La copropriété de navire : comment ça se crée et comment ça fonctionne ?

Table des matières

L’idée d’acheter un bateau à plusieurs séduit de nombreux passionnés de la mer, que ce soit pour la pêche, la plaisance ou même une activité commerciale. C’est une pratique ancienne, qui permet de partager les coûts et les plaisirs de la navigation. Mais attention, posséder un navire en commun ne s’improvise pas. Le droit français encadre cette situation sous une forme juridique particulière : la copropriété de navire, souvent associée au terme de « quirat ». Ce régime est bien distinct de l’indivision classique que l’on peut connaître pour un bien immobilier, par exemple. Pour une compréhension globale des droits et obligations liés à ce régime, consultez notre guide essentiel sur la copropriété de navire.

Comprendre comment se constitue une copropriété de navire et comment elle s’organise au quotidien est fondamental dès le départ. Il ne s’agit pas seulement de rassembler des fonds ; un cadre formel est nécessaire, impliquant des documents écrits et une publicité officielle. Les décisions importantes concernant le navire ne peuvent pas être prises à la légère ; elles obéissent à la règle de la majorité des parts. Enfin, la gestion du navire peut être confiée à un gérant, mais ce n’est pas une obligation. Cet article vous éclaire sur les étapes de création et les principes de fonctionnement essentiels de la copropriété de navire. Il est crucial de prévoir les modalités de sortie de la copropriété, car des imprévus peuvent survenir et entraîner des divergences entre les copropriétaires. La fin de la copropriété de navire peut être sollicitée par l’un des membres, mais elle doit se faire conformément aux règles établies dans le cadre juridique. En outre, des éléments tels que l’état du marché maritime et les coûts d’entretien doivent être pris en compte lors de la prise de décisions sur la continuation ou la dissolution de la copropriété.

Comment naît une copropriété de navire ?

Contrairement à une simple entente verbale entre amis, la création d’une copropriété de navire exige un formalisme précis. La loi est claire : tout contrat concernant la propriété d’un navire, et donc l’accord établissant une copropriété entre plusieurs personnes, doit être constaté par écrit. L’article 10 de la loi fondatrice du 3 janvier 1967 portant statut des navires le précise explicitement. Cet écrit n’est pas une simple recommandation, sa méconnaissance entraînerait la nullité de l’accord. C’est ce document initial qui servira de base aux démarches administratives indispensables. Il est donc impératif de rédiger cet acte de façon soigneuse afin de protéger les droits des copropriétaires de navires. En effet, un contrat bien rédigé précise non seulement les droits et obligations de chaque partie, mais également les modalités de gestion du navire. Cela permet d’éviter d’éventuels litiges et de garantir une cohabitation sereine entre les associés.

Ces démarches se font principalement auprès des services des douanes. C’est là que le navire sera officiellement enregistré et obtiendra, si les conditions sont remplies, le droit de battre pavillon français via l’acte de francisation. Chaque navire francisé possède une « fiche matricule », sorte de carte d’identité administrative tenue par les douanes. Cette fiche est capitale car elle mentionne non seulement les caractéristiques du navire mais aussi, et c’est ce qui nous intéresse ici, le nom de tous les copropriétaires avec le nombre de parts (quirats) que chacun détient. L’acte de francisation, qui doit se trouver à bord lorsque le navire prend la mer, reprend ces informations. Cette publicité est au cœur du système.

Qui peut devenir copropriétaire et permettre au navire d’être francisé ? Les règles, définies principalement par l’article 219 du code des douanes, sont assez techniques. Pour simplifier, la francisation est possible si le navire a été construit dans l’Union européenne ou si au moins la moitié appartient à des ressortissants (personnes physiques ou sociétés établies) de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen. Il est donc possible de s’associer avec des personnes morales (sociétés) ou des personnes physiques, françaises ou européennes, pour constituer une copropriété.

Une exception notable concerne les « petits navires », ceux dont la jauge brute est inférieure à 10 tonneaux. Le décret d’application de la loi de 1967 (décret du 27 octobre 1967, article 6) précise qu’ils ne sont pas obligatoirement francisés. Si les formalités de francisation ne sont pas accomplies, le régime spécifique de la copropriété maritime (celui décrit par la loi de 1967) ne s’appliquera pas automatiquement, faute de publicité officielle. Les propriétaires devront alors choisir un autre cadre : l’indivision du code civil, une association loi 1901, voire une société classique. Ils peuvent aussi décider, par une convention écrite entre eux, d’adopter volontairement les règles de la copropriété maritime.

Prouver sa qualité de copropriétaire : un enjeu différent selon les interlocuteurs

La question de savoir qui est réellement copropriétaire peut se poser, et la réponse dépendra de à qui l’on s’adresse. Entre les copropriétaires eux-mêmes, la situation est relativement souple. Si un désaccord survient sur la participation de l’un ou l’autre, la jurisprudence admet que la preuve de la qualité de quirataire peut être apportée par tous moyens (écrits, témoignages, etc.). Celui qui prétend être copropriétaire alors qu’il n’est pas inscrit sur les documents officiels devra prouver son droit.

La situation est radicalement différente vis-à-vis des tiers, c’est-à-dire toute personne extérieure à la copropriété : fournisseurs, créanciers, administration… Pour eux, seule compte la publicité officielle réalisée via la fiche matricule et l’acte de francisation. C’est l’apparence créée par ces documents qui prime. Concrètement, un créancier qui veut réclamer le paiement d’une dette ne pourra se tourner que vers les personnes dont le nom figure sur l’acte de francisation comme étant copropriétaires.

Imaginez le casse-tête si la situation était différente ! La publicité assure la sécurité juridique des échanges. Par conséquent, une personne dont le nom n’apparaît pas sur les registres ne pourra pas être poursuivie par les créanciers de la copropriété, même si elle a participé financièrement à l’achat ou à l’exploitation. Inversement, une personne inscrite comme copropriétaire ne pourra pas prétendre qu’elle ne l’est pas réellement pour échapper à ses obligations envers les créanciers. L’inscription fait foi à l’égard des tiers.

On entend parfois parler de « quirataire occulte ». L’expression désigne celui qui finance le navire en coulisses sans être officiellement déclaré. C’est une notion trompeuse. Juridiquement, aux yeux des tiers, cette personne n’est tout simplement pas un quirataire. Elle est un simple prêteur ou un investisseur vis-à-vis de la copropriété, mais elle n’en est pas membre. Attention cependant, cela ne signifie pas qu’elle est à l’abri de toute responsabilité. Si son implication est telle qu’elle se comporte comme un associé de fait, elle pourrait être considérée comme un « associé en participation », comme le prévoit l’article 1871 du Code civil, et être tenue des dettes dans certaines conditions. Il n’est donc généralement pas judicieux de chercher à rester « occulte » pour de mauvaises raisons.

Qui décide dans une copropriété de navire ? La règle de la majorité

Contrairement à l’indivision classique où l’unanimité est souvent requise, la copropriété de navire fonctionne sur le principe de la majorité. C’est l’article 11 de la loi du 3 janvier 1967 qui pose cette règle fondamentale : les décisions concernant l’exploitation du navire sont prises à la majorité des intérêts, c’est-à-dire des parts ou quirats. Chaque quirataire dispose d’un nombre de voix proportionnel à sa part de propriété. Si vous détenez 3 quirats sur 24, vous avez 3 voix.

Cette majorité est, en principe, une majorité absolue : elle doit représenter plus de la moitié de la totalité des parts existantes (par exemple, 13 quirats sur 24), et non pas seulement plus de la moitié des parts des personnes présentes ou votantes. C’est une règle de base, d’ordre public pourrait-on dire, que les copropriétaires ne peuvent pas modifier dans leur contrat initial pour donner plus de poids à certains qu’à d’autres par rapport à leur détention de capital.

Toutefois, pour certaines décisions particulièrement graves, la loi exige une majorité plus forte, voire l’unanimité. C’est le cas par exemple pour :

  • Hypothéquer le navire entier : il faut l’accord d’une majorité de copropriétaires représentant les trois quarts de la valeur du navire (Loi 1967, art. 25). La majorité se calcule ici en valeur, pas seulement en nombre de parts.
  • Décider la vente volontaire du navire (licitation) : une majorité représentant plus de la moitié de la valeur du navire est nécessaire (Loi 1967, art. 27).
  • Autoriser la cession d’une part qui entraînerait la perte de la francisation du navire : l’accord unanime de tous les autres copropriétaires est requis (Loi 1967, art. 22).

La loi de la majorité n’est pas synonyme de dictature des plus gros porteurs de parts. La loi de 1967 a prévu une protection pour les minoritaires. L’article 12 leur permet de contester en justice une décision de la majorité dans un délai de trois ans. Deux motifs sont possibles : soit un vice dans la manière dont la décision a été prise (vice de forme), soit un abus de majorité. L’abus de majorité est cependant difficile à prouver : il faut démontrer non seulement que la décision est contraire à l’intérêt général de la copropriété, mais aussi qu’elle a été prise dans l’unique but de favoriser les majoritaires au détriment des minoritaires. En pratique, les actions en justice sur ce fondement sont rares. Le recours doit être porté devant le tribunal compétent (civil ou commercial selon la nature de l’activité) du port d’attache du navire.

Organiser la gestion : le rôle du gérant

Si la majorité décide, qui exécute au quotidien ? La loi prévoit la possibilité de confier la gestion du navire à une ou plusieurs personnes : le ou les gérants (Loi 1967, art. 14). Cette désignation par la majorité est facultative. Historiquement, quand les copropriétaires étaient peu nombreux et souvent eux-mêmes marins embarqués, un gérant n’était pas nécessaire. Aujourd’hui, avec des copropriétaires parfois éloignés du monde maritime ou des sociétés investissant dans des navires coûteux, le gérant est devenu fréquent et utile. De plus, la désignation d’un gérant permet également de mieux protéger les droits des quirataires de navire, en assurant une gestion optimale et une prise de décision éclairée. Cela renforce la confiance entre les copropriétaires, qui peuvent ainsi s’assurer que leurs intérêts sont préservés face aux enjeux juridiques et opérationnels liés à l’exploitation du navire. En conséquence, la fonction de gérant devient indispensable dans le contexte maritime moderne.

Si un gérant est nommé, son nom doit être publié, notamment sur la fiche matricule et l’acte de francisation (Décret 1967, art. 7, 92). Cette publicité est essentielle car, à défaut, ou si aucun gérant n’a été expressément choisi, la loi considère que tous les copropriétaires sont réputés gérants (Loi 1967, art. 15). Cela a des conséquences importantes, notamment en termes de responsabilité, comme nous le verrons dans un prochain article.

Le gérant peut être l’un des copropriétaires (on parle parfois d’armateur-gérant) ou une personne totalement extérieure à la copropriété. Il peut s’agir d’une personne physique ou d’une personne morale, comme une société de gestion spécialisée.

Quels sont ses pouvoirs ? Vis-à-vis des tiers, ils sont très larges. L’article 17 de la loi de 1967 indique qu’il a « tous pouvoirs pour agir au nom de la copropriété en toutes circonstances » dans le cadre de sa mission de gestion. Il peut donc conclure les contrats nécessaires à l’exploitation (avitaillement, petites réparations, transport, affrètement – sauf exceptions comme l’affrètement coque nue), assurer le navire, représenter la copropriété en justice, choisir le capitaine et l’équipage qui lui devront obéissance (Loi 1967, art. 18). Fait important : même si les copropriétaires ont tenté de limiter ses pouvoirs dans son contrat de nomination (par exemple, en lui interdisant de dépasser un certain budget), ces limitations sont sans effet vis-à-vis des tiers. Un fournisseur qui contracte avec le gérant n’a pas à vérifier si celui-ci respecte d’éventuelles clauses limitatives internes. C’est une protection pour les créanciers, qui rappelle le droit des sociétés commerciales.

S’il y a plusieurs gérants, la loi (art. 16) exige qu’ils agissent d’un commun accord. Chacun a donc, en théorie, un droit de veto sur les décisions de l’autre. Cela peut sembler protecteur, mais risque aussi de paralyser la gestion si les gérants ne s’entendent pas.

Le gérant doit bien sûr rendre compte de sa gestion aux copropriétaires, mais la loi n’impose pas de formalisme particulier comme dans les sociétés (pas de rapport de gestion annuel obligatoire, par exemple). Il est responsable de ses fautes de gestion, mais sa responsabilité est généralement appréciée comme une obligation de moyens : on ne lui reprochera pas un mauvais résultat commercial s’il a agi avec diligence et compétence. Vis-à-vis des copropriétaires, il sera responsable s’il dépasse les pouvoirs qui lui ont été conventionnellement attribués.

Comment cessent ses fonctions ? Le gérant peut être révoqué par la majorité qui l’a nommé. La question de savoir si cette révocation peut se faire sans motif (« ad nutum ») ou si elle doit être justifiée est débattue, mais une révocation brutale ou vexatoire pourrait donner lieu à des dommages-intérêts. Le gérant peut aussi démissionner librement, sauf à causer un préjudice intentionnel à la copropriété. Dans tous les cas (révocation, démission), la fin des fonctions doit être publiée (Décret 1967, art. 7, 92).

Enfin, que se passe-t-il si la copropriété devient ingouvernable ? Par exemple, si aucune majorité ne se dégage pour prendre des décisions ou nommer un gérant, ou si les décisions sont systématiquement annulées pour abus. La loi (art. 13) a prévu une solution : un copropriétaire peut demander au tribunal du port d’attache de désigner un gérant provisoire. Le juge fixera alors la durée et l’étendue de sa mission, qui peut même aller jusqu’à organiser la vente du navire si la situation est irrémédiablement bloquée.


La mise en place et l’organisation d’une copropriété de navire soulèvent des questions juridiques précises. Pour sécuriser votre projet et définir clairement les rôles de chacun, notre équipe se tient à votre disposition.

Que vous soyez un professionnel ou un particulier, notre cabinet vous accompagne avec une expertise reconnue en droit commercial et maritime pour la gestion, le financement ou la résolution de litiges liés à vos activités.

Vous pouvez aussi approfondir votre compréhension des aspects plus généraux du statut juridique des bateaux de navigation intérieure, qui partagent certaines logiques avec les navires maritimes.

Sources

  • Loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 portant statut des navires et autres bâtiments de mer (articles pertinents, notamment 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 22, 25, 27)
  • Décret n° 67-967 du 27 octobre 1967 pris pour l’application de la loi n° 67-5 (articles pertinents, notamment 6, 7, 8, 9, 88 à 96)
  • Code des transports (Dispositions recodifiant potentiellement certains articles des textes précédents, notamment Livre Ier, Titre Ier du Livre préliminaire et Titre Ier du Livre Ier de la Cinquième partie)
  • Code des douanes (notamment article 219 pour les conditions de francisation)
  • Code civil (notamment article 1871 sur la société en participation)

Vous souhaitez échanger ?

Notre équipe est à votre disposition et s’engage à vous répondre sous 24 à 48 heures.

07 45 89 90 90

Vous êtes avocat ?

Consultez notre offre éditoriale dédiée.

Dossiers

> La pratique de la saisie immobilière> Les axes de défense en matière de saisie immobilière

Formations professionnelles

> Catalogue> Programme

Poursuivre la lecture

fr_FRFR