L’injonction de payer constitue un outil fondamental pour les créanciers souhaitant recouvrer rapidement leurs créances. Cette procédure a récemment connu des modifications substantielles visant à la moderniser et à la rendre plus efficace. Examinons ensemble ces évolutions qui redessinent le paysage du recouvrement de créances en France.
La réforme de 2022 : la transparence numérique
Le décret n°2022-245 du 25 février 2022 a bouleversé la procédure d’injonction de payer en renforçant les droits du débiteur. Principal changement : l’huissier doit désormais mettre à disposition du débiteur les documents justificatifs par voie électronique via la plateforme www.mespieces.fr lors de la signification.
Le nouvel article 1411 du Code de procédure civile impose cette communication électronique des pièces. Le législateur poursuit un double objectif :
- Garantir une meilleure information du débiteur
- Rééquilibrer une procédure initialement très favorable au créancier
Cette réforme a changé la donne. Avant, le débiteur devait se déplacer au greffe pour consulter les pièces. Maintenant, il peut analyser immédiatement les fondements de la créance réclamée.
Certains créanciers voient cette évolution d’un mauvais œil. La communication systématique des pièces pourrait provoquer davantage d’oppositions. J’observe cependant que cette transparence accrue peut aussi encourager les règlements amiables quand la dette est clairement établie.
La réforme de 2019 : centralisation et dématérialisation
La loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 pour la justice a initié une transformation profonde. Elle a instauré une procédure nationale dématérialisée pour les injonctions de payer aux articles L.211-17 et L.211-18 du Code de l’organisation judiciaire.
Cette réforme s’articule autour de trois axes majeurs :
- La création du tribunal judiciaire, fusion des tribunaux d’instance et de grande instance
- L’unification des modes de saisine (requête et assignation uniquement)
- La spécialisation d’un tribunal judiciaire désigné par décret pour traiter les demandes d’injonction de payer
Les demandes d’injonction de payer sont désormais formées par voie dématérialisée, sauf pour les personnes physiques n’agissant pas à titre professionnel et non représentées par un mandataire.
Le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 complète ce dispositif en simplifiant les exceptions d’incompétence et en étendant la représentation obligatoire par avocat.
Ce regroupement des compétences vise à uniformiser les pratiques et à accélérer le traitement des dossiers. Mon expérience montre que cette centralisation peut toutefois éloigner la justice du justiciable, notamment pour les particuliers peu familiers des procédures dématérialisées.
Les évolutions jurisprudentielles notables
La prescription décennale de l’ordonnance d’injonction de payer
La Cour de cassation a clarifié un point essentiel dans son arrêt du 8 juin 2023 (n°21-18.615) : l’exécution d’une ordonnance portant injonction de payer est soumise à la prescription décennale et non à celle de la créance qu’elle constate, à condition qu’elle ait été signifiée à personne et n’ait pas été frappée d’opposition.
Cette décision est capitale pour les créanciers. Une ordonnance d’injonction de payer peut ainsi « sauver » une créance dont le délai de prescription propre serait plus court.
L’autorité de chose jugée renforcée
Dans un arrêt du 1er février 2018 (n°17-10.849), la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a précisé que l’autorité de chose jugée attachée à une ordonnance portant injonction de payer fait obstacle aux demandes relatives à la résolution des conventions conclues entre les parties pour inexécution.
La Cour rappelle qu’« il appartenait à la demanderesse de former une opposition régulière à cette ordonnance afin de présenter à cette occasion l’ensemble de ses moyens de défense ».
Les conséquences de l’opposition
Plusieurs arrêts récents ont précisé les effets de l’opposition :
- L’ordonnance d’injonction de payer n’est une décision juridictionnelle qu’en l’absence d’opposition (Civ. 2e, 23 mai 2024, n°21-25.988)
- L’opposition à une injonction de payer, même irrégulière, interrompt le délai d’opposition (Civ. 2e, 18 janvier 2024, n°21-23.033)
La Cour de cassation a également confirmé que le jugement rendu sur opposition se substitue à l’injonction de payer (Civ. 2e, 2 juillet 2020, n°19-16.100).
L’office du juge en matière européenne
La Cour de justice de l’Union européenne a étendu l’office du juge en matière de clauses abusives dans la procédure européenne d’injonction de payer (CJUE, 19 décembre 2019, aff. C-453/18 et C-494/18).
Le juge peut demander au créancier des informations complémentaires sur les clauses contractuelles invoquées à l’appui de la créance. Les dispositions nationales qui déclareraient irrecevables ces demandes d’informations seraient contraires au droit européen.
Perspectives d’évolution de l’injonction de payer
La tendance est claire : l’injonction de payer s’oriente vers une dématérialisation accrue et une possible déjudiciarisation partielle.
Plusieurs pistes se dessinent :
- L’automatisation du traitement des demandes d’injonction
- Le renforcement de l’harmonisation européenne
- Le transfert de certaines compétences aux greffiers en chef
L’article 8 du Règlement n°1896/2006 du 12 décembre 2006 prévoit déjà que l’examen de la demande d’injonction de payer européenne « ne doit pas nécessairement être effectué par un juge » et peut faire l’objet « d’une procédure automatisée« .
Il est probable que le droit français suive cette voie. La question qui se pose alors est celle de l’équilibre entre efficacité et protection des droits du débiteur.
Le contentieux de l’impayé représente plus d’un quart de l’activité civile des juridictions. Une gestion plus fluide des injonctions de payer pourrait désengorger les tribunaux, mais nécessite des garde-fous.
En cas de recouvrement complexe ou de contestation sérieuse, le recours à un avocat reste indispensable pour naviguer dans ces procédures en constante évolution. Notre cabinet peut vous accompagner dans l’analyse de votre situation et déterminer la stratégie optimale pour le recouvrement de vos créances.
Sources
- Décret n°2022-245 du 25 février 2022 favorisant le recours à la médiation
- Loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice
- Décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile
- Cour de cassation, 2e chambre civile, 8 juin 2023, n°21-18.615
- Cour de cassation, 2e chambre civile, 18 janvier 2024, n°21-23.033
- Cour de cassation, 2e chambre civile, 2 juillet 2020, n°19-16.100
- Cour de cassation, 2e chambre civile, 23 mai 2024, n°21-25.988
- CJUE, 19 décembre 2019, affaires C-453/18 et C-494/18
- Articles L.211-17 et L.211-18 du Code de l’organisation judiciaire
- Article 1411 du Code de procédure civile
- Règlement n°1896/2006 du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d’injonction de payer