Une fois qu’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire est ouverte par le tribunal, l’entreprise ne bascule pas immédiatement vers une solution définitive. Elle entre dans une phase transitoire, mais absolument déterminante : la période d’observation. Pour le dirigeant, les salariés, les créanciers et tous les partenaires de l’entreprise, cette période est synonyme d’incertitudes, mais aussi d’opportunités. Que se passe-t-il concrètement pendant ces quelques mois ? Qui prend les décisions ? Comment sont gérés les contrats et les dettes ? Et surtout, comment prépare-t-on l’issue de la procédure ?
Cet article vous propose de naviguer au cœur de la période d’observation. Nous allons détailler ses objectifs, sa durée, le rôle des différents acteurs dans la gestion quotidienne, le sort réservé aux contrats en cours et aux créances, et enfin, comment s’élaborent les solutions qui seront présentées au tribunal pour tenter de sauver l’entreprise. Comprendre les mécanismes de cette phase est indispensable pour tout acteur concerné par une procédure de sauvegarde ou de redressement.
Objectif et durée de la période d’observation
La période d’observation est avant tout un temps d’analyse et de diagnostic. Son but principal est de permettre une évaluation approfondie de la situation économique, financière et sociale de l’entreprise. Il s’agit de comprendre les causes des difficultés et de déterminer si un redressement est possible. Pendant ce temps, l’activité de l’entreprise doit, dans la mesure du possible, être maintenue. C’est une sorte de « mise sous surveillance médicale » où l’on cherche à stabiliser le patient tout en préparant le plan de traitement.
La durée initiale de cette période est fixée par le tribunal dans le jugement d’ouverture, sans pouvoir excéder six mois (article L. 621-3 du Code de commerce). Cependant, si l’analyse ou l’élaboration d’un plan le nécessite, cette période peut être renouvelée une fois, voire exceptionnellement une seconde fois à la seule demande du Procureur de la République. En pratique, la durée totale peut donc atteindre 18 mois, voire un peu plus dans des cas complexes. Des durées plus courtes s’appliquent toutefois aux procédures de sauvegarde dites « accélérées ».
La gestion de l’entreprise pendant l’observation
Contrairement à une idée reçue, l’ouverture d’une sauvegarde ou d’un redressement ne signifie pas toujours que le dirigeant perd immédiatement les commandes. Le niveau d’intervention des organes désignés par le tribunal, et notamment de l’administrateur judiciaire (s’il en est nommé un), varie.
Le rôle du dirigeant et de l’administrateur
- En procédure de sauvegarde : Le principe est que le dirigeant continue d’assurer la gestion de l’entreprise (article L. 622-1). L’administrateur judiciaire, s’il est désigné (ce qui n’est pas systématique pour les petites entreprises), aura une mission de surveillance ou d’assistance. En surveillance, il contrôle la gestion ; en assistance, il doit co-signer certains actes avec le dirigeant. Le tribunal précise l’étendue de sa mission.
- En procédure de redressement judiciaire : La situation est plus contraignante. L’administrateur judiciaire (dont la nomination est plus fréquente) reçoit une mission soit d’assistance, soit de représentation (article L. 631-12). En représentation, il prend seul les décisions de gestion à la place du dirigeant.
Dans tous les cas, les pouvoirs du dirigeant sont limités. Les actes importants qui sortent de la gestion courante (vente d’un actif majeur, prise d’une hypothèque, transaction…) nécessitent l’autorisation préalable du juge-commissaire (article L. 622-7).
La poursuite de l’activité
L’objectif numéro un pendant l’observation est, si possible, de maintenir l’activité. Cela permet de préserver l’outil de travail, les emplois, les relations commerciales et donc les chances de présenter un plan crédible.
Cela pose immédiatement la question cruciale du financement de cette période. L’entreprise doit pouvoir continuer à payer ses charges courantes (salaires, fournisseurs pour les nouvelles prestations, loyers…). Trouver les fonds nécessaires (trésorerie existante, nouveaux crédits autorisés par le juge, mobilisation de créances…) est un enjeu majeur dès les premiers jours.
Le sort des contrats en cours
Que deviennent les contrats signés avant l’ouverture de la procédure (bail commercial, contrats fournisseurs, contrats clients, crédit-bail…) ? C’est l’une des questions les plus importantes pour les partenaires de l’entreprise.
Le principe de continuation : le choix de l’administrateur
Le jugement d’ouverture n’entraîne pas la résiliation automatique des contrats en cours. La loi donne un pouvoir spécifique à l’administrateur judiciaire (s’il en a été nommé un) : c’est lui, et lui seul, qui a la faculté d’exiger la continuation des contrats qu’il juge nécessaires au maintien de l’activité (article L. 622-13 du Code de commerce).
Le cocontractant (fournisseur, bailleur…) ne peut pas s’opposer à cette continuation au seul motif que des paiements antérieurs au jugement n’ont pas été honorés. En contrepartie, le cocontractant doit être payé pour les prestations fournies après le jugement d’ouverture. L’administrateur doit d’ailleurs s’assurer, avant d’exiger la continuation, que l’entreprise aura les moyens de payer ces nouvelles échéances.
Que se passe-t-il si l’administrateur ne se prononce pas ? Le cocontractant peut lui adresser une mise en demeure de prendre parti. S’il ne reçoit pas de réponse dans un délai d’un mois (sauf si le juge-commissaire accorde un délai supplémentaire), le contrat sera résilié de plein droit. C’est un mécanisme essentiel pour que les partenaires ne restent pas dans l’incertitude. Si l’administrateur décide de ne pas continuer un contrat, celui-ci est également résilié.
Cas spécifiques
- Contrats de travail : Ils continuent normalement pendant la période d’observation. Cependant, si des licenciements économiques s’avèrent urgents, inévitables et indispensables, l’administrateur peut être autorisé par le juge-commissaire à y procéder, en respectant les règles du droit du travail (consultation des représentants du personnel…) (article L. 631-17).
- Bail commercial : Des règles spécifiques s’appliquent, notamment concernant la résiliation pour non-paiement des loyers postérieurs au jugement (article L. 622-14). Le sort du bail est souvent un point crucial dans l’élaboration du plan.
- Contrats de prêt : Comme vu précédemment, le paiement des échéances antérieures est interdit et le cours des intérêts (sauf prêts de plus d’un an) est arrêté.
La gestion du passif pendant l’observation
La période d’observation est aussi le moment où l’on « photographie » l’endettement de l’entreprise et où l’on gère les dettes nées après le jugement.
Le gel des dettes antérieures
Nous l’avons vu, c’est un effet majeur du jugement d’ouverture : interdiction des poursuites et des paiements pour les dettes nées avant cette date (articles L. 622-21, L. 622-7).
La déclaration et la vérification des créances
Pour que leurs droits soient reconnus, tous les créanciers antérieurs (y compris le Trésor Public, les organismes sociaux…) doivent déclarer leur créance auprès du mandataire judiciaire. Ils disposent généralement d’un délai de deux mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au Bulletin Officiel des Annonces Civiles et Commerciales (BODACC) pour le faire (article L. 622-24).
Cette déclaration est fondamentale. Un créancier qui oublie de déclarer sa créance dans les délais risque de la voir éteinte, c’est-à-dire qu’il ne pourra plus en réclamer le paiement (sauf à obtenir, sous conditions strictes, un « relevé de forclusion » auprès du juge-commissaire, article L. 622-26).
Le mandataire judiciaire a ensuite pour mission de vérifier chaque créance déclarée. Il le fait en comparant la déclaration avec la comptabilité de l’entreprise et en consultant le dirigeant. Si une créance est contestée, un dialogue s’instaure avec le créancier. Au final, le mandataire propose au juge-commissaire une liste des créances à admettre (pour quel montant, avec quelles garanties éventuelles) ou à rejeter (article L. 624-1). C’est le juge-commissaire qui tranchera en cas de désaccord persistant.
Les créances nées pendant l’observation
Qu’en est-il des dettes qui naissent après le jugement d’ouverture ? La loi pose un principe simple : celles qui sont nées régulièrement pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période, doivent être payées à leur échéance (article L. 622-17).
Pourquoi ? Pour inciter les partenaires (fournisseurs, bailleurs…) à continuer de travailler avec l’entreprise. S’ils n’étaient pas assurés d’être payés pour leurs nouvelles prestations, ils refuseraient de continuer, rendant toute tentative de redressement impossible.
Si, malgré ce principe, ces dettes postérieures ne sont pas payées à l’échéance, leurs titulaires bénéficient d’un privilège : ils seront payés avant les créanciers antérieurs non privilégiés si un plan est adopté ou en cas de liquidation ultérieure. Ces créanciers doivent porter leurs créances impayées à la connaissance des mandataires de justice pour que leur privilège soit pris en compte.
La préparation de l’issue : le bilan et le projet de plan
La période d’observation n’est pas une fin en soi. Elle doit déboucher sur une proposition de solution pour l’entreprise. Cela passe par deux étapes clés :
- Le Bilan Économique, Social (et Environnemental si applicable) : Réalisé par l’administrateur (s’il y en a un), ce bilan dresse un état des lieux complet : origine et nature des difficultés, situation financière, potentiel de l’entreprise, situation sociale… (article L. 623-1). C’est le diagnostic indispensable avant d’envisager un traitement.
- Le Projet de Plan : Sur la base de ce bilan, un projet de plan est élaboré.
- En Sauvegarde, c’est le débiteur qui le prépare, avec le concours de l’administrateur (article L. 626-2).
- En Redressement, c’est l’administrateur qui le prépare, avec le concours du débiteur (article L. 631-19). Ce projet détaille les mesures envisagées pour redresser l’entreprise : restructuration éventuelle, poursuite (ou arrêt) de certaines activités, prévisions d’exploitation, plan de remboursement des dettes sur la durée (maximum 10 ou 15 ans), impact social (maintien ou suppression d’emplois)…
C’est ce projet de plan (ou l’absence de projet viable) qui sera soumis au tribunal à la fin de la période d’observation pour qu’il statue sur l’avenir de l’entreprise : adoption du plan, ou conversion en liquidation judiciaire si le redressement s’avère impossible.
La période d’observation est donc une phase dynamique et complexe, où se mêlent la gestion sous contrainte, le traitement du passif et la construction de l’avenir. Pour le dirigeant comme pour les créanciers, c’est un moment où les décisions prises et les informations échangées ont un poids considérable. Bien comprendre les règles qui la régissent et anticiper les étapes à venir est essentiel pour préserver au mieux ses intérêts.
Que vous soyez dirigeant d’une entreprise en sauvegarde ou en redressement, ou créancier d’une telle entreprise, notre cabinet peut vous apporter l’assistance juridique nécessaire pour traverser cette période décisive. N’hésitez pas à nous contacter pour une analyse de votre situation et un accompagnement juridique sur mesure.
Sources
- Code de commerce (principalement Livre VI)