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Arbitrage institutionnel ou ad hoc : le rôle clé des centres d’arbitrage et du juge d’appui

Table des matières

Avoir choisi l’arbitrage international pour régler un différend est une première étape décisive. Mais une question pratique fondamentale se pose ensuite : comment cette procédure va-t-elle s’organiser concrètement ? Qui va administrer le processus, désigner les arbitres en cas de désaccord, ou encore gérer les aspects logistiques et financiers ? Deux grandes voies s’offrent aux entreprises : l’arbitrage dit « institutionnel », encadré par un centre spécialisé, et l’arbitrage « ad hoc », géré directement par les parties et les arbitres. Ce choix initial a des conséquences importantes sur le déroulement de la procédure. Par ailleurs, même dans ce cadre privé, la justice étatique n’est jamais totalement absente : le « juge d’appui » français joue un rôle essentiel pour débloquer certaines situations. Cet article explore ces deux modes d’organisation et le rôle crucial joué par les institutions d’arbitrage et le juge d’appui.

Arbitrage institutionnel vs. Arbitrage ad hoc : quel choix ?

Lorsqu’elles rédigent une clause compromissoire ou concluent un compromis, les parties doivent opérer un choix stratégique entre deux modèles principaux d’organisation :

  1. L’arbitrage ad hoc : Ici, les parties et les arbitres qu’elles désignent organisent eux-mêmes l’intégralité de la procédure. Elles doivent définir les règles applicables (soit en rédigeant des règles sur mesure, soit en se référant à un corpus existant comme le Règlement d’arbitrage de la CNUDCI), convenir du lieu, de la langue, des modalités de désignation des arbitres, etc.
    • Avantages : Flexibilité maximale, potentiel de réduction des coûts initiaux (pas de frais administratifs d’institution) si le litige est simple et les parties coopératives.
    • Inconvénients : Nécessite une forte implication des parties et de leurs conseils, ainsi qu’un haut degré de coopération. Le risque de blocage (par exemple, sur la désignation d’un arbitre) est plus élevé, et l’absence d’un cadre préétabli peut générer des discussions procédurales chronophages.
  2. L’arbitrage institutionnel : La procédure est administrée par une institution d’arbitrage permanente (souvent appelée « centre d’arbitrage »), conformément à son propre règlement. Les parties acceptent ce règlement en désignant l’institution dans leur convention d’arbitrage.
    • Avantages : Offre un cadre procédural éprouvé et complet, réduisant les discussions sur les règles du jeu. L’institution fournit un support administratif (notifications, gestion des provisions, organisation des audiences…) et dispose de mécanismes pour surmonter les blocages (nomination d’arbitres en cas de désaccord, décision sur les récusations…). La « marque » d’une institution reconnue peut aussi renforcer la crédibilité de la procédure et faciliter l’exécution ultérieure de la sentence.
    • Inconvénients : Implique le paiement de frais administratifs à l’institution (en plus des honoraires des arbitres), qui peuvent être significatifs. Le cadre réglementaire peut sembler moins flexible qu’un arbitrage purement ad hoc.

Le choix dépendra de la nature du litige, de la complexité de l’affaire, du montant en jeu, de la relation entre les parties et de leur expérience en matière d’arbitrage.

Les institutions d’arbitrage : des organisateurs professionnels

Les institutions d’arbitrage sont des organismes, généralement des associations à but non lucratif ou des entités liées à des chambres de commerce, dont la mission est d’administrer des procédures arbitrales. Elles jouent un rôle central dans la promotion et le bon déroulement de l’arbitrage commercial international.

On trouve une grande variété d’institutions à travers le monde :

  • Certaines ont une vocation générale et mondiale, comme la Cour Internationale d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (CCI) à Paris, la London Court of International Arbitration (LCIA), ou l’American Arbitration Association (AAA) et son International Centre for Dispute Resolution (ICDR).
  • D’autres sont régionales, comme le Singapore International Arbitration Centre (SIAC) ou la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) de l’OHADA en Afrique.
  • D’autres encore sont spécialisées dans certains secteurs : arbitrage maritime (comme la Chambre Arbitrale Maritime de Paris – CAMP), matières premières, finance, propriété intellectuelle (Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI), ou sport (Tribunal Arbitral du Sport – TAS).
  • En France, aux côtés de la CCI, des institutions comme l’Association Française d’Arbitrage (AFA) ou le Centre de Médiation et d’Arbitrage de Paris (CMAP) jouent un rôle actif.

Ces institutions établissent souvent des listes d’arbitres. Parfois, le choix d’un arbitre sur cette liste est obligatoire (listes « fermées », fréquentes dans les arbitrages très spécialisés), mais le plus souvent, les listes sont indicatives (listes « ouvertes ») ou servent de base à l’institution pour nommer un arbitre lorsque les parties ne parviennent pas à s’accorder. Ces listes visent à garantir un certain niveau de compétence et d’éthique, mais leur utilisation doit toujours respecter le principe d’égalité des parties dans la désignation.

Comment fonctionnent les institutions d’arbitrage ?

En optant pour un arbitrage institutionnel, les parties adhèrent au règlement d’arbitrage de l’institution choisie. Ce règlement devient la « loi de la procédure » pour les parties et les arbitres, suppléant à leur silence sur de nombreux points : modalités de saisine, délais, constitution du tribunal, déroulement de l’instance, forme de la sentence, etc.

Le fonctionnement interne varie, mais la plupart des grandes institutions disposent :

  • D’un Secrétariat ou d’une administration chargée de la gestion quotidienne des dossiers, des communications, de la logistique.
  • D’un organe décisionnel (souvent appelé « Cour d’arbitrage » ou « Comité ») composé de personnalités qualifiées, indépendant de l’administration, qui prend les décisions clés sur la constitution du tribunal (confirmation ou nomination des arbitres, décision sur les récusations), la prorogation des délais, et parfois l’examen préalable des projets de sentence.

L’institution assure également la gestion financière de l’arbitrage. Elle fixe les frais administratifs et les honoraires des arbitres (selon un barème préétabli) et demande aux parties de verser des provisions pour couvrir ces coûts. Le versement de ces provisions conditionne souvent la poursuite de la procédure. Ce système apporte une transparence et une prévisibilité appréciables sur le coût de l’arbitrage.

Certaines institutions (notamment la CCI) prévoient un examen du projet de sentence par leur organe décisionnel avant sa signature par les arbitres. Cet examen vise principalement à vérifier la cohérence formelle et à attirer l’attention des arbitres sur d’éventuels points de fond problématiques, sans toutefois pouvoir leur imposer une solution. L’objectif est de renforcer la qualité et l’exécutabilité de la sentence.

Quelle est la nature de l’intervention d’une institution ?

Il est essentiel de comprendre que l’institution d’arbitrage administre la procédure, mais ne juge pas le litige. Son rôle est organisationnel et procédural, non juridictionnel.

Cette nature administrative a des conséquences importantes :

  • Les décisions prises par l’institution (par exemple, sur la récusation d’un arbitre) n’ont pas l’autorité de la chose jugée. Elles peuvent être remises en cause devant le juge étatique lors d’un recours contre la sentence finale (par exemple, en invoquant une constitution irrégulière du tribunal).
  • L’institution n’est généralement pas tenue de motiver ses décisions administratives (sauf si son règlement le prévoit).
  • L’institution est liée par un contrat d’organisation de l’arbitrage avec les parties. Elle engage sa responsabilité contractuelle si elle manque à ses obligations (par exemple, en ne respectant pas son propre règlement, en ne garantissant pas l’indépendance du processus de nomination…). Il s’agit d’une obligation de moyens : elle doit mettre en œuvre les diligences nécessaires pour assurer un bon déroulement de la procédure. Les clauses limitant sa responsabilité sont souvent jugées inefficaces si elles couvrent un manquement à ses obligations essentielles.

Le juge d’appui : le soutien de la justice étatique à l’arbitrage

Même si l’arbitrage est une justice privée, l’État conserve un rôle de soutien pour garantir son bon fonctionnement et pallier d’éventuelles défaillances. En France, ce rôle est dévolu au juge d’appui.

Le juge d’appui est un magistrat étatique spécifiquement désigné pour intervenir dans certaines difficultés liées à la procédure arbitrale, principalement lors de la phase de constitution du tribunal. Sa mission est d’aider les parties à surmonter les obstacles pour que l’arbitrage puisse avoir lieu conformément à leur volonté.

En matière d’arbitrage international, le juge d’appui français (le Président du Tribunal Judiciaire de Paris, sauf clause contraire des parties) peut intervenir si l’une des conditions suivantes est remplie, conformément à l’article 1505 du Code de procédure civile :

  1. L’arbitrage se déroule en France ; OU
  2. Les parties ont convenu de soumettre la procédure arbitrale à la loi française ; OU
  3. Les parties ont expressément donné compétence aux juridictions françaises pour connaître des litiges relatifs à la procédure arbitrale ; OU
  4. L’une des parties est exposée à un risque de déni de justice (par exemple, si la loi étrangère normalement compétente empêche la constitution du tribunal).

Son domaine d’intervention concerne essentiellement les difficultés liées à la constitution du tribunal arbitral (articles 1451 à 1458 du Code de procédure civile, rendus applicables par l’article 1506) :

  • Désaccord des parties sur la désignation d’un arbitre.
  • Refus ou inertie d’une partie à désigner son arbitre.
  • Difficultés liées à la récusation d’un arbitre (si l’institution n’est pas compétente ou défaillante).
  • Remplacement d’un arbitre (décès, empêchement, démission contestée, révocation).
  • Il peut également être saisi pour proroger le délai d’arbitrage (article 1463).

Le juge d’appui a une compétence subsidiaire. Il n’intervient que si les parties n’ont pas réglé la difficulté elles-mêmes ou si le règlement de l’institution d’arbitrage choisie ne prévoit pas de mécanisme pour le faire, ou encore si ce mécanisme échoue.

Compétence et procédure devant le juge d’appui

La procédure devant le juge d’appui est conçue pour être rapide et efficace. Il est saisi par une partie (ou même un arbitre) par voie de requête. Il statue « comme en matière de référé », après avoir entendu ou appelé les parties et les arbitres.

Avant de nommer un arbitre ou de trancher une difficulté, le juge d’appui doit effectuer une vérification préliminaire : il s’assure que la convention d’arbitrage n’est pas manifestement nulle ou inapplicable (article 1455 du Code de procédure civile). S’il constate une telle nullité ou inapplicabilité manifeste, il refuse d’intervenir.

La décision du juge d’appui est une ordonnance. En principe, cette ordonnance n’est pas susceptible de recours (ni appel, ni cassation), conformément à l’article 1460 du Code de procédure civile. Elle est revêtue de l’autorité de la chose jugée sur le point qu’elle tranche (par exemple, la validité de la nomination d’un arbitre ou le rejet d’une demande de récusation). C’est une différence majeure avec les décisions administratives des institutions d’arbitrage. Une exception existe : si le juge refuse d’intervenir parce qu’il estime la clause manifestement nulle ou inapplicable, sa décision est susceptible d’appel. Un recours peut aussi être envisagé en cas d’excès de pouvoir manifeste du juge.

Le rôle combiné des institutions d’arbitrage et du juge d’appui offre ainsi un filet de sécurité essentiel pour garantir que la volonté des parties de recourir à l’arbitrage international puisse se concrétiser efficacement, même en cas de désaccord ou de difficultés procédurales.


Le choix entre arbitrage institutionnel et ad hoc a des implications pratiques importantes. En cas de blocage, le recours au juge d’appui est une solution efficace. Notre cabinet vous conseille sur la meilleure stratégie et vous assiste dans ces démarches.

Sources

  • Code de procédure civile (notamment articles 1451-1461, 1505, 1506)
  • Règlements d’institutions d’arbitrage (à titre d’exemple : Règlement d’arbitrage de la CCI, Règlement d’arbitrage de la LCIA, Règlement d’arbitrage de l’AFA)
  • Jurisprudence clé (mentionnée à titre indicatif : Cass. Civ. 1ère, 1er février 2005, Société NIOC c/ Société Israël)

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