L’entreprise de pêche maritime : quel statut juridique et quelles règles sociales ?

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Lancer ou gérer une entreprise dans le secteur de la pêche maritime implique bien plus que la seule maîtrise des techniques de navigation et de capture. Choisir la bonne structure juridique, comprendre ses obligations sociales et connaître le statut exact de son activité sont des étapes fondamentales pour assurer la pérennité et la sécurité de son projet. Les implications peuvent être nombreuses, touchant aussi bien la fiscalité que la protection sociale du pêcheur et de sa famille. Notre cabinet observe que de nombreuses questions se posent sur ces aspects essentiels.

Cet article vise à éclaircir les principaux points concernant le cadre juridique et social de l’entreprise de pêche maritime professionnelle en France. Nous aborderons la nature juridique de l’activité, les différentes formes que peut prendre l’entreprise, la place importante du conjoint et les règles spécifiques qui encadrent les relations de travail à bord.

La nature juridique de l’activité de pêche professionnelle

Avant toute chose, il convient de bien définir ce que recouvre l’exercice de la pêche maritime. Selon une définition ancienne mais toujours fondamentale issue du décret-loi du 9 janvier 1852, il s’agit de « la capture d’animaux et la récolte de végétaux marins, en mer et dans la partie des fleuves, rivières, étangs et canaux où les eaux sont salées ». Cette activité peut s’exercer depuis un navire, mais également depuis le rivage, comme la pêche à pied ou la récolte d’algues.

La question de savoir si cette activité est de nature civile (agricole) ou commerciale a longtemps fait débat. La loi d’orientation sur la pêche maritime et les cultures marines du 18 novembre 1997 a apporté une clarification attendue. Son article 14 dispose que « toute activité de pêche maritime pratiquée, à titre professionnel, à bord d’un navire en vue de la commercialisation des produits, est réputée commerciale ». Cette qualification emporte des conséquences directes pour les pêcheurs concernés, notamment en termes d’obligations administratives, fiscales et de respect des règles d’accès à la ressource et de préservation.

L’inscription au registre du commerce et des sociétés (RCS) devient alors une obligation. Cette inscription ouvre également des droits, comme celui d’être électeur et éligible auprès des tribunaux de commerce ou des chambres de commerce et d’industrie (CCI). Sur le plan fiscal, la reconnaissance du caractère commercial permet à une entreprise qui céderait son unique navire de bénéficier, sous conditions, d’une présomption de poursuite d’activité, évitant ainsi une imposition immédiate des plus-values. Il faut toutefois noter que, malgré cette commercialité, les artisans pêcheurs conservent une exonération de la taxe professionnelle (remplacée depuis par la Contribution Économique Territoriale – CET) et ne sont pas assujettis à la taxe additionnelle pour frais de CCI.

Cependant, la qualification commerciale n’est pas toujours automatique et dépend des conditions réelles d’exercice. Un avis du comité de coordination du RCS de 2018 rappelle qu’il faut distinguer deux situations. Si l’activité repose principalement sur les compétences techniques personnelles du patron pêcheur, sa présence à bord comme capitaine (impliquant souvent un seul navire ou un nombre très limité) et son implication directe et dominante dans la pêche, l’activité peut conserver un caractère non commercial. En revanche, si l’entrepreneur exploite des navires dont le commandement est délégué à des préposés, se concentrant sur l’organisation des moyens humains et matériels dans une logique de spéculation, l’activité est clairement commerciale. L’analyse se fait donc au cas par cas.

Qu’en est-il de la pêche à pied professionnelle ? La loi est ici différente. L’article 54 de la même loi d’orientation de 1997 précise que les pêcheurs à pied professionnels sont affiliés à la Mutualité sociale agricole (MSA). Leur activité conserve donc une nature agricole, échappant à la commercialité et à l’inscription au RCS.

Choisir la forme juridique de son entreprise de pêche

Le choix de la structure juridique est une décision importante pour tout entrepreneur, y compris dans le secteur de la pêche. Plusieurs options existent, allant de la forme la plus simple à des sociétés plus structurées.

L’entreprise individuelle reste une forme courante, notamment dans la pêche artisanale. Sa simplicité de création et de gestion peut séduire. Cependant, elle présente un inconvénient majeur : la confusion entre le patrimoine personnel de l’entrepreneur et son patrimoine professionnel. En cas de difficultés financières de l’entreprise, les biens personnels du pêcheur (maison, voiture…) peuvent être saisis pour rembourser les dettes professionnelles. Les crises économiques passées dans le secteur ont montré les dangers de cette situation.

Pour pallier ce risque, la loi d’orientation de 1997 a encouragé le développement de la société de pêche artisanale. L’article 21 la définit comme une société soumise au régime d’imposition des sociétés de personnes (comme une EURL ou SNC) ou une société à responsabilité limitée (SARL), dont 100% des parts sociales et des droits de vote sont détenus par un ou plusieurs pêcheurs qui en assurent la direction effective. Condition supplémentaire : ces pêcheurs associés doivent être embarqués sur le ou les navires appartenant à la société (ou dont elle est copropriétaire majoritaire).

Cette forme sociétaire présente des avantages notables. Elle permet une séparation claire entre le patrimoine de la société et celui des associés, protégeant ainsi les biens personnels de ces derniers. De plus, la société de pêche artisanale bénéficie des mêmes exonérations que l’entreprise individuelle artisanale : exonération de la CET et des cotisations patronales à l’Établissement National des Invalides de la Marine (ENIM). Le législateur a voulu s’assurer que le passage en société ne désavantage pas les pêcheurs artisans et leurs familles par rapport à une exploitation individuelle.

La loi a également prévu des mécanismes pour faciliter l’investissement et la transmission au sein de ces sociétés. Par exemple, la condition de détention majoritaire par le pêcheur embarqué peut être assouplie si un armement coopératif est également associé. Il existe aussi des sociétés de financement de navires de pêche (SOFIPECHE) dont les parts peuvent être détenues par des tiers bénéficiant d’avantages fiscaux, aidant ainsi au financement des navires exploités par les sociétés artisanales. Ces mesures montrent une volonté claire de moderniser les structures juridiques de la pêche artisanale.

Enfin, d’autres formes de sociétés commerciales (SAS, SA…) sont bien sûr envisageables, notamment pour des armements de plus grande taille ou des structures ayant des activités diversifiées, mais elles ne bénéficient pas des avantages spécifiques de la société de pêche artisanale. Le choix dépendra de la taille de l’entreprise, des projets de développement et de la volonté de s’associer.

La place du conjoint dans l’entreprise de pêche

Le rôle des conjoints, très souvent des femmes, dans la réussite des entreprises de pêche a longtemps été sous-estimé ou insuffisamment reconnu juridiquement. La loi d’orientation de 1997 a marqué une avancée significative en la matière.

L’article 16 de cette loi reconnaît un droit à pension pour le conjoint du patron propriétaire embarqué qui participe activement à l’exploitation de l’entreprise. Sous réserve de remplir certaines conditions, notamment d’âge (55 ans) et de cessation définitive d’activité dans l’entreprise, ce conjoint peut prétendre à une pension servie par la caisse de retraite des marins (ENIM). C’est une reconnaissance importante du travail souvent invisible effectué à terre (gestion administrative, commerciale, logistique…).

De plus, la loi prévoit une protection en cas de maternité ou d’adoption pour la conjointe du patron pêcheur affiliée à l’ENIM. L’article 17 instaure une couverture partielle des frais engagés pour la remplacer dans ses tâches au sein de l’entreprise pendant son absence.

Enfin, si le conjoint du chef d’entreprise maritime choisit de s’inscrire comme collaborateur au registre du commerce et des sociétés, il acquiert des droits de participation active à la vie professionnelle. L’article 18 précise que l’un ou l’autre des conjoints peut alors participer aux assemblées générales des organismes professionnels (coopératives, mutuelles, crédit maritime) et être éligible à leurs organes de direction. Cette disposition renforce la reconnaissance du conjoint comme un véritable partenaire dans l’entreprise.

Les relations sociales à bord : un cadre spécifique

Le travail en mer, et particulièrement dans la pêche, présente des spécificités qui justifient un encadrement particulier des relations sociales entre l’armateur et les marins embarqués. Si le Code des transports (qui a intégré et remplacé l’ancien Code du travail maritime) et le Code du travail fournissent le cadre général, des adaptations existent.

Le contrat d’engagement maritime formalise la relation de travail. Il peut être à durée déterminée (CDD) ou indéterminée (CDI). Une pratique abusive consistant à enchaîner des CDD très courts (parfois d’une semaine), justifiée par le mode de rémunération à la part, a été encadrée. La loi d’orientation de 1997 (article 46) a mis fin à cette dérogation spécifique au secteur de la pêche, soumettant les contrats aux conditions de droit commun du Code du travail maritime (aujourd’hui Code des transports). De même, la procédure de licenciement d’un marin doit désormais respecter les règles générales prévues par le Code du travail, offrant plus de garanties au salarié. La loi a aussi supprimé certaines dispositions anciennes défavorables au marin, comme la rupture automatique du contrat en cas de blessure ou maladie.

La rémunération des marins pêcheurs est une autre particularité. Le système traditionnel est celui de la rémunération « à la part ». L’article 46-III de la loi de 1997 le définit comme consistant « en tout ou partie en une part sur le produit des ventes ou sur d’autres éléments spécifiés du chiffre d’affaires ». Ce système lie directement la rémunération du marin à la réussite de la campagne de pêche. Pour garantir la transparence, l’armateur doit informer les marins au moins semestriellement des éléments comptables justifiant le calcul de leur part.

Bien que le SMIC (Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance) soit applicable au secteur de la pêche depuis 1950, son application pratique peut être complexe en raison des variations du temps de travail effectif en mer. Pour faciliter les choses, la loi prévoit que des accords nationaux professionnels ou des accords de branche peuvent fixer une durée hebdomadaire forfaitaire de référence pour le calcul du salaire minimum, indépendamment des heures réellement effectuées.

Concernant le temps de travail et le repos, les entreprises de pêche sont soumises aux dispositions du Code des transports relatives au repos hebdomadaire et à celles du Code du travail concernant l’aménagement du temps de travail. L’apprentissage pour les jeunes embarqués est également encadré par le Code du travail. La sécurité à bord et la protection de la santé des marins sont des préoccupations constantes, encadrées par une réglementation dense.

Optimiser la structure juridique et sociale de votre entreprise de pêche est essentiel pour sécuriser votre activité et vos investissements. Les choix faits au démarrage ou au cours de la vie de l’entreprise peuvent avoir des conséquences durables. Pour un conseil adapté à votre situation spécifique d’armateur ou de patron pêcheur, notre cabinet se tient à votre disposition pour étudier vos options.

Sources

  • Code de commerce (immatriculation, sociétés commerciales)
  • Code rural et de la pêche maritime (organisation professionnelle, activités agricoles, certaines dispositions codifiées)
  • Code des transports (Partie législative V : Gens de mer ; partie réglementaire : notamment Livre V relatif au travail maritime, remplaçant l’ancien Code du travail maritime)
  • Code du travail (licenciement, temps de travail, apprentissage)
  • Décret-loi du 9 janvier 1852 sur l’exercice de la pêche maritime (principes fondateurs, définition pêche)
  • Loi n° 97-1051 du 18 novembre 1997 d’orientation sur la pêche maritime et les cultures marines (commercialité, société artisanale, conjoint, relations sociales)
  • Code général des impôts (aspects fiscaux, CET)
  • Avis du Comité de Coordination du Registre du Commerce et des Sociétés (CCRCS) n° 2018-17 (précision sur la commercialité)

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