Naviguer dans le paysage juridique français peut s’avérer complexe ; cette complexité s’accroît lorsque l’on aborde le contexte spécifique de la Polynésie française. Dotée d’une large autonomie, cette collectivité d’outre-mer a développé un écosystème juridique singulier où le droit commercial métropolitain ne s’applique que partiellement, laissant place à des adaptations locales et à des institutions judiciaires uniques. Pour tout entrepreneur ou investisseur, comprendre ces particularités n’est pas une simple curiosité intellectuelle, mais une nécessité pratique pour sécuriser ses opérations et défendre efficacement ses intérêts. Cet article propose une analyse détaillée du cadre juridique, des acteurs et des règles qui façonnent le droit commercial en Polynésie française.
L’autonomie juridique de la Polynésie française et les fondements du droit commercial local
Le droit commercial applicable en Polynésie française est le fruit d’une articulation entre le principe de spécialité législative et une application sélective du droit commun français. L’autonomie accordée à la collectivité, définie par la loi organique, lui permet de disposer de ses propres normes, notamment par le biais des « lois du pays », qui régissent des pans entiers de la vie économique. Pour une compréhension approfondie du cadre général, il est essentiel de se référer aux principes et enjeux du droit commercial ultramarin. Cette autonomie de la Polynésie se manifeste principalement par deux mécanismes : des exclusions pures et simples de pans du Code de commerce métropolitain et des dispositions d’adaptation qui modifient les règles françaises pour les conformer aux réalités locales.
Les exclusions significatives du droit commun français
Plusieurs domaines majeurs du droit commercial métropolitain sont expressément exclus en Polynésie française, ce qui impose aux acteurs économiques de se référer exclusivement à la réglementation locale. Une comparaison utile peut être établie avec les spécificités législatives et adaptations locales en Nouvelle-Calédonie. Les exclusions les plus notables, issues notamment de l’article L. 940-1 du Code de commerce, concernent :
- Le droit de la concurrence : L’intégralité du Livre IV du Code de commerce, qui régit la liberté des prix, les pratiques anticoncurrentielles et les pratiques restrictives de concurrence, est inapplicable. La Polynésie française dispose de son propre Code de la concurrence et d’une autorité locale pour en assurer le respect.
- Les professions réglementées : Une partie importante du droit des affaires, le Livre VIII, qui encadre les professions d’administrateur judiciaire, de mandataire judiciaire et de commissaire aux comptes, ne s’applique pas. La réglementation de ces professions relève de la compétence locale.
- Certaines règles sur les baux commerciaux : Des dispositions clés, comme celles relatives à la fixation du loyer lors du renouvellement (plafonnement) ou à la révision triennale (articles L. 145-34 à L. 145-36, L. 145-38 et L. 145-39), sont écartées au profit de mécanismes locaux.
- Les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques : Ce secteur est également régi par des textes propres à la collectivité.
- Les garanties sur les dépôts en magasins généraux : Le régime des warrants, prévu au Livre V du code, n’est pas applicable.
Les dispositions d’adaptation : quand le droit français se localise
Lorsqu’un texte métropolitain est déclaré applicable, il l’est souvent sous réserve d’adaptations. Celles-ci consistent principalement à substituer les références aux institutions ou aux codes métropolitains par leurs équivalents polynésiens. Cette démarche assure une cohérence entre le droit applicable et l’environnement institutionnel local. Les principales adaptations, dont il faut tenir compte dans chaque dossier, concernent :
- Les matières fiscales et sociales : Toute référence à un code fiscal ou social français est systématiquement remplacée par une référence aux dispositions applicables localement. Par exemple, pour bénéficier du statut des baux commerciaux, un artiste doit être reconnu comme tel au sens du code des impôts polynésien (C. com., art. L. 941-11).
- La comptabilité : Les régimes comptables simplifiés pour les commerçants personnes physiques sont conditionnés par les seuils et règles d’imposition définis par la réglementation fiscale de la collectivité (C. com., art. L. 941-3).
- La location-gérance : Le régime de la location-gérance de fonds de commerce fait l’objet d’adaptations, notamment sur les modalités de révision du loyer (C. com., art. L. 941-9 et L. 941-10).
- Les opérations bancaires : Les dispositions relatives aux effets de commerce ou au nantissement sont ajustées pour tenir compte des particularités fiscales locales (C. com., art. L. 945-5 et L. 945-7).
Le tribunal mixte de commerce de Papeete : un acteur central du contentieux commercial
Au cœur du dispositif judiciaire commercial polynésien se trouve une juridiction à la structure originale : le Tribunal Mixte de Commerce de Papeete, acteur central de la résolution de tout litige commercial. Contrairement aux tribunaux de commerce de métropole, exclusivement composés de juges élus issus du monde de l’entreprise (juges consulaires), cette juridiction combine des magistrats professionnels et des juges élus, une particularité partagée, pour une grande partie, avec d’autres territoires d’outre-mer.
Organisation et composition : une juridiction unique en outre-mer
La composition du Tribunal Mixte de Commerce de Papeete reflète sa nature hybride. Il est présidé par un magistrat de carrière, en l’occurrence le président du tribunal de première instance de Papeete ou un de ses vice-présidents désigné à cette fonction. Ce magistrat professionnel siège aux côtés de six juges élus. Ces derniers sont des commerçants ou des chefs d’entreprise élus par leurs pairs pour un mandat de quatre ans, selon un corps électoral et des modalités propres à la Polynésie française. La formation de jugement collégiale est donc composée du président magistrat et de trois juges élus, garantissant une supériorité numérique à ces derniers. En cas de partage des voix, celle du président est prépondérante, comme le précise l’article L. 947-2 du Code de commerce. Enfin, une autre différence notable est la nature du greffe, qui est un greffe public assuré par le greffier en chef de la juridiction civile, et non un office ministériel privé comme en métropole.
Compétences propres et procédures devant le tribunal de commerce
Le Tribunal Mixte de Commerce de Papeete détient une compétence matérielle large, calquée sur celle des juridictions consulaires métropolitaines (C. com., art. L. 947-1). Il connaît des litiges relatifs aux engagements entre commerçants, aux sociétés commerciales et aux actes de commerce. Sa compétence s’étend également à l’ouverture et au suivi des procédures collectives (sauvegarde, redressement et liquidation judiciaire) pour les entreprises commerciales et artisanales de la collectivité. Avant d’aborder les particularités du Tribunal de Papeete, il est utile de se familiariser avec les règles générales de la procédure devant le tribunal de commerce. Une particularité procédurale d’importance réside dans l’article 16 du code de procédure civile de la Polynésie française, qui déclare nulle toute clause attributive de juridiction désignant un tribunal extérieur au territoire. Cette disposition vise à protéger les justiciables locaux en assurant la compétence des juridictions polynésiennes pour tout litige né sur le territoire. De plus, la pratique judiciaire tient compte des « délais de distance », qui peuvent être accordés par les magistrats pour tenir compte de la dispersion géographique des îles et des difficultés d’acheminement des notifications, garantissant ainsi le respect des droits de la défense.
Les procédures collectives en Polynésie française : des règles spéciales pour les entreprises en difficulté
En Polynésie française, l’étude des procédures collectives commence par la compréhension de l’ouverture des procédures collectives, qu’il s’agisse de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire. Si le cadre général s’inspire largement du Livre VI du Code de commerce métropolitain, des exclusions et adaptations importantes modifient le traitement des entreprises en difficulté. L’inapplicabilité de certaines dispositions relatives à la garantie des créances salariales (AGS) et, surtout, l’exclusion totale du Livre VIII relatif aux administrateurs et mandataires judiciaires, imposent un recours à des mécanismes et des acteurs locaux spécifiques.
Les organes de procédure et leurs particularités locales
L’exclusion du Livre VIII du Code de commerce a une conséquence majeure : les administrateurs et mandataires judiciaires intervenant en Polynésie française ne sont pas ceux inscrits sur les listes nationales métropolitaines. La collectivité dispose de sa propre réglementation pour l’agrément et la désignation de ces professionnels. Leurs missions de diagnostic, d’assistance, de représentation des créanciers ou de liquidation sont similaires à celles de leurs homologues de métropole, mais leur statut est régi par des textes polynésiens. Cette organisation locale, qui constitue une partie intégrante du système, vise à assurer une meilleure connaissance du tissu économique insulaire par les praticiens. Les particularités locales des organes de procédure durant la période d’observation sont cruciales pour les entreprises en difficulté en Polynésie.
Période suspecte et nullités des actes : la jurisprudence polynésienne
La période suspecte, cette partie cruciale précédant l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire durant laquelle certains actes passés par le débiteur peuvent être annulés, est un concept pleinement applicable en Polynésie française. Les principes fondamentaux sont les mêmes qu’en droit métropolitain : il s’agit de reconstituer l’actif de l’entreprise en annulant les actes anormaux qui ont porté préjudice aux créanciers. La jurisprudence locale, en la matière, suit de très près les orientations de la Cour de cassation. Les tribunaux polynésiens examinent avec la même rigueur les conditions de nullité, qu’il s’agisse de nullités de droit (actes à titre gratuit, paiements anormaux) ou de nullités facultatives (actes à titre onéreux passés avec un cocontractant qui avait connaissance de l’état de cessation des paiements). L’obtention d’une jurisprudence locale récente est toutefois déterminante pour affiner toute analyse sur ce sujet.
Droit de la concurrence en Polynésie française : un cadre juridique différencié
Le Livre IV du Code de commerce métropolitain est intégralement exclu en Polynésie française. Cette exclusion est fondamentale car elle signifie que ni le droit français de la concurrence, ni le droit de l’Union européenne ne s’y appliquent. La collectivité a bâti son propre cadre juridique pour réguler les marchés, avec des règles adaptées à une économie insulaire, de taille réduite et fortement dépendante des importations.
L’absence des règles de l’Union européenne : quelles implications ?
La Polynésie française n’étant pas un territoire de l’Union européenne mais un Pays et Territoire d’Outre-Mer (PTOM), elle n’est pas soumise aux traités européens, notamment en matière de concurrence (ententes, abus de position dominante). Cette situation a des implications concrètes : les entreprises ne peuvent être sanctionnées sur le fondement de l’article 101 (ententes) et de l’article 102 (abus de position dominante) du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE). De même, le contrôle des concentrations d’entreprises ne relève pas de la Commission européenne. C’est l’Autorité Polynésienne de la Concurrence, une autorité administrative indépendante locale, qui est seule compétente pour instruire et sanctionner les pratiques anticoncurrentielles sur le territoire.
Accords d’importation exclusifs et contraintes géographiques
Une des particularités du droit polynésien de la concurrence concerne la régulation des accords d’importation exclusifs. Dans un contexte de forte dépendance aux importations et d’insularité, ces accords peuvent rapidement créer des situations de monopole et des prix élevés. Le Code de la concurrence polynésien encadre donc strictement ces pratiques. Cependant, il reconnaît également que les « contraintes géographiques » (dispersion des îles, faibles volumes, coûts logistiques élevés) peuvent, dans certains cas, justifier des accords qui seraient jugés anticoncurrentiels dans un autre contexte. L’analyse de l’Autorité de la Concurrence se fait donc au cas par cas, en soupesant la nécessité de préserver une concurrence effective et les contraintes économiques inhérentes au territoire.
Les baux commerciaux en Polynésie française : réglementation et particularités locales
Le statut des baux commerciaux en Polynésie française s’appuie sur le socle du Code de commerce métropolitain, mais avec des exclusions notables qui en modifient une partie des aspects les plus protecteurs pour le locataire. Au-delà des particularités polynésiennes, il est fondamental de comprendre la gestion quotidienne d’un bail commercial, incluant les droits, obligations et modifications. Le droit au renouvellement, pilier du statut, est maintenu, mais les règles de fixation du loyer renouvelé sont différentes.
Plafonnement des loyers et protections spécifiques aux locataires
Les articles du Code de commerce métropolitain relatifs au plafonnement du loyer du bail renouvelé (art. L. 145-34) et à la révision triennale (art. L. 145-38) sont expressément exclus. En l’absence de ces mécanismes, la fixation du loyer renouvelé relève en principe de la liberté contractuelle ou, à défaut d’accord, de la décision du juge saisi du litige, qui se fonde sur la valeur locative. Cependant, pour protéger les locataires contre des augmentations excessives, la réglementation locale a mis en place des dispositifs de limitation. Des « lois du pays », votées par l’Assemblée de la Polynésie française et promulguées par le Président de la Polynésie française, peuvent ainsi instituer des plafonds temporaires ou des mécanismes de lissage des augmentations de loyer, en particulier dans les zones où la pression immobilière est forte, afin de préserver l’équilibre économique des commerces.
Aides locales à l’installation : opportunités pour les entreprises
Pour dynamiser son tissu économique et encourager l’implantation de nouvelles activités, la Polynésie française propose diverses aides locales aux entreprises. Ces dispositifs peuvent prendre la forme de subventions, d’exonérations fiscales ou de crédits d’impôt pour les investissements réalisés. Dans le contexte des baux commerciaux, ces aides peuvent être particulièrement attractives, en allégeant les coûts d’installation et d’aménagement des locaux. Les entreprises qui s’implantent dans des secteurs jugés prioritaires (tourisme, perliculture, numérique, transition énergétique) ou dans des archipels autres que les Îles du Vent peuvent bénéficier de soutiens renforcés, rendant leur projet commercial plus viable financièrement dès le démarrage.
Droit des sociétés et formalités en Polynésie française : création, vie et dissolution
Le droit des sociétés applicable en Polynésie française est très proche du droit métropolitain. Les formes sociales (SARL, SAS, SA, etc.) sont identiques et, pour la plus grande partie, les règles de fonctionnement de base demeurent les mêmes. Les particularités se situent principalement au niveau des formalités administratives et des coûts associés, qui sont gérés par des institutions locales.
Particularités des formalités administratives et légales
La création, la modification ou la dissolution d’une société en Polynésie française impliquent des démarches auprès d’interlocuteurs locaux, parfois sous le contrôle des services du Haut-Commissaire pour certaines matières régaliennes. Le Registre du Commerce et des Sociétés (RCS) est tenu par le greffe du Tribunal Mixte de Commerce de Papeete. Les formalités de publicité légale, quant à elles, doivent être effectuées dans le Journal Officiel de la Polynésie Française (JOPF) ou un bulletin d’annonces légales habilité. Bien que les procédures soient similaires à celles de la métropole, les délais et les pratiques administratives peuvent varier. Il est donc important de se familiariser avec les exigences spécifiques du greffe de Papeete pour s’assurer de la conformité des démarches.
Coûts et procédures de dissolution : comparaison avec la métropole
La procédure de dissolution-liquidation d’une société suit les mêmes grandes étapes qu’en métropole : décision de dissolution par les associés, nomination d’un liquidateur, réalisation des actifs, apurement du passif et clôture de la liquidation. Cependant, les coûts directs peuvent différer. Les tarifs des publications légales dans le Journal Officiel de la Polynésie Française ou le bulletin officiel sont spécifiques au territoire. Un arrêté publié en septembre de chaque année peut par exemple en fixer les montants. De même, les frais de greffe pour les formalités de dissolution et de radiation du RCS sont fixés localement. Bien que les honoraires du liquidateur restent le principal poste de dépense, ces coûts administratifs annexes doivent être anticipés car ils peuvent présenter des écarts par rapport aux tarifs pratiqués en France métropolitaine. Ce cadre normatif unique nécessite une vigilance constante.
Le droit commercial en Polynésie française est un domaine riche et complexe, qui exige une connaissance pointue des interactions entre le droit commun et les nombreuses particularités locales. Pour toute question ou besoin d’accompagnement, n’hésitez pas à contacter nos avocats experts en droit commercial polynésien.
Sources
- Code de commerce (dans sa version applicable en Polynésie française)
- Code de procédure civile de la Polynésie française
- Code de l’organisation judiciaire




