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Faillite dans l’UE : quelle loi régit vos droits et obligations ?

Table des matières

Lorsqu’une entreprise ayant des activités dans plusieurs pays de l’Union européenne est placée sous procédure d’insolvabilité (sauvegarde, redressement, liquidation…), nous avons vu que les règles européennes organisent la compétence des tribunaux et la reconnaissance des décisions (pour une explication complète du fonctionnement des procédures d’insolvabilité transfrontalières en Europe). Mais une question essentielle demeure, essentielle notamment pour comprendre le cadre juridique global qui régit les difficultés des entreprises réglementées à l’échelle européenne : une fois la procédure ouverte dans un pays A, quelle loi va concrètement déterminer le sort de vos contrats, de vos garanties, de vos créances, surtout si vous-même ou les biens concernés se trouvent dans un pays B ? Est-ce la loi du pays A qui s’impose partout, ou la loi du pays B peut-elle encore jouer un rôle ? Le Règlement européen sur les procédures d’insolvabilité (n° 2015/848) apporte des réponses nuancées, posant un principe général mais l’assortissant d’exceptions importantes pour protéger certains droits spécifiques.

Le principe : la loi de l’État d’ouverture (lex concursus) décide

La règle de base, posée par l’article 7 du Règlement 2015/848, est simple en apparence : sauf disposition contraire, c’est la loi de l’État membre où la procédure d’insolvabilité est ouverte qui régit cette procédure et l’ensemble de ses effets. Cette approche s’inscrit dans un cadre plus large de compétence des tribunaux français en matière de faillite internationale et d’interaction avec les lois étrangères. On appelle cette loi la lex concursus (la loi du concours, c’est-à-dire de la procédure collective).

Cette loi désignée par le Règlement a un champ d’application extrêmement large. Elle détermine notamment :

  • Quels types de débiteurs peuvent faire l’objet de la procédure.
  • Quels biens du débiteur entrent dans la procédure (y compris ceux acquis après l’ouverture) et de quoi le débiteur est dessaisi.
  • Les pouvoirs respectifs du débiteur et du praticien de l’insolvabilité (mandataire judiciaire, liquidateur…).
  • Les conditions dans lesquelles une compensation entre dettes réciproques est possible ou non.
  • Les effets de la procédure sur les contrats en cours (poursuite, résiliation…).
  • Les effets sur les poursuites individuelles engagées par les créanciers (en principe, elles sont suspendues ou interdites).
  • Quelles créances doivent être déclarées au passif, y compris celles nées après l’ouverture.
  • Les règles de production, vérification et admission des créances.
  • Les règles de classement des créances (privilégiées, chirographaires…) et de répartition du produit de la vente des biens.
  • Les conditions et les effets de la clôture de la procédure (par exemple, par l’adoption d’un plan).
  • Les droits des créanciers après la clôture (peuvent-ils réclamer le solde impayé ?).
  • Qui supporte les frais de la procédure.
  • Les règles permettant d’annuler ou de rendre inopposables certains actes passés par le débiteur avant l’ouverture de la procédure et qui seraient préjudiciables aux créanciers (par exemple, paiements préférentiels, donations…).

En principe, donc, si une procédure principale est ouverte en France, c’est la loi française qui s’appliquera à toutes ces questions, même pour des créanciers situés en Allemagne ou des biens situés en Espagne. Inversement, si la procédure principale est ouverte en Allemagne, c’est la loi allemande qui régira ces aspects, y compris pour les créanciers et les biens en France.

Les exceptions : quand une autre loi protège vos droits

Ce principe de l’application quasi-exclusive de la lex concursus connaît cependant des exceptions importantes. Le législateur européen a considéré que, dans certaines situations, appliquer aveuglément la loi du pays d’ouverture risquerait de porter atteinte de manière excessive aux attentes légitimes et à la sécurité juridique des créanciers ou des tiers qui se sont fondés sur la loi d’un autre pays (souvent, la loi locale où se trouve un bien ou s’exécute un contrat).

Ces exceptions permettent donc, pour des questions bien précises, d’appliquer une autre loi que la lex concursus. Voici les principales :

Les droits sur les biens (sûretés réelles, propriété)

C’est sans doute l’exception la plus significative. L’ouverture d’une procédure d’insolvabilité n’affecte pas les droits réels (comme une hypothèque, un gage, un privilège spécial…) qu’un créancier ou un tiers détenait sur un bien du débiteur situé dans un autre État membre au moment de l’ouverture (Article 8 du Règlement 2015/848).

  • Concrètement, si une entreprise française fait l’objet d’une procédure à Paris, mais que vous détenez une hypothèque sur un immeuble lui appartenant en Espagne, cette hypothèque reste valable et ses effets (votre droit d’être payé par préférence sur le prix de vente de l’immeuble) seront régis par la loi espagnole, et non par la loi française de la procédure. La loi française ne pourra pas remettre en cause votre droit réel espagnol.

Le même principe protège le vendeur bénéficiant d’une réserve de propriété (Article 10). Si une procédure est ouverte contre l’acheteur français, les droits du vendeur allemand sur un bien livré en Allemagne mais se trouvant toujours en Allemagne au moment de l’ouverture ne sont pas affectés par la procédure française. Inversement, si c’est le vendeur allemand qui fait faillite après avoir livré un bien en France, la procédure allemande ne peut empêcher l’acheteur français de devenir propriétaire du bien s’il paie le prix convenu.

Les contrats de travail

Les effets de la procédure d’insolvabilité sur un contrat de travail (sa poursuite, sa modification ou sa rupture) et sur la relation de travail elle-même sont régis exclusivement par la loi de l’État membre applicable au contrat de travail (Article 13). Cette loi est déterminée selon les règles européennes habituelles (Règlement « Rome I »), qui désignent souvent la loi du pays où le salarié travaille habituellement.

  • Par exemple, si une société allemande ouvre une procédure d’insolvabilité en Allemagne, mais qu’elle emploie des salariés en France sous contrat de travail régi par le droit français, c’est le droit français qui déterminera les conditions et conséquences d’un éventuel licenciement de ces salariés, même si la procédure principale est allemande.
  • Attention cependant : la question de savoir si la créance salariale (salaires impayés, indemnités…) bénéficie d’un privilège et quel est son rang par rapport aux autres créanciers reste, elle, soumise à la loi de la procédure d’insolvabilité (la lex concursus).

Les contrats portant sur des biens immobiliers

De manière similaire aux droits réels, les effets de la procédure d’insolvabilité sur un contrat donnant le droit d’acquérir (promesse de vente…) ou de jouir (bail commercial, bail d’habitation…) d’un bien immobilier sont régis exclusivement par la loi de l’État membre où l’immeuble est situé (Article 11). La loi du lieu de situation de l’immeuble prime donc sur la loi de la procédure.

La compensation

Si vous êtes à la fois créancier et débiteur de l’entreprise en difficulté, vous pourriez vouloir compenser vos dettes réciproques. La loi de la procédure (lex concursus) peut interdire ou limiter la compensation après l’ouverture. Toutefois, le Règlement (Article 9) prévoit une protection : l’ouverture de la procédure n’affecte pas votre droit d’invoquer la compensation si celle-ci est permise par la loi applicable à la créance de l’entreprise insolvable (c’est-à-dire la loi qui régit la dette que l’entreprise a envers vous). Vous pourriez donc compenser même si la loi de la procédure l’interdit.

Les droits soumis à enregistrement public

Pour certains biens spécifiques dont les droits sont inscrits sur un registre public (immeubles, navires, aéronefs), les effets de la procédure d’insolvabilité sur ces droits sont régis par la loi de l’État membre sous l’autorité duquel le registre est tenu (Article 14). Cela vise à assurer la cohérence avec les systèmes de publicité légale locaux.  

La protection contre l’annulation d’actes passés avant la procédure

La loi de la procédure (lex concursus) permet souvent d’annuler certains actes (paiements, ventes, garanties…) faits par le débiteur avant l’ouverture, s’ils sont jugés préjudiciables aux créanciers. Cependant, le Règlement (Article 16) protège la personne qui a bénéficié de cet acte : elle peut s’opposer à l’annulation si elle prouve que l’acte est soumis à la loi d’un autre État membre et que cette loi ne permet, en l’espèce, par aucun moyen, de l’attaquer. La confiance placée dans la loi locale peut ainsi prévaloir.

La protection du tiers acquéreur

La protection des tiers acquéreurs est un enjeu majeur pour la sécurisation des marchés financiers et des systèmes de paiement. Si, après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, le débiteur réussit à vendre un bien immobilier, un navire, un aéronef ou des valeurs mobilières enregistrées à un tiers, la validité de cette vente sera régie par la loi de l’État où le bien est situé ou le registre tenu (Article 17). Cela protège l’acquéreur qui pouvait légitimement ignorer la procédure ouverte dans un autre pays.

Les instances en cours

Si un procès ou une procédure d’arbitrage était déjà en cours au moment de l’ouverture de la procédure d’insolvabilité, et qu’il concerne un bien ou un droit dont le débiteur est dessaisi, les effets de la procédure d’insolvabilité sur cette instance (suspension, reprise…) sont régis exclusivement par la loi de l’État membre où l’instance ou l’arbitrage a lieu (Article 18).


Déterminer quelle loi s’applique à votre situation spécifique dans une faillite européenne – la loi du pays d’ouverture ou une loi locale protectrice – peut avoir des conséquences financières considérables. Les règles sont complexes et les interactions nombreuses. Une analyse au cas par cas par un professionnel est souvent indispensable pour défendre au mieux vos droits, que vous soyez créancier, cocontractant ou tiers affecté. Notre équipe peut vous conseiller sur la stratégie à adopter. Contactez-nous pour une analyse personnalisée et un conseil stratégique sur la loi applicable à vos droits et obligations en cas de faillite transfrontalière dans l’UE, afin de sécuriser vos intérêts de créancier, cocontractant ou tiers affecté.

Sources

  • Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité (notamment articles 7 à 18).
  • Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (« Rome I ») (pertinent pour la loi applicable aux contrats de travail).

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