Le forum arresti en droit maritime français : un principe controversé et ses évolutions jurisprudentielles

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La saisie d’un navire est une mesure spectaculaire et un puissant levier pour un créancier cherchant à recouvrer sa créance. Cependant, l’immobilisation du navire n’est que la première étape. Une question fondamentale se pose immédiatement après : quel tribunal sera compétent pour juger le fond du litige, c’est-à-dire pour statuer sur l’existence et le montant de la créance elle-même ? Pendant longtemps, le droit français a admis une solution pragmatique connue sous l’adage latin forum arresti, qui donnait compétence au tribunal du lieu de la saisie. Cette règle, simple en apparence, a fait l’objet d’un important revirement de jurisprudence, plaçant la France dans une situation singulière sur la scène internationale. Comprendre cette évolution est essentiel pour tout créancier ou armateur confronté au cadre légal et historique des saisies de navires en france. Face à la complexité de ces règles, l’accompagnement par un avocat expert en saisie de navire devient une nécessité pour sécuriser ses droits.

Définition et rôle du forum arresti en droit maritime

Le principe du forum arresti, littéralement « le tribunal de la saisie », est une règle de compétence internationale qui permet au tribunal du lieu où un bien a été saisi de se déclarer compétent pour juger l’ensemble du litige. En droit maritime, cela signifie que le simple fait de pratiquer une saisie conservatoire sur un navire dans un port français pouvait suffire à donner compétence aux juridictions françaises pour trancher le litige principal entre le créancier et son débiteur, même si ces derniers sont étrangers et que leur contrat n’a aucun autre lien avec la France.

Cette règle répondait à un objectif d’efficacité et de bonne administration de la justice. Pour le créancier, elle offrait un avantage considérable en centralisant la procédure. Il pouvait non seulement obtenir une mesure conservatoire rapide pour garantir sa créance, mais aussi faire juger ses droits devant la même juridiction, évitant ainsi de devoir engager une seconde procédure, souvent longue et coûteuse, à l’étranger. La saisie n’était donc pas seulement une garantie, mais aussi un véritable hameçon procédural. Pour en savoir plus sur les mécanismes de saisie, il est utile de se référer à la procédure de saisie conservatoire des navires, qui constitue le préalable à l’application du forum arresti.

La compétence du juge du lieu de la saisie pour l’action au fond

La compétence issue du forum arresti ne se limitait pas à la simple validité de la saisie. Elle s’étendait à l’action au fond, c’est-à-dire à l’examen de la créance elle-même. Le juge de la saisie devenait le juge du contrat ou de la responsabilité. Cette solution, consacrée par l’arrêt de principe Nassibian en 1979, présentait des avantages pratiques indéniables. Elle permettait une économie de temps et de frais considérable, le créancier n’ayant pas à obtenir une décision à l’étranger pour ensuite la faire reconnaître en France (procédure d’exequatur) afin de pouvoir faire vendre le navire saisi.

Cette compétence était cependant considérée comme facultative. Elle n’excluait pas la possibilité pour les parties de se tourner vers le juge naturellement compétent en vertu de leur contrat ou des règles de droit international privé. Elle offrait une option supplémentaire au créancier, une voie procédurale directe et efficace. Le navire, bien mobile par excellence, devenait par sa présence dans un port français le point de rattachement qui justifiait la compétence du juge français.

Le revirement jurisprudentiel de la cour de cassation (1995-1997)

Au milieu des années 1990, la Cour de cassation a opéré un revirement spectaculaire, abandonnant la solution qu’elle avait elle-même établie. Cette nouvelle orientation a profondément modifié le paysage juridique de la saisie de navires en France, en créant une distinction nette entre la compétence pour la saisie et la compétence pour le fond.

L’abandon de la compétence du forum arresti et ses motivations initiales

Par un arrêt du 17 janvier 1995, la première chambre civile de la Cour de cassation a posé un nouveau principe : le lieu de la saisie d’un navire en France ne suffit plus à fonder la compétence internationale des juridictions françaises pour connaître du fond du litige. La Cour a jugé que si les tribunaux français sont bien compétents pour statuer sur la régularité de la saisie pratiquée sur le territoire national, ils ne peuvent se prononcer sur l’existence de la créance que si un autre critère de compétence ordinaire les désigne. Concrètement, le créancier doit désormais démontrer que le juge français est compétent en vertu du lieu du domicile du défendeur, du lieu d’exécution du contrat ou de toute autre règle de compétence internationale classique.

Ce revirement, confirmé par d’autres décisions, notamment en 1997, visait à revenir à une conception plus orthodoxe de la compétence internationale, en considérant que la présence fortuite d’un bien sur le territoire n’était pas un lien de rattachement suffisant pour juger l’intégralité d’un litige international. La saisie est ainsi redevenue ce qu’elle est en droit commun : une simple mesure conservatoire, déconnectée de la compétence au fond.

Les nuances et exceptions introduites ultérieurement par la jurisprudence

Face aux critiques de la doctrine et aux difficultés pratiques engendrées par ce revirement, la jurisprudence a toutefois apporté certaines nuances. La Cour de cassation a admis que le juge français de la saisie restait compétent pour examiner toutes les questions relatives aux conditions d’exercice de la mesure d’exécution en France. Dans un arrêt du 11 février 1997, elle a ainsi reconnu la compétence du juge français pour apprécier la fictivité d’une société propriétaire d’un navire, dans le cadre d’une demande d’exécution d’un jugement étranger. L’action ne portait pas sur le fond de la créance, déjà jugé, mais sur l’étendue du gage du créancier.

Cette jurisprudence, bien que ne revenant pas sur le principe de l’abandon du forum arresti, montre une volonté de conserver une certaine maîtrise sur les aspects de la procédure qui se déroulent sur le territoire national. Cela crée une frontière parfois ténue entre l’appréciation du « principe de la créance » pour justifier la saisie, et le jugement « au fond » de cette même créance. De plus, une exception légale demeure : l’article 1er du décret du 19 janvier 1968 maintient la compétence du forum arresti en matière d’abordage.

L’approche du forum arresti dans les conventions internationales

L’isolement de la position française est d’autant plus marqué lorsqu’on la compare aux solutions retenues dans les principaux instruments internationaux régissant la saisie de navires, qui consacrent, à des degrés divers, la compétence du juge du lieu de la saisie.

La convention de bruxelles de 1952 et ses cas de compétence

La Convention de Bruxelles du 10 mai 1952, ratifiée par la France, organise un système de forum arresti limité. Son article 7 établit une liste de six cas dans lesquels le tribunal de l’État où la saisie a été pratiquée sera compétent pour statuer sur le fond. Ces cas incluent notamment l’hypothèse où le demandeur a sa résidence dans cet État, où la créance maritime est née dans cet État, ou encore si la créance résulte d’un abordage ou d’une assistance. En dehors de ces cas, le tribunal de la saisie n’est compétent que si la loi interne de son pays le prévoit. En abandonnant le forum arresti généralisé, le droit français s’est donc mis en porte-à-faux avec la possibilité que lui offrait la convention de maintenir une compétence large. Pour approfondir ces règles, il est pertinent d’analyser le champ d’application de la convention de bruxelles de 1952.

La convention de 1999 et la reconnaissance générale du forum arresti

La Convention internationale sur la saisie conservatoire des navires de 1999, bien que non encore ratifiée par la France, marque une évolution encore plus nette. Son article 7 va beaucoup plus loin que le texte de 1952 en posant le principe de la compétence du tribunal du lieu de la saisie pour juger le litige au fond. Cette compétence de principe ne peut être écartée que si les parties en ont convenu autrement, par une clause attributive de juridiction ou une clause compromissoire. Cette convention consacre donc un retour à un forum arresti généralisé, le considérant comme la solution la plus efficace et la plus prévisible pour les acteurs du commerce maritime international. Le droit français se trouve donc en décalage non seulement avec le droit existant mais aussi avec les tendances les plus récentes du droit maritime international.

Critiques et perspectives de réforme du droit français

L’abandon du principe du forum arresti par la jurisprudence française n’a pas manqué de susciter de vives critiques de la part de la doctrine et des praticiens, qui soulignent son inadéquation avec les réalités du commerce maritime et plaident pour un retour à la solution antérieure.

Les inconvénients de l’isolement du droit français en matière de compétence juridictionnelle

La position actuelle du droit français présente de multiples inconvénients. Pour les créanciers, elle représente un alourdissement considérable de la procédure. Ils doivent désormais mener deux batailles judiciaires de front : une en France pour la saisie, et une autre, souvent à l’autre bout du monde, pour obtenir un jugement sur le fond. Cela engendre des coûts supplémentaires, des délais allongés et une incertitude juridique accrue. Pour les ports français, cette situation peut représenter une perte d’attractivité. Un créancier international pourrait préférer faire saisir un navire dans un pays voisin appliquant le forum arresti, afin de bénéficier d’une procédure unifiée et plus rapide. L’efficacité de la saisie comme outil de recouvrement se trouve ainsi diminuée.

Plaidoyer pour un retour au forum arresti généralisé en droit maritime

Face à ce constat, de nombreuses voix s’élèvent pour appeler à une réforme législative. Un retour au principe de la compétence générale du juge du lieu de la saisie, tel que le prévoit la Convention de 1999, apparaît comme une nécessité. Une telle réforme permettrait de réaligner le droit français sur le droit international et de restaurer une solution pragmatique, efficace et protectrice des intérêts des créanciers. Elle offrirait une meilleure prévisibilité juridique et renforcerait l’attractivité de la place portuaire française. En définitive, il s’agirait de reconnaître que la nature même du contentieux maritime, mobile et international, justifie une règle de compétence adaptée à ses spécificités.

La question du forum arresti illustre parfaitement la tension entre l’orthodoxie juridique et les impératifs pratiques du commerce international. Si la jurisprudence a fait le choix de la rigueur, les conséquences pour les acteurs économiques sont tangibles. Pour naviguer dans ces eaux juridiques complexes et défendre efficacement vos intérêts, l’accompagnement par un avocat expert en saisie de navire est indispensable. Notre cabinet se tient à votre disposition pour analyser votre situation et définir la stratégie la plus adaptée.

Sources

  • Convention de Bruxelles du 10 mai 1952 pour l’unification de certaines règles sur la saisie conservatoire des navires de mer
  • Convention internationale de Genève du 12 mars 1999 sur la saisie conservatoire des navires
  • Loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer
  • Décret n° 67-967 du 27 octobre 1967 relatif au statut des navires et autres bâtiments de mer
  • Code des transports
  • Code des procédures civiles d’exécution

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