Champ d’application de la législation sur l’usure : prêts concernés et exclusions

Table des matières

La réglementation sur l’usure, qui vise à plafonner les taux d’intérêt des crédits, constitue une protection essentielle pour les emprunteurs. Cependant, son champ d’application est loin d’être universel et a connu d’importantes évolutions, créant un paysage juridique complexe où certaines opérations sont couvertes et d’autres, exclues. Comprendre précisément quels prêts et financements sont concernés est donc fondamental, que vous soyez un particulier ou un dirigeant d’entreprise. Cet article a pour but de clarifier le périmètre de cette législation, en complément de notre guide complet sur la réglementation de l’usure en droit français.

L’élargissement du champ des opérations visées par la loi sur l’usure

Initialement circonscrite au simple prêt d’argent, la législation sur l’usure a progressivement étendu son emprise pour englober une palette bien plus large d’opérations financières. Cette évolution vise à mieux protéger les emprunteurs en s’adaptant à la diversification des techniques de financement.

L’influence de la codification et la qualité de l’emprunteur (consommateur vs professionnel)

L’intégration des règles sur l’usure au sein du Code de la consommation a pu semer le doute : cette réglementation était-elle désormais réservée aux seuls consommateurs ? La question est légitime, mais la jurisprudence y a apporté une réponse claire et constante. Les chambres civile, commerciale et criminelle de la Cour de cassation ont confirmé que, malgré cette localisation textuelle, les dispositions sur l’usure s’appliquent également aux prêts consentis à des professionnels. La codification s’est faite « à droit constant », ce qui signifie qu’elle n’a pas modifié la portée originelle de la loi. La qualité de l’emprunteur, qu’il soit un particulier ou un professionnel, n’exclut donc pas, par principe, l’application de ce régime protecteur, même si des aménagements spécifiques existent.

La notion large d’« opération de crédit » : au-delà du simple prêt

Pour déterminer si une convention est soumise à la législation sur l’usure, il ne faut pas s’arrêter à la notion restrictive de « prêt » telle que définie par le Code civil. Le législateur vise plus largement toute « opération de crédit ». La définition, donnée par l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier, est extensive. Elle englobe tout acte par lequel une personne, à titre onéreux, met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre. Cette approche large permet de couvrir des mécanismes de financement variés qui, sans être formellement des prêts, en produisent les mêmes effets économiques pour l’emprunteur. Cette qualification est d’autant plus importante qu’elle conditionne non seulement les règles sur l’usure mais aussi d’autres pans de la réglementation bancaire, comme celle qui encadre le monopole bancaire en France.

Les opérations déguisées et le pouvoir de requalification des juges

Certains montages contractuels peuvent être conçus pour contourner la réglementation sur l’usure. Consciente de ce risque, la jurisprudence reconnaît de longue date aux juges du fond un pouvoir souverain de requalification. Peu importe la dénomination choisie par les parties : si une convention, sous l’apparence d’une vente ou d’un autre acte, dissimule en réalité une opération de crédit, les magistrats peuvent lui restituer sa véritable nature. Ce pouvoir de requalification est un outil essentiel pour déjouer les fraudes et assurer l’application effective des dispositions d’ordre public relatives à l’usure. Le juge n’est pas lié par l’étiquette formelle du contrat ; il en analyse la substance et l’économie réelle.

Exemples d’opérations soumises : avances bancaires, découverts, ouvertures de crédit, escompte, affacturage, prêts participatifs, vente à tempérament

La notion d’opération de crédit recouvre une grande diversité de techniques financières. Sont notamment soumises à la réglementation sur l’usure :

  • Les avances bancaires et les découverts en compte, qui constituent une mise à disposition de fonds par la banque.
  • Les ouvertures de crédit, analysées comme une promesse de prêt qui se transforme en prêt à mesure de l’utilisation des fonds par le client.
  • L’escompte, par lequel une banque avance le montant d’un effet de commerce avant son échéance, moyennant une rémunération.
  • L’affacturage, opération par laquelle un établissement spécialisé (le factor) prend en charge les créances d’une entreprise et lui fournit une avance sur leur montant.
  • Les prêts participatifs, bien qu’ayant un régime spécifique, sont expressément soumis aux règles de l’usure par l’article L. 313-17 du Code monétaire et financier.
  • Les ventes à tempérament, pour lesquelles les intérêts générés par l’échelonnement du paiement sont assimilés à ceux d’un prêt d’argent.

Les conventions échappant à la réglementation sur l’usure

Malgré un champ d’application large, de nombreuses opérations financières ne sont pas soumises au plafonnement des taux d’intérêt. Les exclusions peuvent tenir à la nature même de la convention ou à la qualité de l’emprunteur, reflétant une volonté du législateur de ne pas freiner certains mécanismes économiques.

Exclusions en raison de l’objet de la convention : crédit-bail, contrats aléatoires, prêts successifs, émissions de titres de créances

Certains contrats sont exclus par nature du champ de l’usure. C’est le cas du crédit-bail, qui combine une location et une promesse de vente et n’est donc pas assimilé à une opération de crédit au sens de cette réglementation. Les prêts dont le remboursement est aléatoire y échappent également, car l’aléa empêche de dissocier la rémunération du prêteur de la prime de risque. Un exemple typique serait le financement de la production d’un film, remboursable via un pourcentage sur des recettes futures incertaines. De même, en cas de prêts successifs accordés au même emprunteur, chaque contrat est analysé indépendamment. Le caractère usuraire s’apprécie au moment de la conclusion de chaque prêt, et non de manière globale. Enfin, un avis ministériel a précisé que les émissions de titres de créances, comme les obligations, ne relevaient pas de la législation sur l’usure.

Exclusions en raison de la qualité de l’emprunteur : le déplafonnement pour les professionnels et personnes morales

Un tournant majeur a été pris avec la loi sur l’initiative économique du 1er août 2003, complétée en 2005. Le législateur a « déplafonné » les taux d’intérêt pour les prêts accordés à certaines catégories d’emprunteurs, partant du constat que le plafond de l’usure pouvait constituer un frein à l’accès au crédit pour les entreprises, notamment les plus jeunes ou les plus risquées. L’article L. 314-9 du Code de la consommation exclut désormais du champ de l’usure les prêts accordés à une personne morale exerçant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou professionnelle non commerciale. Cette exclusion a été étendue aux personnes physiques agissant pour leurs besoins professionnels. Pour ces acteurs économiques, la liberté de négociation du taux d’intérêt est donc le principe.

Le cas particulier des découverts en compte pour les professionnels

Le législateur a toutefois maintenu une protection spécifique pour une opération particulièrement sensible : le découvert en compte consenti à un professionnel. Conscient que le besoin urgent de trésorerie peut placer une entreprise en position de faiblesse, la loi a prévu que cette forme de crédit reste soumise à un plafond, bien que différent de celui applicable aux particuliers. Un découvert en compte accordé à un professionnel est ainsi considéré comme usuraire si son taux effectif global excède de plus du tiers le taux effectif moyen pratiqué par les établissements de crédit pour des opérations similaires. Cette exception vise à éviter que les banques ne profitent d’une situation de vulnérabilité pour imposer des conditions financières excessives qui aggraveraient les difficultés de l’entreprise.

L’application de la réglementation de l’usure dans l’espace

La dimension internationale des échanges économiques soulève des questions complexes quant à l’application territoriale des règles sur l’usure. La détermination de la loi applicable dépend de la nature, civile ou pénale, du litige et des principes du droit international privé.

Le particularisme des règles de l’usure en droit international

La législation sur l’usure présente la particularité d’avoir une double nature, à la fois civile et pénale. Sur le plan pénal, le principe de territorialité prévaut. L’article 113-2 du Code pénal dispose que la loi pénale française est applicable dès lors qu’un des faits constitutifs de l’infraction a eu lieu sur le territoire de la République. La jurisprudence a ainsi considéré que si des offres de prêt sont acceptées en France, le contrat est formé sur le territoire national, justifiant la compétence de la loi française pour réprimer un éventuel délit d’usure.

La loi d’autonomie et le rôle de l’ordre public international / loi de police

En matière purement civile, le principe est celui de la « loi d’autonomie » : les parties à un contrat international sont en principe libres de choisir la loi qui le régira. Cependant, cette liberté n’est pas absolue. Les règles françaises sur l’usure sont souvent considérées comme des « lois de police », c’est-à-dire des dispositions impératives dont le respect est jugé essentiel pour la sauvegarde de l’organisation économique et sociale du pays. À ce titre, elles peuvent s’appliquer à une situation internationale même si les parties ont choisi une autre loi, écartant ainsi la loi étrangère normalement compétente. Cette qualification de loi de police permet au juge français de faire prévaloir la protection de l’emprunteur telle que conçue par le droit français. Pour une analyse détaillée de ce mécanisme, vous pouvez consulter notre article sur les lois de police et l’ordre public international en droit bancaire.

Conséquences et enjeux pour les prêteurs et emprunteurs

La distinction entre les opérations soumises au plafond de l’usure et celles qui en sont exclues emporte des conséquences majeures. Pour l’emprunteur, la qualification de l’opération détermine l’étendue de sa protection. Un particulier ou un professionnel bénéficiant d’un découvert en compte peut contester un taux excessif, tandis qu’un entrepreneur souscrivant un prêt d’investissement ne bénéficiera pas de ce plafond. Il est donc primordial de bien identifier la nature juridique du financement envisagé avant de s’engager. Pour le prêteur, l’enjeu est tout aussi important. Le non-respect de la réglementation, lorsqu’elle est applicable, expose l’établissement de crédit à des sanctions sévères, non seulement civiles (restitution du trop-perçu, voire substitution du taux légal au taux conventionnel), mais aussi pénales (amende et peine d’emprisonnement). Une erreur de qualification d’une opération de crédit peut ainsi avoir des répercussions financières et judiciaires significatives. La complexité des frontières entre les différentes catégories d’opérations et de personnes rend souvent nécessaire une analyse juridique approfondie pour sécuriser les financements.

La qualification juridique d’une opération de crédit est une étape déterminante qui conditionne l’ensemble du régime applicable, notamment en matière de taux d’intérêt. Une analyse erronée peut priver un emprunteur d’une protection légale ou exposer un prêteur à des sanctions. Pour un conseil juridique sur la qualification de vos opérations de crédit et pour vous assurer de leur conformité avec la législation, n’hésitez pas à contacter notre cabinet.

Sources

  • Code de la consommation
  • Code monétaire et financier
  • Code civil
  • Code de commerce

Vous souhaitez échanger ?

Notre équipe est à votre disposition et s’engage à vous répondre sous 24 à 48 heures.

07 45 89 90 90

Vous êtes avocat ?

Consultez notre offre éditoriale dédiée.

Dossiers

> La pratique de la saisie immobilière> Les axes de défense en matière de saisie immobilière

Formations professionnelles

> Catalogue> Programme

Poursuivre la lecture

fr_FRFR