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La complexité du droit des entreprises en difficulté ne s’arrête pas aux règles générales applicables aux créances nées avant le jugement d’ouverture. Deux autres situations méritent une attention particulière et soulèvent des questions importantes pour les créanciers : quel est le sort des créances qui naissent après l’ouverture de la procédure ? Et que deviennent vos recours si votre créance était garantie non pas par le débiteur lui-même, mais par un tiers (une caution, un co-emprunteur, etc.) ?
Comprendre ces régimes spécifiques est essentiel. Le traitement des créances postérieures peut offrir des avantages significatifs à certains créanciers, tandis que les possibilités d’action contre les garants sont parfois limitées, mais souvent préservées. Cet article vise à clarifier ces points pour vous aider à mieux évaluer vos chances de recouvrement.
Le sort des créances nées APRÈS le jugement d’ouverture
Contrairement à une idée reçue, toutes les créances nées après le jugement d’ouverture ne sont pas logées à la même enseigne. La loi distingue soigneusement entre les créances jugées « utiles » ou « méritantes », qui bénéficient d’un traitement de faveur, et les autres, qui retombent dans le régime commun des dettes antérieures.
Le principe : un traitement de faveur pour encourager le soutien à l’entreprise
Il est essentiel de comprendre que, alors que les créances antérieures sont soumises à des interdictions strictes et des démarches spécifiques, pour inciter les partenaires de l’entreprise (fournisseurs, banquiers, bailleurs…) à continuer de contracter avec elle malgré ses difficultés, la loi a instauré ce qu’on appelle le « privilège de procédure » (parfois surnommé privilège de « new money »). Ce privilège, défini aux articles L. 622-17 (en sauvegarde et redressement) et L. 641-13 (en liquidation) du Code de commerce, accorde un traitement préférentiel aux créances qui remplissent des conditions strictes :
- Elles doivent être nées régulièrement après le jugement d’ouverture (c’est-à-dire résulter d’actes conformes aux pouvoirs du débiteur ou des organes de la procédure).
- Elles doivent répondre à un critère d’utilité :
- Soit être nées pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation (ou du maintien d’activité autorisé en liquidation).
- Soit être la contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période (observation ou maintien d’activité).
Concrètement, cela vise principalement :
- Les fournitures de biens ou services livrés après le jugement d’ouverture et nécessaires à la poursuite de l’activité.
- Les loyers correspondant à la période d’occupation postérieure au jugement (si le bail est continué).
- Les salaires des employés pour le travail effectué après le jugement.
- Les honoraires des mandataires de justice (mandataire, administrateur, liquidateur) et des experts désignés.
- Certaines créances légales directement liées à l’activité poursuivie (par exemple, certaines cotisations sociales).
Les avantages des créanciers postérieurs « privilégiés »
Si votre créance remplit ces conditions, vous bénéficiez d’un régime très avantageux :
- Paiement à l’échéance : En principe, votre créance doit être payée normalement, à sa date d’échéance contractuelle, sans attendre l’issue de la procédure ou un éventuel plan. C’est une dérogation majeure à l’interdiction de paiement des dettes antérieures.
- Droit de poursuivre en cas de non-paiement : Si le débiteur (ou l’administrateur/liquidateur) ne vous paie pas à l’échéance, vous n’êtes pas soumis à l’arrêt des poursuites. Vous pouvez engager une action en justice pour obtenir un titre exécutoire et même pratiquer des voies d’exécution (saisies) pour vous faire payer, ce qui est interdit aux créanciers antérieurs.
- Priorité de paiement (le « privilège ») : Si, malgré tout, les fonds disponibles ne suffisent pas à payer tout le monde, votre créance « privilégiée » sera payée avant la quasi-totalité des créances antérieures, qu’elles soient garanties (hypothèques, nantissements…) ou non. Seules quelques créances spécifiques vous priment : les salaires « superprivilégiés », les frais de justice nés après le jugement, et éventuellement les créances bénéficiant du « privilège de conciliation » (si une procédure de conciliation homologuée avait précédé). Le rang exact peut légèrement varier selon qu’il s’agit d’une sauvegarde/redressement ou d’une liquidation judiciaire, où l’ordre de priorité des créanciers est strictement défini pour le recouvrement sur les actifs réalisés.
- Attention à l’obligation d’information : Pour conserver ce rang de priorité en cas de répartition des fonds (si vous n’avez pas été payé à l’échéance), vous devez impérativement porter votre créance impayée à la connaissance de l’administrateur (s’il y en a un) ou du mandataire judiciaire (ou du liquidateur) dans un délai spécifique après la fin de la période d’observation ou après le jugement de liquidation (articles L. 622-17 IV et L. 641-13 IV). Omettre cette information vous fait perdre votre priorité de rang, même si la créance reste due et payable à l’échéance.
Et si votre créance postérieure n’est PAS privilégiée ?
Qu’advient-il des créances nées après le jugement d’ouverture mais qui ne remplissent pas le critère d’utilité ou qui sont nées irrégulièrement (par exemple, d’un contrat conclu par le débiteur sans l’autorisation requise) ?
La loi est claire : ces créances retombent dans le régime commun applicable aux créances antérieures. Cela signifie concrètement qu’elles sont soumises à :
- L’interdiction de paiement immédiat (article L. 622-7).
- L’arrêt des poursuites individuelles (article L. 622-21).
- L’obligation de déclaration de créance dans les mêmes délais et conditions que les créances antérieures (article L. 622-24 alinéa 5).
Leur sort est donc beaucoup moins favorable que celui des créances postérieures privilégiées.
Pouvez-vous agir contre les tiers garants et coobligés ?
Il est fréquent qu’un créancier ait demandé des garanties supplémentaires à son débiteur, notamment l’engagement d’un tiers : une caution (personnelle ou bancaire), un co-emprunteur solidaire, un garant autonome, ou même une personne ayant affecté un de ses biens en garantie (hypothèque ou gage sur un bien propre). Que deviennent ces garanties lorsque le débiteur principal entre en procédure collective ?
Le principe : la procédure du débiteur n’éteint pas l’engagement du garant
Avant d’aborder les recours contre les tiers garants, il est important de noter qu’il existe également des régimes spécifiques pour d’autres catégories de créanciers garantis (tels que les vendeurs avec réserve de propriété ou les bailleurs), dont les droits sont impactés différemment par les procédures collectives. Règle fondamentale : l’ouverture d’une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation) à l’égard du débiteur principal ne libère pas automatiquement les tiers qui se sont portés garants ou coobligés. En principe, le créancier conserve son droit d’agir directement contre eux pour obtenir le paiement, indépendamment de la procédure collective du débiteur principal.
MAIS : Des protections spécifiques pour les garants PERSONNES PHYSIQUES
Le législateur a toutefois introduit des tempéraments importants, visant à protéger les personnes physiques qui se sont portées garantes (souvent les dirigeants, leur famille, des proches) et à les inciter à ne pas freiner les démarches de sauvegarde de l’entreprise. Ces protections varient selon la procédure :
- En Sauvegarde et en Redressement Judiciaire (pendant la période d’observation) :
- Suspension des poursuites : Le créancier ne peut PAS engager ou poursuivre d’action en paiement contre la caution personne physique, le garant autonome personne physique, ou la personne physique ayant donné un bien personnel en garantie. Cette paralysie dure toute la période d’observation, jusqu’au jugement qui arrête le plan ou prononce la liquidation (article L. 622-28 alinéa 2). Les personnes morales garantes ne bénéficient pas de cette suspension.
- Bénéfice des délais et remises du plan (en Sauvegarde UNIQUEMENT) : Si un plan de sauvegarde est adopté, les garants personnes physiques peuvent se prévaloir des délais de paiement et des remises de dettes éventuellement accordés au débiteur principal dans ce plan (article L. 626-11). Cette règle ne s’applique PAS en cas de plan de redressement.
- Bénéfice de l’arrêt des intérêts (en Sauvegarde UNIQUEMENT) : Toujours en sauvegarde, les garants personnes physiques bénéficient également de l’arrêt du cours des intérêts (pour les créances concernées par cette règle, cf. article précédent) au même titre que le débiteur principal (article L. 622-28 alinéa 1). Ce n’est pas le cas en redressement.
Situation en Liquidation Judiciaire
En cas de liquidation judiciaire du débiteur principal, les protections spécifiques des garants personnes physiques disparaissent :
- Pas de suspension des poursuites : Le créancier peut agir contre tous les garants, personnes physiques ou morales, dès le jugement de liquidation (ou à l’expiration de la période d’observation si elle a précédé).
- Pas de bénéfice de l’arrêt du cours des intérêts pour les garants.
- Conséquence du défaut de déclaration contre le débiteur principal : Un point important a changé depuis 2005. Auparavant, si le créancier oubliait de déclarer sa créance contre le débiteur principal, la créance était éteinte, ce qui libérait la caution. Aujourd’hui, le défaut de déclaration rend la créance seulement « inopposable » au débiteur. La jurisprudence considère que c’est une exception personnelle au débiteur, que la caution ne peut plus invoquer pour refuser de payer. Le créancier peut donc poursuivre la caution même s’il a « oublié » de déclarer sa créance dans la procédure du débiteur principal.
Le cas particulier des associés tenus des dettes sociales (SCI, SNC…)
Dans les sociétés où les associés sont indéfiniment responsables des dettes (comme les sociétés civiles ou les sociétés en nom collectif), les créanciers de la société peuvent, après avoir tenté d’obtenir paiement auprès de la société elle-même (une simple mise en demeure suffit souvent si elle est en procédure collective), se retourner contre les associés personnellement.
Le leur statut exact par rapport aux mesures de protection (sont-ils assimilables à des cautions ou des coobligés ?) est débattu et la jurisprudence est complexe. Il est préférable de consulter un expert sur ce point précis.
L’action directe : une voie de recouvrement spécifique
Dans certaines situations bien définies par la loi, un créancier dispose d’une action directe contre le débiteur de son propre débiteur. Les cas les plus connus sont :
- L’action du sous-traitant impayé par l’entrepreneur principal, directement contre le maître d’ouvrage (client final) pour les sommes que ce dernier doit encore à l’entrepreneur (Loi de 1975 sur la sous-traitance).
- L’action de la victime d’un dommage directement contre l’assureur de responsabilité civile du responsable (Code des assurances).
L’avantage majeur de l’action directe est qu’elle échappe complètement aux règles de la procédure collective du débiteur intermédiaire. Le créancier peut l’exercer sans être soumis à l’arrêt des poursuites et sans avoir à déclarer sa créance dans la procédure collective de son débiteur direct. C’est une voie de recouvrement privilégiée quand elle est ouverte.
Le traitement des créances postérieures et les recours contre les tiers garants révèlent la complexité et la technicité croissantes du droit des entreprises en difficulté. Les règles varient sensiblement selon la nature de la créance, la qualité du garant et le type de procédure ouverte. Pour naviguer dans ces méandres et déterminer la stratégie la plus efficace pour le recouvrement de vos créances, l’analyse et le conseil d’un professionnel du droit sont souvent indispensables. Notre cabinet est à votre disposition pour étudier votre dossier et vous accompagner pour une analyse approfondie et une stratégie de recouvrement adaptée, que vous soyez créancier postérieur ou que vous cherchiez à exercer vos recours contre des tiers garants d’une entreprise en difficulté.
Sources
- Code de commerce, notamment articles L. 611-11, L. 622-17, L. 622-21, L. 622-24, L. 622-28, L. 626-11, L. 631-14, L. 641-13, L. 650-1.
- Loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance.
- Code des assurances (pour l’action directe en matière de responsabilité).
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