Quand les dettes s’accumulent sans espoir d’apurement, une situation souvent qualifiée de surendettement, le système juridique français propose une solution radicale: le rétablissement personnel. Cette procédure, souvent comparée à une « faillite civile », permet au débiteur de repartir à zéro en effaçant ses dettes dans certaines conditions strictes.
Le rétablissement personnel sans liquidation judiciaire
Conditions d’éligibilité
Pour bénéficier de cette procédure, le débiteur doit être dans une situation « irrémédiablement compromise » selon l’article L.724-1 du Code de la consommation. En pratique, cela signifie l’impossibilité manifeste de mettre en œuvre des mesures classiques de traitement du surendettement.
Le débiteur doit également posséder un patrimoine très limité: uniquement des biens meublants nécessaires à la vie courante, des biens non professionnels indispensables à son activité, ou des biens sans valeur marchande. La Cour de cassation a précisé dans un arrêt du 19 février 2015 que cette procédure s’applique même lorsque le débiteur est propriétaire de sa résidence principale.
La bonne foi reste une condition essentielle, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 22 mai 2008. Un comportement frauduleux ou une organisation volontaire d’insolvabilité excluent cette possibilité.
Procédure et effets juridiques
Depuis la loi du 18 novembre 2016, la Commission de surendettement a le pouvoir exclusif d’imposer l’ouverture d’une procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire. Le juge intervient uniquement en cas de contestation.
Cette procédure fait l’objet d’une publicité au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC), permettant aux créanciers non informés de former un recours dans un délai de deux mois.
L’effacement des dettes: portée et limites
L’effet principal de cette procédure est l’effacement de toutes les dettes non professionnelles arrêtées à la date de la décision. Mais attention: cet effacement n’équivaut pas à un paiement. Dans un arrêt important du 31 janvier 2019, la Cour de cassation a précisé que « l’effacement de la dette locative qui n’équivaut pas à son paiement ne fait pas disparaître le manquement contractuel du locataire ». Le propriétaire conserve donc le droit de demander la résiliation du bail.
Le rétablissement personnel avec liquidation judiciaire
Critères d’ouverture
Cette procédure s’applique lorsque le débiteur possède des biens de valeur pouvant être vendus pour désintéresser partiellement ses créanciers. L’accord explicite du débiteur est obligatoire – son silence vaut refus selon l’article L.742-1 du Code de la consommation.
La Commission de surendettement doit saisir le juge des contentieux de la protection après avoir obtenu l’accord du débiteur. Le juge, après analyse du dossier, peut alors ouvrir la procédure par jugement.
Déroulement de la procédure
Le juge peut désigner un mandataire pour établir un bilan économique et social du débiteur. Ce professionnel, choisi sur une liste établie par le Procureur de la République (article R.742-5 du Code de la consommation), analyse l’actif et le passif.
Les créanciers doivent déclarer leurs créances dans un délai de deux mois suivant la publication du jugement d’ouverture. À défaut, leurs créances sont éteintes, sauf relevé de forclusion accordé par le juge.
La liquidation des biens du débiteur
Le liquidateur dispose d’un délai de 12 mois pour vendre les biens. La loi privilégie la vente amiable, mais la vente forcée reste possible. Certains biens sont exclus de la vente:
- Les biens insaisissables (article L.112-2 du Code des procédures civiles d’exécution)
- Les biens sans valeur marchande ou dont les frais de vente seraient disproportionnés
- Les biens non professionnels indispensables à l’activité professionnelle
La vente d’un bien immobilier obéit à des règles spécifiques, avec la possibilité pour le juge de fixer un prix minimum et d’ordonner la radiation des hypothèques.
Clôture et effets sur les dettes
La clôture pour insuffisance d’actif entraîne l’effacement de toutes les dettes arrêtées à la date du jugement d’ouverture, rendant caduques les éventuelles procédures de saisie. Cet effet radical explique la nécessité d’une décision judiciaire.
Une inscription au Fichier national des Incidents de remboursement des Crédits aux Particuliers (FICP) est maintenue pendant 8 ans.
Les dettes non effaçables
Certaines dettes demeurent exigibles malgré la procédure:
- Les dettes alimentaires
- Les amendes pénales
- Les dommages-intérêts alloués aux victimes d’infractions pénales
- Les dettes payées par une caution ou un coobligé personne physique
- Les dettes issues de prêts sur gage
- Les dettes nées après le jugement d’ouverture
La jurisprudence adopte une interprétation stricte de la notion de « dette alimentaire ». Ainsi, la Cour de cassation a estimé que les frais de restauration scolaire, de séjour en maison de retraite ou d’hospitalisation d’un enfant ne constituent pas des dettes alimentaires (avis du 8 octobre 2007 et arrêts du 3 juillet 2008 et du 19 mars 2009).
L’aide d’un avocat: une nécessité
La complexité des procédures de rétablissement personnel justifie l’intervention d’un avocat. Ce dernier peut:
- Évaluer l’opportunité d’une telle procédure, notamment au regard des biens possédés
- Défendre la bonne foi du débiteur parfois contestée
- Identifier les dettes susceptibles d’être effacées
- Contester, le cas échéant, les créances produites
- Accompagner le débiteur lors des audiences
L’avocat apporte une aide précieuse pour éviter les pièges: certains débiteurs refusent par méconnaissance cette procédure alors qu’elle représenterait leur unique solution. D’autres, au contraire, la demandent sans mesurer ses implications, notamment l’impossibilité d’y recourir à nouveau avant plusieurs années.
N’attendez pas que votre situation devienne critique – consultez un avocat dès les premiers signes de difficultés financières pour explorer toutes les options adaptées à votre cas particulier.
Sources
- Code de la consommation: articles L.724-1, L.733-1 à L.733-7, L.741-1 à L.742-22, R.742-5
- Code des procédures civiles d’exécution: article L.112-2
- Cour de cassation, 2e chambre civile, 19 février 2015, n°13-28.236
- Cour de cassation, 2e chambre civile, 22 mai 2008, n°07-11.329
- Cour de cassation, 2e chambre civile, 31 janvier 2019
- Cour de cassation, avis, 8 octobre 2007, n°07-00.013
- Cour de cassation, 2e chambre civile, 3 juillet 2008, n°07-15.223
- Cour de cassation, 2e chambre civile, 19 mars 2009, n°07-20.315