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Recours du banquier pour effet escompté impayé : focus sur la contre-passation

Table des matières

L’escompte bancaire, bien qu’étant un outil précieux pour la gestion de trésorerie des entreprises, comporte une part de risque non négligeable : l’impayé à l’échéance par le débiteur principal (le tiré de l’effet de commerce ou l’émetteur du chèque). Lorsque cette situation survient, la banque qui a avancé les fonds ne reste pas démunie. Le droit lui offre plusieurs voies de recours pour récupérer sa créance. Parmi celles-ci, la contre-passation en compte courant est un mécanisme fréquemment utilisé par les banques, mais dont la nature juridique et les conséquences pratiques méritent une attention particulière. Comprendre comment la banque peut agir et quels sont vos droits en tant qu’entreprise remettante est essentiel pour gérer efficacement les incidents de paiement. Cet article détaille les différents recours du banquier escompteur et analyse en profondeur le mécanisme de la contre-passation.

Les différents recours du banquier escompteur en cas d’impayé

Lorsqu’un effet remis à l’escompte revient impayé à l’échéance, le banquier dispose de plusieurs actions, qu’il peut souvent cumuler ou choisir en fonction des circonstances et de la qualité des signataires du titre.  

Les recours cambiaires

En tant que porteur légitime de l’effet de commerce (lettre de change, billet à ordre), la banque bénéficie des recours prévus par le droit cambiaire. Elle peut ainsi agir :  

  • Contre le tiré accepteur d’une lettre de change, qui est le débiteur principal.
  • Contre le tireur de la lettre de change (qui est souvent l’entreprise ayant remis l’effet à l’escompte).
  • Contre les endosseurs antérieurs, qui sont solidairement garants du paiement.
  • Contre l’avaliste, s’il existe une caution cambiaire garantissant l’un des signataires.

Ces recours sont soumis à des conditions strictes de délais et de formalités (présentation au paiement, protêt faute de paiement sauf clause contraire). La négligence du banquier (par exemple, absence de protêt dans les délais quand il est requis) peut entraîner la déchéance de ses recours cambiaires contre le tireur et les endosseurs (mais pas contre le tiré accepteur).  

L’action née du contrat d’escompte

Indépendamment des recours cambiaires liés au titre lui-même, la banque dispose d’une action directe contre son propre client, l’entreprise remettante, en vertu du contrat d’escompte. Ce contrat est une opération de crédit, et sauf clause expresse d’escompte « sans recours » (très rare en pratique), le client remettant est contractuellement tenu de rembourser la banque si le débiteur final ne paie pas. Cette action contractuelle est particulièrement utile si les recours cambiaires sont prescrits ou déchus, ou si l’escompte portait sur un titre non soumis au droit cambiaire strict. Elle ne se prescrit qu’au terme du délai de droit commun, plus long que la prescription cambiaire (généralement un an pour les recours contre les endosseurs et le tireur, selon l’article L. 511-78 du Code de commerce).  

L’action fondée sur la provision (pour la lettre de change)

Lorsque la lettre de change n’a pas été acceptée par le tiré, la banque escompteuse, en tant que propriétaire du titre, acquiert également la propriété de la créance sous-jacente (la « provision ») que le tireur détenait contre le tiré. Si cette provision existe bien à l’échéance, la banque peut agir contre le tiré sur ce fondement, même sans acceptation. Cette action subsiste même en cas de négligence du porteur ayant entraîné la déchéance des recours cambiaires.  

Le banquier doit faire preuve de diligence dans l’exercice de ses recours. Il doit notamment présenter l’effet au paiement dans les délais et, en cas de non-paiement, en informer rapidement son client remettant (avis de sort). Un manquement à cette obligation d’information peut engager sa responsabilité.  

La contre-passation en compte courant : mécanisme et nature juridique

Très souvent, lorsque l’effet impayé concerne son propre client (le tireur ou un endosseur remettant), la banque utilise une voie plus directe que l’action en justice : la contre-passation.  

Définition

La contre-passation consiste pour la banque à inscrire le montant de l’effet impayé (augmenté des frais éventuels comme le protêt) au débit du compte courant de son client remettant. Symétriquement à l’écriture au crédit passée lors de la mise à l’escompte, cette écriture au débit vient annuler, d’un point de vue comptable, l’avance initialement consentie.  

Nature juridique

La jurisprudence analyse aujourd’hui la contre-passation non pas comme une simple annulation de l’écriture initiale, mais comme un mode spécifique d’exercice par la banque de son droit au remboursement ou de son action en paiement contre son client. En contre-passant, la banque exerce le recours qu’elle détient contre le remettant, que ce recours soit fondé sur l’engagement cambiaire du client (en tant que tireur ou endosseur) ou sur le contrat d’escompte lui-même.  

Caractère facultatif

La banque n’a aucune obligation de procéder à la contre-passation. Elle conserve l’option d’exercer ses recours par d’autres voies (action en justice contre le remettant ou les autres signataires). Elle peut choisir de ne pas débiter immédiatement le compte de son client, par exemple si celui-ci est déjà fortement débiteur, et de laisser l’effet impayé dans un compte d’attente ou un compte « effets impayés ». Dans ce cas, la banque est censée ne pas avoir été remboursée et conserve tous ses recours contre les autres signataires de l’effet. Si elle contre-passe, en revanche, l’effet sur son client, elle ne pourra plus agir contre les autres signataires qu’en tant que mandataire de ce client (puisque réputée remboursée par lui, sous réserve des nuances que nous verrons). La date pertinente de la contre-passation est celle de son inscription effective en compte.  

Conditions de validité de la contre-passation

Pour être valable, la contre-passation doit respecter certaines conditions:  

  • Créance certaine et exigible : La banque ne peut contre-passer qu’une fois l’échéance de l’effet atteinte et le non-paiement constaté. Une contre-passation avant l’échéance n’est possible que dans des cas exceptionnels prévus par la loi, par exemple en cas de redressement ou liquidation judiciaire du tiré ou de refus d’acceptation (article L. 511-38 du Code de commerce).  
  • Absence de déchéance ou de prescription : Si la contre-passation vise à exercer un recours cambiaire, la banque ne doit pas être déchue de ce recours (par négligence) et l’action ne doit pas être prescrite. Toutefois, cette condition est moins stricte si la contre-passation se fonde sur l’action contractuelle née de l’escompte ou sur l’action de provision, qui ont des délais de prescription plus longs ou des conditions de déchéance différentes.  
  • Possibilité après clôture du compte : La clôture du compte courant (par exemple, suite à une décision de la banque ou à l’ouverture d’une procédure collective du client) n’interdit pas la contre-passation. Celle-ci peut intervenir pendant la période de liquidation du compte, permettant d’intégrer au solde définitif les créances devenues exigibles, comme celle résultant de l’effet impayé. Elle peut même être opérée après une saisie-attribution sur le compte, dans le délai d’un mois prévu par l’article L. 162-1 du Code des procédures civiles d’exécution.  

Montant de la contre-passation

En principe, la banque contre-passe pour le montant nominal intégral de l’effet impayé, majoré des frais de protêt, d’avis et des intérêts légaux depuis l’échéance.  

Cependant, si la banque a reçu un acompte avant de contre-passer, la situation se complexifie :

  • Si l’acompte a été versé par le client remettant lui-même, il doit être déduit du montant contre-passé.  
  • S’il a été versé par un tiers non solidairement tenu (ex: tiré non accepteur), il doit aussi être déduit.  
  • S’il a été versé par un autre signataire solidairement tenu (ex: un avaliste, un autre endosseur), la banque peut, en vertu de la solidarité cambiaire, contre-passer pour le montant total restant dû auprès de son client remettant, sans déduire l’acompte reçu du coobligé.  

Des règles spécifiques s’appliquent également en cas de procédure collective affectant l’un des codébiteurs, notamment concernant la déclaration de créance et l’imputation des acomptes reçus (articles L. 622-31 et L. 622-33 du Code de commerce). Si la contre-passation est fondée sur l’action de provision (où il n’y a pas de solidarité cambiaire), tous les acomptes perçus doivent être déduits.  

Conséquences de la contre-passation

L’inscription au débit du compte du client soulève deux questions majeures : la contre-passation vaut-elle paiement ? La banque doit-elle restituer l’effet ?  

La question du paiement

La réponse dépend du moment où intervient la contre-passation et de l’état du compte :

  • Contre-passation pendant le fonctionnement normal du compte (client in bonis) : Si l’écriture est passée au débit du compte disponible, la jurisprudence considère traditionnellement que la contre-passation vaut paiement pour la banque. Elle est réputée avoir été remboursée par son client, même si le solde du compte devient ou reste débiteur. Cette solution, bien établie, a pour conséquence majeure de désintéresser la banque et donc d’éteindre ses recours contre les autres signataires de l’effet.  
  • Contre-passation après clôture du compte ou ouverture d’une procédure collective du client : Dans ce cas, la contre-passation ne vaut pas paiement, sauf si le solde créditeur disponible du compte après clôture est suffisant pour couvrir le montant de l’effet impayé. Si le solde est insuffisant ou débiteur, la banque n’est pas considérée comme désintéressée.  
  • Inscription dans un compte d’attente : Si la banque n’inscrit pas l’impayé au débit du compte courant principal mais dans un compte d’attente ou un compte spécial « effets impayés », il n’y a pas paiement.  

La restitution de l’effet

La question de savoir si la banque doit restituer l’effet impayé à son client après contre-passation est directement liée à la question du paiement:  

  • Si la contre-passation vaut paiement (cas du compte in bonis), la banque, étant désintéressée, doit restituer l’effet à son client. Le client pourra alors tenter d’exercer lui-même ses propres recours contre le débiteur initial ou les autres garants. La banque qui ne restitue pas l’effet dans ce cas peut engager sa responsabilité si cela prive son client d’un recours.  
  • Si la contre-passation ne vaut pas paiement (compte clôturé avec solde débiteur, procédure collective, compte d’attente), la banque peut conserver l’effet pour exercer les recours cambiaires contre les autres coobligés en son nom propre.  

Pour pallier l’inconvénient de perdre leurs recours en cas de contre-passation valant paiement, les banques ont développé des clauses contractuelles insérées dans les conventions de compte ou d’escompte. Ces clauses prévoient souvent que même en cas de contre-passation, la banque conservera le titre, soit en qualité de mandataire de son client pour poursuivre le recouvrement, soit à titre de gage pour garantir le paiement du solde débiteur du compte. La validité de ces clauses est généralement admise par la jurisprudence, à condition qu’elles soient claires et ne réservent pas la propriété pure et simple du titre à la banque après paiement.  

En conclusion, la contre-passation est un outil efficace pour la banque afin d’obtenir rapidement le remboursement d’un effet escompté impayé en débitant le compte de son client remettant. Toutefois, ce mécanisme n’est pas anodin. Ses conditions de validité doivent être respectées, et ses conséquences, notamment sur la question du paiement effectif et de la restitution du titre, sont déterminantes pour les droits et recours ultérieurs, tant pour la banque que pour l’entreprise. Une analyse attentive des écritures passées en compte et des conventions signées est nécessaire en cas d’incident. Pour naviguer ces complexités, vous pouvez consulter notre guide pratique sur l’escompte ou vous référer à notre article sur les fondamentaux de l’escompte bancaire. Les types de titres escomptables peuvent aussi influencer les recours.

La contre-passation est une pratique bancaire courante mais aux conséquences juridiques précises. Si votre compte a été débité suite à un impayé d’effet escompté, contactez notre cabinet pour vérifier la régularité de l’opération et préserver vos droits. Nos avocats experts en matière d’escompte sont à votre disposition.

Sources

  • Code de commerce (notamment art. L. 511-38, L. 511-42, L. 511-43, L. 511-78, L. 622-31, L. 622-33)
  • Code monétaire et financier
  • Code des procédures civiles d’exécution (notamment art. L. 162-1)

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