Le droit commercial applicable à Saint-Pierre-et-Miquelon constitue un microcosme juridique singulier, où le droit commun français est loin de s’appliquer de manière uniforme. Loin d’être une simple transposition du droit métropolitain, la législation de l’archipel est un ensemble complexe d’exclusions et d’adaptations, façonné par son histoire, sa géographie (l’archipel n’ayant jamais eu le statut de département Saint Pierre au sens métropolitain) et ses spécificités économiques. Pour les entrepreneurs et les acteurs économiques locaux, naviguer dans cet environnement juridique requiert une connaissance précise des dérogations qui le régissent. Cet article détaille les particularismes du droit commercial à Saint-Pierre-et-Miquelon, un domaine où notre expertise en droit commercial ultramarin, et le rôle de chaque avocat de notre équipe, prend tout son sens.
Un cadre juridique unique : l’organisation judiciaire commerciale à Saint-Pierre-et-Miquelon
Contrairement à la France métropolitaine, l’archipel ne dispose pas de tribunaux de commerce consulaires. Cette absence structurelle a conduit à une organisation judiciaire originale pour traiter les litiges commerciaux, une particularité fondamentale de l’organisation judiciaire commerciale ultramarine, qui repose sur des juridictions aux compétences étendues.
Le tribunal de première instance : une compétence commerciale spécifique
À Saint-Pierre-et-Miquelon, la justice commerciale de première instance est confiée au tribunal de première instance. Cette juridiction, qui fusionne les compétences habituellement dévolues en métropole au tribunal judiciaire, statue également en matière commerciale. Le plus souvent, elle siège à juge unique, conformément à ce que prévoit l’article L. 513-2 du Code de l’organisation judiciaire, dans sa version en vigueur. Cette concentration des compétences, qui impacte la gestion du greffe du tribunal, est une conséquence directe des effectifs réduits de l’appareil judiciaire sur le territoire. Si cette organisation permet une certaine agilité, elle impose au magistrat une polyvalence remarquable pour appréhender des contentieux de natures très diverses et faire face à chaque situation.
La juridiction commerciale d’appel : une mixité originale
L’originalité du système judiciaire de l’archipel est encore plus marquée en appel. Le tribunal supérieur d’appel, qui connaît des recours contre les décisions du tribunal de première instance, présente une composition mixte. Selon les dispositions des articles L. 513-6 et L. 512-2 du Code de l’organisation judiciaire, la formation collégiale est présidée par un magistrat du siège, souvent le président de la cour ou le premier président par délégation, mais elle est complétée par deux assesseurs. Ces derniers ne sont pas des magistrats de carrière. Ils sont choisis pour deux ans sur une liste arrêtée par le garde des Sceaux, ministre de la justice, parmi des citoyens français, âgés d’au moins vingt-trois ans, et doivent présenter des garanties de compétence et d’impartialité. Ce système échevinal au second degré est une réponse pragmatique au faible nombre de magistrats professionnels. Il soulève néanmoins des questions pratiques sur la protection et le maintien d’une impartialité objective dans une communauté restreinte où le lien interpersonnel est fréquent.
Les exclusions notables du droit commun commercial français
Le principe de spécialité législative qui régit Saint-Pierre-et-Miquelon en tant que collectivité d’outre-mer de l’article 74 de la Constitution se traduit par de nombreuses exclusions de pans entiers du droit commercial métropolitain. Ces dérogations créent un environnement juridique distinct, qu’il est indispensable de maîtriser. À titre de comparaison, il est intéressant d’explorer les spécificités du droit commercial en Polynésie Française, en Nouvelle-Calédonie ou à Wallis et Futuna, qui présentent également des dérogations significatives.
Inapplicabilité du crédit-bail et des sociétés de caution mutuelle
Deux outils de financement et de garantie importants pour les entreprises en métropole sont inapplicables à Saint-Pierre-et-Miquelon. L’article L. 910-1 du Code de commerce, dans sa version actualisée, écarte expressément l’application des dispositions relatives au crédit-bail pour les magasins collectifs de commerçants indépendants (C. com., art. L. 125-3). De même, le régime des sociétés de caution mutuelle (C. com., article L. 126-1) n’a pas cours dans l’archipel. Les entreprises locales doivent donc recourir à des mécanismes de financement et de garantie alternatifs, ce qui influence nécessairement leur structuration financière.
Le régime particulier du conjoint collaborateur
Le statut du conjoint collaborateur a longtemps fait l’objet d’un régime particulier. Initialement, les textes métropolitains qui fixaient un seuil maximal de salariés pour que le conjoint du gérant de SARL puisse opter pour ce statut étaient inapplicables. Cette exclusion a été alignée sur le droit commun suite à la loi PACTE du 22 mai 2019 et son décret d’application, qui ont supprimé ce plafonnement pour l’ensemble du territoire français. Désormais, le conjoint du chef d’entreprise peut opter pour le statut de conjoint collaborateur quel que soit le nombre de salariés, une clarification bienvenue pour les entrepreneurs de l’archipel.
Exemptions du bodacc et spécificités du warrant pétrolier
Les entreprises de Saint-Pierre-et-Miquelon bénéficient d’une exemption notable : elles ne sont pas soumises aux exigences de publication d’avis au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC), un journal officiel qui assure la transparence publique des affaires, comme le prévoient les articles R. 123-209 à R. 123-219 du Code de commerce. Cet allègement a un impact direct sur la transparence de la vie des affaires locales. Par ailleurs, bien que le warrant pétrolier soit applicable, une spécificité existe : l’article L. 524-20 du Code de commerce, qui impose le respect des obligations de constitution de stocks stratégiques, est écarté. Bien que ce warrant soit exempté de cette contrainte, il est utile de comprendre le fonctionnement général des garanties sur stocks, comme expliqué dans le guide pratique sur le warrant de magasin général.
Droit de la concurrence et aménagement commercial : des règles adaptées
Le droit de la concurrence applicable dans l’archipel déroge également au droit commun. Les dispositions du droit français mettant en œuvre les règles de l’Union européenne en matière de pratiques anticoncurrentielles sont exclues. Cependant, cela ne signifie pas une absence totale de régulation. L’article L. 752-27 du Code de commerce s’applique et permet à l’Autorité de la concurrence, autorité administrative indépendante, d’intervenir en cas de position dominante dans le commerce de détail ou de gros, en tenant compte des contraintes géographiques et économiques locales. Malgré ces adaptations, les principes fondamentaux du droit de la concurrence restent essentiels, notamment pour identifier les abus de position dominante qui peuvent altérer le marché. De plus, la quasi-totalité des dispositions sur l’aménagement commercial est inapplicable, à l’exception de l’article L. 750-1-1 relatif au Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce (FISAC).
Procédures collectives : entre adaptation et maintien de l’impartialité
Le traitement des entreprises en difficulté présente des particularités remarquables. Les procédures européennes d’insolvabilité (une ordonnance récente a confirmé ce point) sont logiquement exclues, Saint-Pierre-et-Miquelon n’appartenant pas à l’Union européenne. Plus surprenant, l’archipel déroge aux règles strictes d’impartialité des juges. En raison des effectifs judiciaires très réduits, l’article L. 910-1 du Code de commerce déclare inapplicable l’article L. 662-7 du même code. Ainsi, un magistrat ayant connu d’une entreprise dans le cadre d’une procédure de prévention peut être désigné juge-commissaire ou participer au jugement d’ouverture d’une procédure collective à son encontre. Cette adaptation pragmatique, mise en place pour faire face à une situation complexe, soulève des questions au regard des garanties d’un procès équitable, une évolution législative étant d’ailleurs attendue pour décembre 2024 afin de renforcer les garanties. Pour mieux appréhender ces spécificités, une base solide sur le déroulement général des procédures, notamment la période d’observation en procédure collective, est nécessaire.
Adaptations spécifiques du droit français : fiscalité, droit social et baux commerciaux
Au-delà des exclusions pures et simples, de nombreuses dispositions du droit français sont appliquées à Saint-Pierre-et-Miquelon moyennant des adaptations qui tiennent compte du contexte local. De même, le régime juridique à Mayotte offre un autre exemple d’adaptations significatives en matière de droit commercial.
Comptabilité et fiscalité : un régime allégé et des conventions spéciales
Les particularismes fiscaux de la collectivité ont un impact direct sur le droit commercial. Les commerçants personnes physiques peuvent bénéficier d’un allègement de leurs obligations comptables s’ils relèvent d’un régime simplifié d’imposition défini par la réglementation en vigueur dans la collectivité (C. com., art. L. 911-2). Des adaptations sont également prévues pour des règles techniques : le privilège du voiturier, par exemple, n’inclut pas les taxes et frais de douane. De même, les règles sur la revente à perte et les délais de paiement pour les boissons alcoolisées sont ajustées pour tenir compte des taxes sur le chiffre d’affaires et des droits de consommation applicables localement.
Droit social : prise en compte des particularismes locaux
Le droit social local influence également le droit commercial. L’affiliation à la caisse de prévoyance sociale de Saint-Pierre-et-Miquelon, un établissement public local, et non aux organismes métropolitains, est une condition requise dans plusieurs situations. Par exemple, pour qu’un artiste bénéficie du statut des baux commerciaux, il doit être affilié à cette caisse locale. De plus, en cas de nantissement de matériel, le privilège du créancier nanti l’emporte sur celui de la caisse de prévoyance de la collectivité territoriale, ce qui modifie la hiérarchie habituelle des créanciers.
Le régime adapté des baux commerciaux
Le statut des baux commerciaux est l’un des domaines les plus touchés par les adaptations. La définition des travaux de restauration justifiant un refus de renouvellement du bail est spécifique à l’archipel. Pour la révision du loyer lors du renouvellement d’un bail, le taux de variation est calculé par référence à un indice local trimestriel mesurant le coût de la construction, et non sur la base des indices nationaux. Enfin, la composition et les règles de fonctionnement de la commission de conciliation des baux commerciaux ne sont pas fixées par décret, mais par un arrêté du représentant de l’État dans la collectivité, après avis du président du tribunal de première instance, assurant une meilleure adéquation aux réalités locales. Ces dispositions spécifiques entreront en vigueur le 1er janvier prochain.
La complexité du droit commercial à Saint-Pierre-et-Miquelon, faite d’un entrelacs de règles métropolitaines, d’exclusions et d’adaptations locales, exige une analyse rigoureuse et une expertise pointue. Pour sécuriser vos opérations commerciales et défendre efficacement vos intérêts dans ce contexte juridique unique, notre cabinet et chaque avocat spécialisé se tiennent à votre disposition pour un accompagnement sur mesure.
Sources
- Code de commerce, notamment son Livre IX relatif aux dispositions sur l’outre-mer
- Code de l’organisation judiciaire, notamment ses articles L. 512-2, L. 513-2 et L. 513-6
- Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (loi PACTE)
- Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle