La réforme du droit des sûretés opérée par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 bouleverse le paysage des garanties immobilières. Les privilèges immobiliers spéciaux disparaissent au profit d’hypothèques légales. Cette refonte vise à simplifier et moderniser un droit complexe et parfois archaïque. Les enjeux sont considérables pour les vendeurs, prêteurs et acquéreurs d’immeubles.
La disparition des privilèges immobiliers spéciaux
Les privilèges immobiliers spéciaux ont vécu. L’ordonnance les supprime purement et simplement. Ces privilèges (vendeur, prêteur de deniers, copartageant) présentaient une caractéristique majeure: leur rétroactivité. Une fois inscrits dans le délai légal, ils prenaient rang à la date de l’acte.
Ce mécanisme créait une insécurité juridique. Des inscriptions prises entre la naissance du privilège et sa publication posaient des problèmes de rang. L’informatisation des services de publicité foncière a rendu ce système obsolète. Les délais d’inscription se sont réduits au point de rendre la rétroactivité superflue.
Les privilèges nés avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance sont « assimilés à des hypothèques légales, sans préjudice le cas échéant de la rétroactivité de leur rang ». Ceux non encore inscrits peuvent encore l’être selon les anciennes règles.
Les nouvelles hypothèques légales spéciales
Les anciens privilèges immobiliers spéciaux deviennent des hypothèques légales spéciales. L’article 2402 du Code civil en dresse la liste:
- La créance du vendeur d’immeuble est garantie sur celui-ci
- La créance du prêteur de deniers pour l’acquisition d’un immeuble est garantie sur celui-ci
- Les créances du syndicat des copropriétaires sont garanties sur le lot vendu
- La créance du copartageant est garantie sur les immeubles partagés
- Les créances sur une personne défunte sont garanties sur les immeubles successoraux
Ces hypothèques légales spéciales prennent rang à la date de leur inscription. La rétroactivité disparaît. L’article 2403 maintient toutefois le lien entre l’action résolutoire du vendeur et l’hypothèque spéciale. Cette action ne peut plus être exercée après l’extinction de l’hypothèque.
Le cas du syndicat des copropriétaires mérite attention. L’hypothèque légale du syndicat (3° de l’article 2402) est « dispensée d’inscription » et « prime toutes les autres hypothèques pour l’année courante et pour les deux dernières années échues ». Pour les années antérieures, elle vient en concours avec les hypothèques du vendeur et du prêteur de deniers.
Les hypothèques légales générales modernisées
Les hypothèques légales générales subsistent mais sont réduites et modernisées. L’article 2393 les énumère:
- Créances d’un époux contre l’autre
- Créances des mineurs ou majeurs en tutelle
- Créances de l’État contre ses comptables
- Créances du légataire
- Frais funéraires
- Créances ayant fait l’objet d’un jugement
- Créances du Trésor public
- Créances des Caisses de sécurité sociale
L’hypothèque légale des époux est limitée au seul régime de participation aux acquêts. L’hypothèque légale attachée aux « jugements de condamnation » (point 6) est l’ancienne hypothèque dite « judiciaire ». Cette requalification met fin à une confusion terminologique. Cette hypothèque résulte directement de la loi et non du juge.
Les hypothèques légales générales s’exercent sur tous les immeubles du débiteur. Elles sont dispensées de toute formalité d’inscription. Elles n’ont toutefois pas de droit de suite et « s’exercent sur les immeubles qu’à défaut de mobilier suffisant ».
Assouplissement des hypothèques conventionnelles
L’article 2414 du Code civil opère un renversement majeur: « l’hypothèque peut être consentie sur des immeubles présents ou futurs ». Ce changement abandonne le principe ancien d’interdiction d’hypothéquer des biens futurs.
L’acte notarié doit désigner « spécialement la nature et la situation de chacun des immeubles ». En pratique, la publicité foncière ne sera possible qu’une fois le constituant devenu propriétaire. Mais la validité de l’hypothèque sur bien futur est désormais acquise.
L’hypothèque rechargeable, créée en 2006, supprimée en 2014, puis partiellement rétablie en 2014, demeure limitée « à la garantie de créances professionnelles ». L’article 2416 maintient le dispositif dans cette configuration restrictive.
L’article 2390 clarifie l’extension des hypothèques aux accessoires: « L’hypothèque s’étend aux intérêts et accessoires de la créance garantie. Cette extension profite au tiers subrogé dans la créance ». Cette disposition met fin à une jurisprudence contestée qui limitait l’effet de la subrogation légale aux seuls intérêts légaux.
Le nouveau classement des sûretés immobilières
Le principe fondamental reste celui de l’article 2418: les hypothèques « prennent rang au jour de leur inscription ». Ce principe s’applique aux hypothèques légales, judiciaires et conventionnelles, y compris celles qui remplacent les anciens privilèges immobiliers spéciaux.
Des exceptions importantes existent:
- L’hypothèque légale du syndicat des copropriétaires prime toutes les autres pour les trois dernières années
- En cas d’inscriptions le même jour, l’hypothèque légale prime l’hypothèque judiciaire, qui prime l’hypothèque conventionnelle
- Entre hypothèques légales de même jour, l’hypothèque du vendeur prime celle du prêteur de deniers
- Entre hypothèques conventionnelles de même jour, celle fondée sur le titre le plus ancien l’emporte
L’article 2419 règle aussi le conflit entre le créancier hypothécaire et le créancier gagiste lorsque le gage porte sur des immeubles par destination. Le rang est déterminé « par les dates auxquelles les titres respectifs ont été publiés, nonobstant le droit de rétention des créanciers gagistes ».
L’article 2420 traite du cas particulier de l’hypothèque rechargeable. Elle prend rang à sa date initiale pour tous les créanciers bénéficiaires à l’égard des créanciers hypothécaires conventionnels, même antérieurs à la convention de rechargement.
La purge des hypothèques reste possible, avec adaptation pour les immeubles par destination gagés. L’article 2472 intègre le créancier gagiste à la procédure de purge judiciaire. Il doit être informé et peut former surenchère si le prix est insuffisant.
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Sources
- Ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés
- Code civil, articles 2375 à 2474 (version en vigueur depuis le 1er janvier 2022)
- Décret n° 2021-1887 du 29 décembre 2021 relatif aux modalités d’application de la réforme