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Déclaration et vérification des créances en période d’observation

Table des matières

L’ouverture d’une procédure collective (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire) déclenche une série de mécanismes destinés à organiser le traitement des difficultés de l’entreprise débitrice. Au cœur de ce dispositif se trouve la gestion du passif antérieur, c’est-à-dire des dettes nées avant le jugement d’ouverture. La déclaration des créances représente une étape fondamentale pour tout créancier souhaitant faire valoir ses droits. Oublier ou négliger cette démarche peut avoir des conséquences radicales, allant jusqu’à l’impossibilité de recouvrer les sommes dues. Il est donc crucial d’en comprendre les suites de la déclaration, notamment l’arrêt du cours des intérêts et l’interdiction de nouvelles inscriptions. Cette phase s’inscrit dans le principe plus large du gel du passif, visant à figer la situation de l’entreprise à la date du jugement et à permettre une évaluation précise de ses dettes dans le cadre du déroulement de la période d’observation. La vérification qui s’ensuit permet ensuite au tribunal d’établir l’état définitif des créances admises.

Qui doit déclarer sa créance ?

La question de savoir qui est soumis à l’obligation de déclarer sa créance est essentielle, car elle détermine la participation potentielle au passif de la procédure collective.

Le principe : tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d’ouverture

Le principe général est posé par l’article L. 622-24 du Code de commerce : tous les créanciers dont la créance a une origine antérieure au jugement d’ouverture, à l’exception des salariés, doivent adresser la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire. Peu importe la nature de la créance (civile, commerciale, fiscale, sociale), son montant (même faible), ou qu’elle soit certaine, liquide et exigible. Une créance éventuelle, conditionnelle ou contestée doit également être déclarée. Sont concernées les créances contractuelles (factures impayées, loyers), délictuelles (indemnités dues suite à une faute), ou encore les créances résultant de contrats en cours résiliés après le jugement mais dont le fait générateur est antérieur.

Il est important de noter que cette obligation concerne aussi les créanciers titulaires d’une sûreté (privilège, nantissement, hypothèque), même si des règles spécifiques s’appliquent pour ceux bénéficiant d’une sûreté publiée. L’objectif est de recenser de manière exhaustive l’ensemble du passif antérieur pour donner une image fidèle de la situation de l’entreprise.

Exceptions et dispenses

La principale exception concerne les salariés. Leurs créances superprivilégiées (salaires des 60 derniers jours, indemnités de congés payés, etc.) et les autres créances salariales sont vérifiées et payées selon une procédure spécifique impliquant l’Association pour la gestion du régime de Garantie des créances des Salariés (AGS), sans qu’ils aient à effectuer une déclaration individuelle.

Une autre dispense notable concerne les créanciers bénéficiant d’une sûreté ayant fait l’objet d’une publication (comme une hypothèque inscrite ou un nantissement de fonds de commerce publié). Le mandataire judiciaire est tenu de les avertir personnellement ou, s’il y a lieu, à domicile élu, d’avoir à déclarer leur créance. Toutefois, cet avertissement ne les dispense pas de l’obligation de déclarer, mais le délai de déclaration ne court pour eux qu’à compter de la notification de cet avertissement. S’ils n’ont pas été avertis, ils ne sont pas forclos. Attention, cette dispense d’avertissement ne vise que les sûretés publiées ; un créancier titulaire d’une sûreté non publiée (comme un gage sans dépossession non inscrit) reste soumis au délai de droit commun sans avertissement préalable.

Enfin, les créances alimentaires ne sont pas soumises à la déclaration.

Cas des créances fiscales et sociales

Les administrations fiscales (impôts directs, TVA, etc.) et les organismes de sécurité sociale (URSSAF, caisses de retraite) sont des créanciers comme les autres et doivent déclarer leurs créances antérieures dans les délais impartis. Le Trésor public et les organismes sociaux bénéficient toutefois de privilèges généraux ou spéciaux qui devront être mentionnés dans leur déclaration pour être pris en compte lors de la répartition éventuelle des fonds. Le fait qu’il s’agisse d’organismes publics ne les exonère pas de cette démarche essentielle.

Comment et quand déclarer sa créance ?

La formalité de la déclaration obéit à des règles précises quant à son contenu, son destinataire et surtout ses délais.

Le contenu de la déclaration

  • Le montant de la créance due au jour du jugement d’ouverture, avec indication des sommes à échoir et de la date de leurs échéances. La créance doit être certifiée sincère par le créancier (ou son représentant).  
  • La nature de la créance (commerciale, civile, fiscale…).
  • Les éléments de nature à prouver l’existence et le montant de la créance si elle ne résulte pas d’un titre exécutoire (par exemple : bons de commande, factures, contrats, reconnaissance de dette).
  • La nature du privilège ou de la sûreté dont la créance est éventuellement assortie (privilège général, spécial, nantissement, hypothèque, etc.). Les documents justifiant la sûreté doivent être joints.
  • Si la créance résulte d’un contrat en cours, les modalités de calcul et la mention des échéances non échues.

Il est fortement recommandé de joindre à la déclaration tous les documents justificatifs (factures, contrats, bons de livraison, mises en demeure, décisions de justice éventuelles…) pour faciliter la vérification ultérieure. Une déclaration imprécise ou non justifiée risque d’être contestée.

Le destinataire de la déclaration : le mandataire judiciaire

La déclaration doit impérativement être adressée au mandataire judiciaire désigné par le tribunal dans le jugement d’ouverture. Son nom et ses coordonnées figurent dans la publication du jugement (notamment au BODACC – Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales). Envoyer la déclaration à l’entreprise débitrice, à l’administrateur judiciaire (s’il y en a un) ou au tribunal serait inefficace et ne respecterait pas l’exigence légale. Il est conseillé de procéder par lettre recommandée avec accusé de réception pour conserver une preuve de l’envoi et de la date. De plus en plus, la déclaration peut aussi s’effectuer par voie électronique via un portail dédié.

Les délais impératifs de déclaration

Le respect des délais est absolument fondamental. Selon l’article L. 622-24 du Code de commerce, les créanciers doivent déclarer leurs créances dans un délai de deux mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au BODACC.

Ce délai est porté à quatre mois pour les créanciers qui ne demeurent pas sur le territoire de la France métropolitaine (DOM-TOM et étranger).  

Le point de départ de ce délai est la date de publication au BODACC, qui peut être consultée en ligne ou auprès du greffe du tribunal. Pour les créanciers titulaires d’une sûreté publiée ou liés au débiteur par un contrat publié, le délai de deux mois court à compter de la notification de l’avertissement personnel qui leur est adressé par le mandataire judiciaire.  

Ces délais sont très stricts. Une déclaration reçue par le mandataire judiciaire après l’expiration du délai est irrecevable, sauf à obtenir un relevé de forclusion.

Les conséquences du défaut ou du retard de déclaration

Ne pas déclarer sa créance ou la déclarer hors délai expose le créancier à des sanctions sévères.

Le principe : l’extinction de la créance (inopposabilité à la procédure)

La sanction principale du défaut de déclaration dans les délais est prévue par l’article L. 622-26 du Code de commerce : les créanciers n’ayant pas déclaré leur créance ne sont pas admis dans les répartitions et les dividendes. Concrètement, leur créance ne sera pas prise en compte dans le cadre de la procédure collective. Elle ne sera pas payée si un plan de sauvegarde ou de redressement est adopté, ni prise en compte dans la répartition du produit de la vente des actifs en cas de liquidation judiciaire.

On parle souvent d’ »extinction » de la créance, même si juridiquement, il s’agit plutôt d’une inopposabilité à la procédure. La créance n’est pas anéantie en tant que telle, mais elle perd toute chance d’être recouvrée dans le cadre collectif. Le créancier négligent perd donc le bénéfice de sa créance vis-à-vis de l’entreprise en difficulté. Seule exception : si l’entreprise redevient in bonis (par exemple, après exécution complète d’un plan de redressement), le créancier pourrait théoriquement retrouver son droit de poursuite individuelle, mais cette hypothèse est rare en pratique.

La procédure de relevé de forclusion : conditions et chances de succès

Un créancier qui a dépassé le délai de déclaration peut tenter d’obtenir un « relevé de forclusion » auprès du juge-commissaire, conformément à l’article L. 622-26 du Code de commerce. Cette action doit être introduite dans un délai de six mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au BODACC (ou, pour les créanciers devant être avertis personnellement, dans les six mois suivant la notification de l’avertissement, ou à défaut, dans l’année du jugement d’ouverture). Attention, ce délai de six mois est lui-même un délai de forclusion : passé ce terme, plus aucune action n’est possible.

Pour accorder le relevé de forclusion, le juge-commissaire doit constater que la défaillance du créancier n’est pas due à son fait ou qu’elle est due à une omission volontaire du débiteur lors de l’établissement de la liste des créanciers.  

  • Défaillance non due au fait du créancier : Le créancier doit prouver qu’il a été empêché de déclarer sa créance par une circonstance extérieure, imprévisible et insurmontable (force majeure, hospitalisation soudaine sans possibilité de mandater quelqu’un, etc.). L’ignorance de la loi ou de la procédure, une simple négligence, une erreur d’adresse ou une mauvaise organisation interne ne sont généralement pas considérées comme des motifs valables. Les tribunaux apprécient cette condition très strictement.
  • Omission volontaire du débiteur : Si le créancier démontre que le débiteur l’a sciemment omis de la liste des créanciers qu’il doit remettre au mandataire judiciaire, le relevé peut être accordé. La preuve de cette intention dolosive peut être difficile à rapporter.

Si le relevé de forclusion est accordé, le créancier peut alors déclarer sa créance, qui sera soumise à la procédure de vérification. S’il est refusé, la créance reste inopposable à la procédure. Les chances de succès d’une action en relevé de forclusion sont donc limitées et dépendent fortement des circonstances propres à chaque cas. L’assistance d’un avocat pour créanciers est souvent déterminante pour évaluer la pertinence d’une telle action et pour défendre vos droits.

La phase de vérification des créances par le mandataire judiciaire

Une fois les créances déclarées (ou après relevé de forclusion), s’ouvre la phase de vérification, menée principalement par le mandataire judiciaire.

Le rôle du mandataire judiciaire assisté du débiteur

Le mandataire judiciaire a pour mission de vérifier chaque créance déclarée, tant en son principe qu’en son montant. Il examine les pièces justificatives fournies par le créancier. Dans cette tâche, il est assisté du débiteur (le chef d’entreprise ou ses dirigeants). Le débiteur est convoqué par le mandataire judiciaire pour donner son avis sur chaque créance : la reconnaît-il ? La conteste-t-il, et pour quels motifs ? Ses observations sont consignées. Le mandataire tient également compte des informations fournies par l’administrateur judiciaire, s’il en a été désigné un, notamment sur les contrats en cours. Le rôle du mandataire judiciaire est central dans cette étape, car il prépare la décision du juge-commissaire par ses propositions, en interaction avec le débiteur.

Les propositions d’admission, de rejet ou de renvoi devant le juge-commissaire

À l’issue de cette vérification, pour chaque créance, le mandataire judiciaire établit une proposition :

  • Proposition d’admission : Si la créance lui paraît justifiée en son principe et son montant, et que le débiteur ne la conteste pas (ou que sa contestation n’est pas sérieuse), il propose son admission pure et simple, en précisant le montant et la nature (privilégiée ou chirographaire).
  • Proposition de rejet : S’il estime la créance injustifiée (inexistante, éteinte, déjà payée…) ou si le débiteur la conteste sérieusement, il propose son rejet total ou partiel.
  • Proposition de renvoi devant le juge-commissaire (constatation d’une contestation) : Si la créance est contestée par le débiteur ou par le mandataire lui-même, et que la contestation soulève une question sérieuse (interprétation d’un contrat, application d’une règle de droit complexe…), le mandataire ne tranche pas mais constate l’existence d’une discussion et propose au juge-commissaire de statuer sur la contestation.

Le mandataire judiciaire informe le créancier de sa proposition (admission sans contestation, ou proposition de rejet/renvoi avec les motifs de la contestation).

La contestation des créances : procédure et issues

Lorsqu’une créance est contestée (par le débiteur ou le mandataire), le mandataire judiciaire en informe le créancier par lettre recommandée avec accusé de réception. Le créancier dispose alors d’un délai de trente jours pour répondre aux motifs de la contestation et fournir d’éventuels justificatifs complémentaires.

Si le créancier ne répond pas dans ce délai, il est réputé avoir acquiescé à la contestation, et la proposition du mandataire (rejet ou admission partielle) sera soumise telle quelle au juge-commissaire. Il ne pourra plus contester la décision du juge-commissaire sur ce point.

Si le créancier répond et maintient sa position, la contestation est portée devant le juge-commissaire. Celui-ci convoquera les parties (créancier, débiteur, mandataire judiciaire, administrateur s’il y en a un) à une audience pour entendre leurs arguments avant de trancher. Le juge-commissaire peut soit admettre la créance (totalement ou partiellement), soit la rejeter, soit se déclarer incompétent si la contestation soulève une question relevant de la compétence exclusive d’une autre juridiction (par exemple, un litige prud’homal complexe).

L’admission des créances par le juge-commissaire

C’est le juge-commissaire, organe clé de la procédure, qui statue sur le sort final des créances déclarées et vérifiées.

Décision d’admission ou de rejet

Sur la base des propositions du mandataire judiciaire et, en cas de contestation, après avoir entendu les parties, le juge-commissaire prend une décision pour chaque créance.

  • Il admet la créance s’il l’estime fondée, en précisant son montant (principal, intérêts éventuels arrêtés au jour du jugement d’ouverture) et sa nature (privilégiée ou chirographaire).
  • Il rejette la créance s’il l’estime infondée.
  • Il constate son incompétence ou l’existence d’une instance en cours si la contestation excède ses pouvoirs juridictionnels.

Ces décisions sont portées sur un état des créances déposé au greffe du tribunal. Une insertion au BODACC informe les tiers du dépôt de cet état.

Autorité de la décision du juge-commissaire

La décision du juge-commissaire sur l’admission ou le rejet d’une créance a une autorité importante. Une fois qu’elle n’est plus susceptible de recours (ou que les recours ont été épuisés), elle a autorité de la chose jugée. Cela signifie que la question de l’existence et du montant de la créance est définitivement tranchée entre le créancier, le débiteur et les organes de la procédure. Elle ne pourra plus être remise en cause ultérieurement, sauf cas très exceptionnels (recours en révision). L’état des créances arrêté par le juge-commissaire fixe donc le passif antérieur qui sera pris en compte pour l’élaboration d’un plan ou la répartition en liquidation.

Voies de recours

Les décisions du juge-commissaire en matière d’admission ou de rejet des créances peuvent faire l’objet de recours.

  • S’il statue sur sa compétence ou sur une créance contestée, sa décision peut être frappée d’appel par le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision.
  • S’il statue sur une créance non contestée (admission ou rejet sur proposition simple du mandataire), le recours ouvert est un recours devant la cour d’appel, mais il est réservé aux tiers intéressés (par exemple, un autre créancier contestant l’admission d’une créance concurrente). Le créancier, le débiteur et le mandataire ne peuvent pas former ce recours contre une décision statuant sur une créance non contestée. Ce recours doit être formé dans les dix jours suivant la publication au BODACC de l’avis de dépôt de l’état des créances.

Ces voies de recours sont techniques et encadrées par des délais stricts, rendant souvent l’intervention d’un avocat nécessaire pour préserver ses droits.

Créancier d’une entreprise en difficulté ? La déclaration et le suivi de la vérification de votre créance sont des étapes déterminantes pour espérer un recouvrement. Face à la complexité des règles et aux délais impératifs, notre cabinet peut vous assister dans cette démarche et défendre au mieux vos intérêts. N’hésitez pas à nous contacter pour une assistance juridique experte dans la déclaration et la vérification de vos créances et pour discuter de votre situation.

Sources

  • Code de commerce : articles L. 622-24 à L. 622-33 (Déclaration et vérification des créances)
  • Code de commerce : articles R. 622-21 à R. 622-26 (Dispositions relatives à la déclaration des créances)
  • Code de commerce : articles L. 624-1 à L. 624-4 (Vérification et admission des créances)
  • Code de commerce : articles R. 624-1 à R. 624-8 (Dispositions relatives à la vérification et à l’admission des créances)

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