Le cautionnement constitue la garantie personnelle la plus utilisée dans la vie des affaires. Lorsqu’une personne se porte caution d’une entreprise, elle s’engage à rembourser le créancier en cas de défaillance du débiteur principal. Cette pratique, particulièrement courante pour les dirigeants de sociétés garantissant les dettes de leur entreprise, était jusqu’à récemment régie par des règles dispersées entre le Code civil, le Code de la consommation et le Code monétaire et financier. L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a profondément réformé ce régime juridique, répondant à un objectif de clarification et de centralisation des règles dans le Code civil.
Ce texte modifie considérablement le droit du cautionnement, tant sur sa définition même que sur les formalités requises ou la protection des cautions. Découvrons les principales nouveautés qui concernent directement les entreprises, leurs dirigeants et leurs créanciers.
La définition et les caractéristiques du cautionnement clarifiées
Une nouvelle définition plus précise
La réforme donne une définition modernisée du cautionnement à l’article 2288 du Code civil: « Le cautionnement est le contrat par lequel une caution s’oblige envers le créancier à payer la dette du débiteur en cas de défaillance de celui-ci ». Cette rédaction, plus claire que l’ancienne, présente explicitement le cautionnement comme un contrat et la caution comme un contractant à part entière.
Le texte précise également que le cautionnement « peut être souscrit à la demande du débiteur principal ou sans demande de sa part et même à son insu ». Cette disposition confirme que le cautionnement se forme entre la caution et le créancier, le débiteur n’étant pas partie à ce contrat.
Un nouveau critère de commercialité
L’un des changements majeurs concerne la détermination du caractère civil ou commercial du cautionnement. Auparavant, ce caractère dépendait de l’intérêt que la caution avait dans l’opération garantie, critère source d’incertitudes. Désormais, selon le nouvel article L.110-1 du Code de commerce, « la loi répute acte de commerce les cautionnements de dettes commerciales ».
Ce nouveau critère, fondé sur la nature de la dette garantie, simplifie considérablement l’identification du caractère commercial d’un cautionnement. Ainsi, le cautionnement d’une dette commerciale sera toujours commercial, quelle que soit la qualité de la caution (commerçante ou non). À l’inverse, le cautionnement d’une dette civile sera toujours civil.
Cette modification a des conséquences importantes sur:
- La compétence juridictionnelle (tribunal de commerce ou tribunal civil)
- La liberté de la preuve (en matière commerciale)
- La présomption de solidarité (applicable en matière commerciale)
Cautionnement simple et solidaire: précisions bienvenues
L’article 2290 du Code civil clarifie les différentes configurations possibles du cautionnement solidaire. La solidarité peut être stipulée:
- Entre la caution et le débiteur principal
- Entre les cautions seulement
- Entre la caution, le débiteur et les autres cautions
Cette précision permet de mieux encadrer les effets de la solidarité, notamment quant aux bénéfices de discussion et de division. La solidarité entre la caution et le débiteur prive la caution du bénéfice de discussion, tandis que la solidarité entre cautions les prive du bénéfice de division.
Formation et formalisme du cautionnement: assouplissement des règles
La fin des mentions manuscrites préformatées
La réforme assouplit considérablement les règles de forme du cautionnement souscrit par une personne physique. Le nouvel article 2297 du Code civil met fin au système rigide des mentions manuscrites littéralement préformatées. Auparavant, l’omission d’un mot ou d’une virgule dans la formule légale pouvait entraîner la nullité de l’engagement.
Désormais, la caution personne physique doit simplement apposer « elle-même » (manuellement ou par voie électronique) une mention indiquant:
- Qu’elle s’engage en qualité de caution
- À payer au créancier ce que lui doit le débiteur en cas de défaillance
- Dans la limite d’un montant exprimé en toutes lettres et en chiffres
L’important est que la mention reflète clairement l’engagement pris, sans qu’une formule rigide soit imposée.
La dématérialisation du cautionnement
Autre nouveauté significative: la suppression de l’interdiction d’utiliser la forme électronique pour les actes de cautionnement. La modification de l’article 1175 du Code civil autorise désormais expressément la constitution d’un cautionnement par voie électronique.
Cette évolution, qui facilite la conclusion à distance des cautionnements, est particulièrement bienvenue dans un contexte où les transactions dématérialisées se développent. Elle suit la tendance générale à la numérisation des actes juridiques tout en maintenant des garanties de sécurité juridique.
La réduction du contentieux formel
Ces assouplissements devraient considérablement réduire le contentieux purement formel qui encombrait les tribunaux. Durant des années, de nombreuses cautions ont obtenu l’annulation de leur engagement en raison d’irrégularités mineures dans la formulation des mentions. La jurisprudence avait déjà amorcé un mouvement de souplesse que la réforme consacre désormais.
Protection de la caution personne physique: renforcement encadré
Le devoir de mise en garde consacré
L’ordonnance donne une assise légale au devoir de mise en garde jusqu’alors uniquement jurisprudentiel. L’article 2299 du Code civil dispose que « le créancier professionnel est tenu de mettre en garde la caution personne physique lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier ».
Deux points méritent attention:
- Ce devoir s’applique à toute caution personne physique, sans distinction entre cautions averties et non averties
- Il ne concerne que l’inadéquation de l’engagement à la situation du débiteur principal, et non plus le risque d’endettement excessif de la caution elle-même
La sanction est également clarifiée: le créancier est « déchu de son droit contre la caution à hauteur du préjudice subi par celle-ci ». Il ne s’agit donc pas d’une nullité, mais d’une réduction proportionnée à l’ampleur du préjudice.
La proportionnalité de l’engagement: nouvelle sanction
Le principe de proportionnalité de l’engagement de la caution est maintenu mais sa sanction est modifiée. Selon l’article 2300 du Code civil, si le cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel était « manifestement disproportionné » lors de sa conclusion, il n’est plus frappé de nullité mais « réduit au montant à hauteur duquel elle pouvait s’engager ».
Cette approche plus équilibrée remplace le « tout ou rien » antérieur par une solution graduée, mieux adaptée aux situations concrètes. De plus, l’ordonnance supprime la « clause de retour à meilleure fortune » qui permettait au créancier d’exiger l’exécution intégrale du cautionnement si la situation financière de la caution s’améliorait.
Les obligations d’information uniformisées
La réforme simplifie considérablement le régime des obligations d’information du créancier envers la caution. Les multiples textes épars sont remplacés par deux articles clairs:
- L’article 2302 impose au créancier professionnel d’informer annuellement la caution du montant de la dette garantie
- L’article 2303 l’oblige à informer la caution dès le premier incident de paiement non régularisé
La sanction reste la déchéance des intérêts et pénalités pour la période concernée. L’ordonnance précise utilement que ces frais d’information sont à la charge du créancier, et non plus du débiteur ou de la caution.
Les moyens de défense de la caution restaurés
Le caractère accessoire pleinement rétabli
La réforme restaure pleinement le caractère accessoire du cautionnement, mis à mal par une jurisprudence restrictive depuis 2007. L’article 2298 du Code civil dispose désormais clairement que « la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions, personnelles ou inhérentes à la dette, qui appartiennent au débiteur ».
Cette disposition capitale permet à la caution d’invoquer tous les moyens de défense du débiteur principal, y compris ceux qui lui sont personnels (comme un vice du consentement, la prescription, ou la compensation). Elle met fin à la controverse jurisprudentielle qui avait créé une insécurité juridique préjudiciable aux cautions.
La seule limite posée concerne « les mesures légales ou judiciaires dont bénéficie le débiteur en conséquence de sa défaillance », comme les délais de grâce, que la caution ne peut invoquer sauf disposition contraire.
Les bénéfices traditionnels clarifiés
Les traditionnels bénéfices de discussion et de division font l’objet de précisions utiles:
- Le bénéfice de discussion (art. 2305) permet à la caution d’exiger que le créancier poursuive d’abord le débiteur principal
- Le bénéfice de division (art. 2306) autorise une caution poursuivie à demander que le créancier divise ses poursuites entre toutes les cautions
L’ordonnance clarifie les conditions d’application de ces bénéfices et précise utilement que la caution solidaire avec le débiteur ne peut invoquer le bénéfice de discussion, mais que les cautions solidaires entre elles (et non avec le débiteur) peuvent toujours bénéficier de la division.
Les modes d’extinction du cautionnement précisés
L’extinction du cautionnement à durée indéterminée
L’article 2315 du Code civil consacre expressément la faculté de résiliation unilatérale du cautionnement à durée indéterminée. La caution peut y mettre fin à tout moment, sous réserve de respecter le délai contractuellement prévu ou, à défaut, un délai raisonnable.
Cette résiliation met fin à l’obligation de couverture (pour les dettes futures), mais la caution reste tenue des dettes nées antérieurement (obligation de règlement), sauf clause contraire.
Le sort du cautionnement en cas de décès de la caution
L’article 2317 précise que les héritiers de la caution ne sont tenus que des dettes nées avant le décès. L’obligation de couverture s’éteint donc au décès de la caution, tandis que l’obligation de règlement se transmet aux héritiers. Le texte précise utilement que toute clause contraire est réputée non écrite.
Le cas particulier du cautionnement de compte courant
L’ordonnance crée un article 2319 qui limite dans le temps l’engagement de la caution d’un compte courant: « La caution du solde d’un compte courant ou de dépôt ne peut plus être poursuivie cinq ans après la fin du cautionnement ».
Cette disposition met fin à une situation où la caution pouvait rester indéfiniment tenue du solde débiteur d’un compte, même après avoir résilié son engagement. Elle apporte une sécurité juridique bienvenue aux cautions de comptes professionnels.
Un nouveau cadre juridique à maîtriser
Cette réforme d’ampleur du cautionnement apporte clarté et équilibre dans un domaine juridique jusqu’alors marqué par une grande dispersion des textes et une jurisprudence parfois instable. Elle renforce la protection des cautions personnes physiques tout en préservant l’efficacité de cette garantie essentielle au financement des entreprises.
Pour les dirigeants d’entreprise, les associés ou les proches amenés à cautionner des dettes professionnelles, ainsi que pour les créanciers, il est essentiel de maîtriser ces nouvelles règles. Leur application correcte permettra d’éviter les contentieux et de sécuriser efficacement les opérations de crédit.
Notre cabinet peut vous accompagner dans l’analyse de vos engagements existants ou dans la rédaction de nouveaux actes de cautionnement conformes à cette réforme. N’hésitez pas à nous contacter pour bénéficier d’un conseil personnalisé adapté à votre situation.
Sources
- Code civil, articles 2288 à 2320 (réformés par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021)
- Code de commerce, article L.110-1
- Ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés