La mobilisation de créances est une technique de financement à court terme essentielle pour la trésorerie des entreprises. En cédant leurs factures à un établissement financier, elles obtiennent des liquidités immédiates. Cependant, lorsque cette opération implique des partenaires étrangers, un enchevêtrement de règles juridiques se présente. Déterminer quelle loi nationale s’applique devient alors un exercice complexe, source d’incertitude et de risques. Le financement par mobilisation de créances illustre parfaitement les défis des conflits de lois en droit bancaire international, où une clause mal appréhendée peut fragiliser l’ensemble du montage.
La mobilisation de créances : techniques et enjeux en droit international privé
Pour financer leur cycle d’exploitation, les entreprises ont principalement recours à deux mécanismes de mobilisation de leurs créances commerciales : l’affacturage (ou factoring) et la cession de créances professionnelles, dite « cession Dailly ». Bien que poursuivant un objectif similaire, ces deux techniques reposent sur des fondements juridiques distincts qui compliquent leur application dans un contexte international. Le principal enjeu est de savoir quelle loi régit la validité du transfert de la créance et, surtout, son opposabilité aux tiers, c’est-à-dire la capacité pour l’établissement financier de se prévaloir de ses droits non seulement face au client de l’entreprise (le débiteur cédé), mais aussi face aux autres créanciers de cette dernière, notamment en cas de procédure collective. Cette question est d’autant plus sensible que les solutions de financement modernes, comme la titrisation, reposent sur la sécurité juridique de ces transferts. Ces mécanismes diffèrent par ailleurs des instruments de garantie plus classiques, telles que les garanties autonomes, qui créent un engagement de paiement indépendant plutôt qu’un transfert de créance existante.
L’affacturage international : distinction entre subrogation et cession de créances
L’affacturage est une opération par laquelle une entreprise, l’adhérent, transfère ses créances commerciales à un établissement spécialisé, le factor (ou affactureur), qui lui en verse le montant, moyennant une commission, et se charge ensuite de leur recouvrement. Historiquement, le droit français a privilégié la technique de la subrogation conventionnelle pour réaliser ce transfert. Le factor paie l’adhérent et se trouve « subrogé » dans ses droits contre le débiteur.
Cette qualification a longtemps posé une difficulté en droit international privé. Sous l’empire de la Convention de Rome de 1980, la subrogation (article 13) et la cession de créances (article 12) étaient soumises à des régimes de conflit de lois distincts. Ce débat est aujourd’hui clos par le Règlement européen Rome I (n° 593/2008), qui, dans son article 14, assimile purement et simplement la subrogation conventionnelle à une cession de créances. Cette harmonisation clarifie la situation pour les opérations au sein de l’Union européenne. Par ailleurs, la Convention d’Ottawa de 1988 sur l’affacturage international, ratifiée par la France, fournit un ensemble de règles matérielles uniformes, mais son champ d’application est limité et ne résout pas toutes les questions de conflit de lois, laissant au Règlement Rome I un rôle central.
La cession dailly internationale : facilitation du crédit aux entreprises
Instituée par la loi « Dailly » de 1981, la cession de créances professionnelles est un mécanisme simplifié de transfert de créances. Elle s’opère par la simple remise d’un bordereau à un établissement de crédit. Ce formalisme allégé a été conçu pour faciliter l’accès au crédit des entreprises en leur permettant de mobiliser rapidement un portefeuille de factures, y compris sur des débiteurs situés à l’étranger. L’un des atouts majeurs de ce dispositif est que la cession prend effet et devient opposable aux tiers dès la date portée sur le bordereau, sans qu’aucune notification au débiteur ne soit nécessaire à ce stade. C’est précisément cette efficacité qui est mise à l’épreuve dans un contexte international, où la loi française peut entrer en conflit avec la loi du pays du débiteur ou celle d’un autre créancier.
La loi applicable aux rapports entre cédant et cessionnaire (factor/adhérent)
La première relation à examiner est celle qui unit l’entreprise (le cédant ou l’adhérent) et l’établissement financier (le cessionnaire ou le factor). Conformément à l’article 14, paragraphe 1, du Règlement Rome I, cette relation est régie par la loi applicable au contrat qui les lie. Les parties disposent donc d’une grande liberté pour choisir la loi qui gouvernera leur convention de cession ou d’affacturage. C’est le principe de l’autonomie de la volonté, pierre angulaire du droit des contrats internationaux.
En l’absence de choix exprès des parties, le contrat sera régi, selon l’article 4 du même règlement, par la loi du pays de résidence habituelle de la partie qui fournit la prestation caractéristique. Dans une opération de mobilisation de créances, la prestation caractéristique est celle de l’établissement financier qui fournit les fonds. C’est donc, en principe, la loi du pays où le factor ou la banque cessionnaire a son administration centrale qui s’appliquera. Cette solution offre une prévisibilité appréciable pour les établissements de crédit, qui peuvent ainsi soumettre l’ensemble de leurs contrats-types à une seule et même loi.
L’opposabilité de la cession aux débiteurs cédés
Une fois la créance transférée à l’établissement financier, il est fondamental de déterminer les conditions dans lesquelles ce dernier peut en réclamer le paiement au client de l’entreprise (le débiteur cédé). Le Règlement Rome I apporte une réponse claire à cette question. Son article 14, paragraphe 2, dispose que « la loi qui régit la créance cédée détermine son caractère cessible, les rapports entre le cessionnaire et le débiteur, les conditions d’opposabilité de la cession au débiteur et le caractère libératoire de la prestation faite par le débiteur. »
Concrètement, cela signifie que la situation du débiteur ne doit pas être affectée par la cession de créance intervenue sans son consentement. Il conserve les mêmes droits et les mêmes exceptions (par exemple, un défaut de livraison de la marchandise) qu’il aurait pu opposer à son créancier initial. La loi applicable à cette relation est celle du contrat commercial d’origine (vente, prestation de services, etc.) qui a donné naissance à la créance. Par exemple, si une entreprise française cède à une banque française une créance sur un client allemand issue d’un contrat de vente soumis au droit allemand, c’est le droit allemand qui déterminera si le client allemand doit payer la banque française et dans quelles conditions.
L’épineuse question de l’opposabilité aux tiers
Le point le plus critique et le plus incertain de la mobilisation de créances internationales concerne son opposabilité aux autres créanciers du cédant. Si l’entreprise qui a cédé ses créances fait l’objet d’une procédure de saisie ou d’une liquidation judiciaire, qui du cessionnaire (la banque) ou des autres créanciers (le Trésor public, les salariés, d’autres fournisseurs) aura un droit prioritaire sur les sommes versées par les débiteurs cédés ? La réponse dépend de la loi applicable à cette question de « priorité ». Or, le Règlement Rome I, tout comme la Convention de Rome avant lui, est silencieux sur ce point. Cette lacune juridique est une source majeure d’insécurité pour les financements transfrontaliers.
Face à ce vide, plusieurs théories s’affrontent en doctrine et en jurisprudence. Traditionnellement, le droit français privilégiait la loi du domicile du débiteur cédé, considérant que la créance y est localisée. D’autres systèmes juridiques, comme le droit anglais ou allemand, préfèrent appliquer la loi de la créance cédée, unifiant ainsi le sort de l’opposabilité au débiteur et aux tiers. Une troisième voie, promue par des textes internationaux comme la Convention de la CNUDCI sur la cession de créances, suggère d’appliquer la loi de la résidence habituelle du cédant. Cette dernière solution a l’avantage de soumettre tout le portefeuille de créances d’une entreprise à une loi unique, celle de son principal établissement, ce qui facilite grandement les opérations de titrisation et s’aligne avec le droit des procédures d’insolvabilité.
Le projet de règlement européen sur l’opposabilité des cessions de créances
Consciente de l’insécurité juridique engendrée par cette diversité d’approches, la Commission européenne a présenté en 2018 une proposition de règlement visant à unifier les règles de conflit en la matière. L’objectif est de désigner une loi unique pour régir les effets des cessions de créances à l’égard des tiers. Le projet consacre comme principe général l’application de la loi du pays de la résidence habituelle du cédant. Cette approche a été choisie pour sa prévisibilité et sa cohérence avec le règlement sur les procédures d’insolvabilité, car la plupart des conflits de priorité surviennent dans ce contexte.
La proposition prévoit cependant des exceptions. Notamment, dans le cadre d’opérations de titrisation ou pour la cession de soldes de comptes bancaires, les parties pourraient choisir d’appliquer la loi de la créance cédée. Cette approche mixte vise à trouver un équilibre entre le besoin de sécurité pour les opérations de financement structuré et la simplicité d’une règle de rattachement unique. Bien que ce texte ne soit pas encore adopté, il indique une orientation claire du droit européen vers la loi du cédant comme point de référence principal.
Le caractère de ‘loi de police’ de l’article l. 313-27 du code monétaire et financier
Une question spécifique au droit français se pose : les dispositions de la loi Dailly pourraient-elles être qualifiées de « lois de police » ? Une loi de police est une norme impérative dont le respect est jugé essentiel par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics (organisation politique, sociale ou économique), au point d’en exiger l’application quelle que soit la loi normalement compétente. L’article L. 313-27 du Code monétaire et financier, qui affirme l’efficacité de la cession Dailly dès la date portée sur le bordereau « quelles que soient la loi applicable aux créances et la loi du pays de résidence des débiteurs », pourrait être interprété comme une telle loi.
Si cette qualification était retenue par les tribunaux, la loi française s’appliquerait à l’opposabilité de toute cession Dailly consentie par une entreprise en France, balayant ainsi les règles de conflit de lois et les lois étrangères qui pourraient imposer d’autres conditions (comme une notification au débiteur). Cependant, cette interprétation est loin d’être unanime. La doctrine majoritaire doute que la simplification du crédit, bien qu’économiquement importante, constitue un intérêt public suffisamment « crucial » pour justifier le statut de loi de police. La question reste donc ouverte et constitue un risque juridique à évaluer pour toute opération de cession Dailly internationale impliquant un lien avec la France, et illustre comment les lois de police peuvent influencer l’opposabilité des cessions de créances.
La structuration et la sécurisation des opérations d’affacturage et de cession Dailly dans un cadre international exigent une analyse fine des différentes lois applicables et des risques de conflit. Pour un conseil adapté et la rédaction de clauses sécurisées, l’assistance d’un avocat compétent en la matière est indispensable. Notre cabinet est à votre disposition pour vous accompagner dans la mise en place de vos solutions de financement.
Sources
- Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).
- Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles.
- Convention d’Ottawa du 28 mai 1988 sur l’affacturage international.
- Code monétaire et financier, articles L. 313-23 et suivants (Cession et nantissement de créances professionnelles).
- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur la loi applicable à l’opposabilité des cessions de créances (COM(2018) 96 final).