurisprudence, de son côté, affine constamment les critères d’appréciation de l’abus de droit ou de la proportionnalité. Se tenir informé de ces évolutions est indispensable pour construire une argumentation efficace. Un avocat dont la pratique est dédiée à ces questions saura mobiliser les textes les plus récents et les décisions de justice pertinentes pour défendre au mieux les intérêts du débiteur. Pour une vue d’ensemble des mécanismes et des dernières réformes, notre guide complet des procédures civiles d’exécution détaille le cadre dans lequel s’inscrivent ces contestations.

Contester une saisie abusive ou disproportionnée est un droit. Si vous êtes confronté à une telle situation, l’assistance de notre cabinet d’avocats, compétent en procédures d’exécution, est déterminante pour analyser votre dossier, vous conseiller sur la stratégie à adopter et saisir le Juge de l’Exécution dans les délais impartis. Pour une analyse approfondie de votre situation et un conseil adapté, prenez contact avec notre équipe.

Sources

  • Code des procédures civiles d’exécution (notamment articles L. 111-7, L. 112-2, L. 121-2)
  • Code de la consommation (notamment sur le surendettement des particuliers)
  • Code du travail (notamment sur la fraction insaisissable des rémunérations)
  • Code civil (notamment sur l’abus de droit)
  • Code pénal (notamment sur l’infraction d’organisation frauduleuse d’insolvabilité et la peine de confiscation)

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