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Effets de commerce et chèques : quels titres peuvent être escomptés par votre banque ?

Table des matières

L’escompte bancaire, comme nous l’avons vu dans notre présentation générale de ce mécanisme, repose sur la mobilisation d’une créance avant son échéance. Cependant, pour être éligible à cette opération de crédit, la créance doit généralement être matérialisée, incorporée dans un titre spécifique que l’entreprise remet à sa banque. La nature de ce titre n’est pas neutre : elle détermine non seulement la faisabilité de l’escompte mais aussi l’étendue des droits et garanties dont bénéficiera la banque, et par ricochet, les obligations et les risques pour l’entreprise remettante.

Si, en théorie, toute créance certaine et liquide pourrait faire l’objet d’une avance, la pratique bancaire de l’escompte se concentre sur des instruments bien définis, offrant des garanties suffisantes de recouvrement. Quels sont donc ces titres privilégiés que votre banque acceptera (ou refusera) de prendre à l’escompte ? Principalement, il s’agit des effets de commerce et, dans une moindre mesure, des chèques. Comprendre les caractéristiques et les enjeux propres à chaque type de titre est fondamental.

Les effets de commerce : instruments privilégiés de l’escompte

Le droit français ne fournit pas de définition légale unique de l' »effet de commerce ». La doctrine s’accorde généralement pour le définir comme un titre négociable qui constate, au profit de son porteur légitime, une créance de somme d’argent et qui sert à son paiement. Ces titres sont conçus pour circuler facilement (par endossement) et offrent des garanties spécifiques aux porteurs successifs grâce aux règles du droit cambiaire. Les principaux effets de commerce utilisés dans le cadre de l’escompte sont la lettre de change, le billet à ordre et le warrant.  

La lettre de change : l’instrument historique

La lettre de change, parfois appelée « traite », est sans doute l’instrument le plus emblématique et le plus fréquemment associé à l’escompte. C’est d’ailleurs historiquement autour d’elle que l’opération d’escompte s’est développée. Elle repose sur une relation triangulaire : une personne (le tireur, généralement le vendeur/fournisseur) donne l’ordre à une autre personne (le tiré, l’acheteur/client) de payer une somme d’argent déterminée, à une date future (l’échéance), à un bénéficiaire désigné (qui peut être le tireur lui-même ou un tiers, comme la banque escompteuse).  

Pour l’entreprise qui souhaite escompter une lettre de change, plusieurs points méritent attention :

  • L’acceptation : Le tiré peut « accepter » la lettre de change en y apposant sa signature. Par cet acte, il reconnaît devoir la somme et s’engage personnellement et directement à payer le porteur à l’échéance. Une lettre de change acceptée offre une meilleure sécurité pour la banque escompteuse. Cependant, l’acceptation n’est pas une condition de validité de la traite ni de son escomptabilité. La banque peut très bien escompter une lettre de change non acceptée, mais elle prend alors un risque supplémentaire, souvent compensé par une commission spécifique.  
  • La traite pro forma : Dans certaines situations, notamment dans les marchés publics ou lorsque le tiré refuse par principe de voir des effets tirés sur lui, la pratique a développé les « traites pro forma« . Il s’agit de lettres de change, souvent non acceptées et non destinées à circuler, remises à la banque uniquement pour matérialiser la créance et permettre l’escompte. La jurisprudence en admet la validité. Le banquier acquiert bien la propriété de la créance sous-jacente (la provision), mais sa garantie repose essentiellement sur cette créance. Il doit donc être particulièrement vigilant quant à la réalité et à l’exigibilité de la prestation correspondante (marchandises livrées, travaux exécutés).  
  • Le danger des effets de complaisance : Il s’agit d’une pratique dangereuse et illicite. Un effet de complaisance est une lettre de change (ou un autre effet) créée et acceptée alors qu’il n’existe aucune dette réelle ou opération commerciale entre le tireur et le tiré. Le seul but est de permettre au tireur d’obtenir du crédit en escomptant l’effet, souvent dans l’intention de rembourser cet escompte par l’émission d’un nouvel effet de complaisance (mécanisme dit de la « cavalerie »). Ces effets, fondés sur une absence de cause ou une cause illicite, sont nuls. Cependant, cette nullité n’est pas opposable au porteur de bonne foi (celui qui ignorait le caractère fictif de l’opération). Une banque qui escompte un effet de complaisance en connaissance de cause (mauvaise foi) perd ses recours cambiaires et peut voir sa responsabilité engagée, voire être poursuivie pour complicité d’escroquerie. La mauvaise foi du banquier est appréciée strictement par les tribunaux : il faut la conscience de causer un dommage au débiteur en le privant d’une exception légitime. Une simple négligence ou imprudence ne suffit pas à caractériser la mauvaise foi. Pour l’entreprise, émettre ou accepter de tels effets présente des risques considérables.  
  • La lettre de change-relevé (LCR) : Pour réduire les coûts de traitement, l’informatisation a conduit à la création de la LCR. La « LCR papier » repose sur une véritable lettre de change physique dont les informations sont ensuite traitées magnétiquement ; elle reste parfaitement escomptable car le titre existe et peut être endossé. En revanche, la « LCR magnétique » est créée directement sur support informatique, sans émission d’un titre papier. La doctrine majoritaire considère qu’elle ne constitue pas un véritable effet de commerce au sens traditionnel. Par conséquent, elle ne peut pas être escomptée au sens strict (pas d’endossement possible, pas de transfert des garanties cambiaires). Les opérations de financement basées sur des LCR magnétiques relèvent plutôt d’autres techniques (mandat d’encaissement, cession de créance type Dailly). Il est donc essentiel de bien distinguer ces deux formes de LCR.  

Le billet à ordre

Le billet à ordre est un autre effet de commerce fréquemment escompté. Contrairement à la lettre de change, il s’agit d’un engagement direct et non d’un ordre de paiement. Une personne (le souscripteur) s’engage à payer une somme déterminée, à une échéance fixée, à une autre personne (le bénéficiaire) ou à son ordre. Il repose sur une relation bilatérale. Les règles concernant sa création, sa transmission par endossement et son paiement sont très similaires à celles de la lettre de change, et il offre donc des garanties comparables pour l’escompte.  

Le warrant

Le warrant est un type d’effet de commerce plus particulier, principalement utilisé dans le secteur agricole ou pour des marchandises stockées en magasin général. Il combine un billet à ordre (promesse de payer) et un gage sur les marchandises concernées. L’escompte d’un warrant offre donc à la banque, en plus des recours cambiaires classiques, une sûreté réelle sur les biens gagés. Sa complexité et son champ d’application plus restreint le rendent moins courant que la lettre de change ou le billet à ordre dans les opérations d’escompte générales des entreprises.  

L’escompte de chèques : une pratique validée mais spécifique

À première vue, l’idée d’escompter un chèque peut surprendre. Le chèque est défini par la loi comme un instrument de paiement à vue. Théoriquement, il devrait être payé dès sa présentation et ne comporte pas d’échéance future permettant un crédit par anticipation.  

Pourtant, la pratique bancaire de l' »escompte de chèques » existe et a été validée par la jurisprudence. Pourquoi ? Essentiellement pour répondre à un besoin des entreprises qui reçoivent des chèques mais dont l’encaissement effectif peut prendre plusieurs jours (délais de compensation interbancaire). Pour éviter ce délai de trésorerie, la banque peut accepter de créditer immédiatement le compte de son client du montant du chèque remis, moyennant une rémunération, avant même d’avoir reçu les fonds de la banque du tireur.  

Bien que parfois qualifiée d' »escompte », cette opération s’apparente davantage à une avance sur encaissement ou à une ouverture de crédit de très courte durée, garantie par la remise du chèque. La banque prend un risque : celui que le chèque revienne impayé (faute de provision, opposition…). Dans ce cas, comme pour un effet de commerce, elle se retournera contre son client remettant, notamment par contre-passation.  

Il faut être vigilant sur certains points :

  • Le chèque postdaté : Remettre un chèque en indiquant une date future (postdatage) est illégal en France. Le chèque reste payable à vue, quelle que soit la date inscrite. Une banque qui accepterait « d’escompter » un chèque en tenant compte d’une date future commettrait une irrégularité.  
  • Le chèque postal : Depuis l’évolution du statut de La Banque Postale, le chèque postal est soumis au même régime juridique que le chèque bancaire et peut donc faire l’objet des mêmes opérations d’avance sur encaissement.  

L’escompte de chèques, bien que possible, est donc une facilité de caisse de très court terme plutôt qu’une véritable opération d’escompte au sens cambiaire du terme.

Les titres exclus de l’escompte classique

Certains titres, bien que représentant une valeur ou une créance, ne sont généralement pas éligibles à l’escompte bancaire traditionnel :

  • Titres représentatifs de marchandises : Les connaissements (transport maritime), lettres de voiture (transport terrestre) ou récépissés d’entrepôt représentent un droit sur des marchandises et non une créance de somme d’argent directement mobilisable par escompte. D’autres techniques de financement sur stock existent.  
  • Titres de capital ou de placement : Les actions, obligations, parts sociales ou parts de fonds ne sont pas des instruments de paiement à terme et leur valeur fluctue. Ils ne peuvent être escomptés. Ils peuvent éventuellement servir de garantie (nantissement de compte-titres) pour d’autres formes de crédit.  
  • Le bordereau de cession de créances professionnelles (« bordereau Dailly ») : Créé par la loi Dailly de 1981 (codifiée aux articles L. 313-23 et suivants du Code monétaire et financier), ce bordereau permet à une entreprise de céder ou de nantir un ensemble de créances professionnelles à sa banque pour garantir une opération de crédit. Bien qu’il permette la mobilisation de créances, le bordereau Dailly n’est pas un effet de commerce. Il obéit à un régime juridique propre, distinct de l’escompte. La transmission des créances et les garanties associées (notamment la garantie solidaire du cédant, sauf clause contraire) sont régies par ces textes spécifiques et non par le droit cambiaire. Il ne faut donc pas confondre l’escompte d’un effet de commerce et la mobilisation de créances via un bordereau Dailly, même si les objectifs économiques peuvent être similaires.  

En conclusion, si les effets de commerce, et singulièrement la lettre de change, constituent le cœur des opérations d’escompte, la possibilité d’obtenir une avance sur des chèques existe également. Chaque instrument présente ses propres caractéristiques, avantages et risques. La vigilance est de mise quant à la régularité des titres remis (notamment l’absence de complaisance) et à la bonne compréhension des mécanismes juridiques sous-jacents, en particulier la responsabilité du remettant en cas d’impayé. Une bonne connaissance de ces différents titres et de leur traitement par les banques est un atout pour optimiser sa gestion de trésorerie et sécuriser ses relations financières. N’hésitez pas à consulter notre guide pratique sur l’escompte pour une vue d’ensemble.

La nature du titre présenté à l’escompte a des implications juridiques importantes. En cas de doute sur l’éligibilité d’un titre ou de litige concernant un effet escompté, notre cabinet est à votre disposition pour analyser votre situation et vous conseiller sur la meilleure démarche à suivre. Vous pouvez contacter notre équipe via notre page Avocat – Escompte.

Sources

  • Code de commerce (Livre V, Titre Ier – Des effets de commerce, notamment art. L. 511-1 et s.)
  • Code monétaire et financier (Articles relatifs au chèque et à la cession de créances professionnelles, L. 313-23 et s.)
  • Jurisprudence clé relative à la validité des traites pro forma, aux effets de complaisance et à l’escompte de chèques.

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