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Procédure orale vs écrite au tribunal de commerce : quelles conséquences pratiques ?

Table des matières

La procédure devant le tribunal de commerce a longtemps été présentée comme essentiellement orale. Cette caractéristique, qui visait à garantir simplicité et rapidité, constituait l’une des spécificités de cette juridiction. Pourtant, au fil des années et des réformes successives, l’écrit a progressivement gagné du terrain, au point de transformer profondément la physionomie du procès commercial. Cette évolution soulève des questions pratiques essentielles pour les entreprises et leurs conseils : comment s’articulent aujourd’hui l’oral et l’écrit ? Quelles sont les conséquences concrètes pour la conduite d’un litige commercial ?

Le principe historique de l’oralité devant le tribunal de commerce

Fondements et objectifs initiaux

Le caractère oral de la procédure devant le tribunal de commerce trouve ses racines dans l’histoire même de cette juridiction. Créée dès 1563 par l’Édit de Charles IX, elle visait à offrir aux commerçants un mode de règlement des litiges qui soit simple, rapide et peu coûteux.

L’oralité répondait parfaitement à ces objectifs en permettant aux justiciables de s’exprimer directement devant leurs pairs, sans formalisme excessif. L’article 860-1 du Code de procédure civile énonce d’ailleurs toujours ce principe fondamental : « la procédure est orale ». Cette formulation lapidaire traduit une volonté de simplicité procédurale.

Ce choix initial correspondait également à une époque où les échanges commerciaux reposaient davantage sur la parole donnée que sur l’écrit. Les juges consulaires, eux-mêmes commerçants, étaient censés comprendre les usages et les problématiques de leurs pairs sans nécessiter de longs développements écrits.

Conséquences : la primauté des débats à l’audience ?

Dans sa conception originelle, l’oralité impliquait que les parties comparaissent personnellement à l’audience pour exposer leurs prétentions et arguments. Le tribunal n’était alors saisi que par l’exposé oral des parties, ce qui signifiait théoriquement que les prétentions non soutenues oralement étaient considérées comme abandonnées.

Cette primauté de l’oral avait plusieurs conséquences pratiques importantes :

  • La comparution personnelle ou par mandataire était indispensable
  • Les prétentions devaient être formulées à l’audience
  • Le greffier notait les prétentions des parties au plumitif d’audience
  • Le tribunal jugeait l’affaire sur la base de ces débats oraux

Cette prédominance de l’oral se manifestait aussi par l’obligation pour les parties de comparaître à l’audience. Selon la jurisprudence traditionnelle, des conclusions écrites déposées par une partie non comparante étaient considérées comme irrecevables (Chambre commerciale, 23 novembre 1982).

La montée en puissance de l’écrit : une procédure transformée

L’obligation de communiquer pièces et conclusions écrites

L’évolution des pratiques commerciales et la complexification du droit ont progressivement conduit à une montée en puissance de l’écrit dans la procédure. Ce mouvement s’est accéléré avec les réformes successives du Code de procédure civile.

Aujourd’hui, même si la procédure reste qualifiée d’orale, les parties sont tenues de communiquer leurs pièces et, dans la pratique, de rédiger des conclusions écrites. L’article 446-2 du Code de procédure civile prévoit que lorsque les parties formulent leurs prétentions par écrit, leurs écritures doivent exposer expressément les prétentions ainsi que les moyens en fait et en droit avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées.

Cette obligation est renforcée par une règle particulièrement importante : les parties sont réputées avoir abandonné les prétentions et moyens non repris dans leurs dernières écritures. Ce principe d’unicité de l’instance écrite a été consacré par la Cour de cassation (2e chambre civile, 22 juin 2017), qui a jugé qu’il s’applique même lorsque les parties ne sont pas dispensées de se présenter à l’audience.

Le rôle central du dossier écrit pour le juge

Le dossier écrit est devenu l’élément central sur lequel s’appuie le juge pour trancher le litige. Depuis le début de la phase écrite, après l’assignation, les échanges entre les parties structurent progressivement le débat judiciaire.

En pratique, le juge chargé d’instruire l’affaire (qui a remplacé l’ancien juge rapporteur depuis le décret du 24 décembre 2012) organise les échanges écrits entre les parties. Il fixe les délais et les conditions de communication des prétentions, moyens et pièces. Ce calendrier procédural est contraignant, puisque le non-respect des délais peut entraîner l’irrecevabilité des écritures tardives.

L’importance de l’écrit se manifeste également dans le pouvoir du juge d’écarter des débats les prétentions, moyens et pièces communiqués tardivement. Cette sanction s’applique lorsque le retard porte atteinte aux droits de la défense et intervient sans motif légitime.

La communication électronique et ses impacts

L’avènement de la communication électronique a considérablement renforcé la place de l’écrit dans la procédure commerciale. Le développement des plateformes comme « i-greffes » et la généralisation du RPVA (Réseau Privé Virtuel des Avocats) ont facilité les échanges dématérialisés.

Depuis un arrêté du 21 juin 2013, la communication électronique est permise pour les actes de procédure entre les avocats et entre les avocats et la juridiction. Plus récemment, l’instauration du « tribunal digital » permet aux chefs d’entreprise de saisir en ligne la juridiction et de suivre l’évolution des procédures en cours.

Ces évolutions techniques ont eu un impact profond sur la physionomie du procès commercial, en accentuant encore davantage la dimension écrite de la procédure. Elles permettent désormais de réaliser certains actes de procédure sans comparution physique, comme la demande de délais de paiement (article 861-2 du Code de procédure civile).

Comment s’articulent l’oral et l’écrit aujourd’hui ?

Les conclusions écrites fixent les prétentions et moyens

Le déroulement de la procédure, vue d’ensemble montre que les conclusions écrites sont désormais le vecteur principal des prétentions et moyens des parties. Cette évolution est consacrée par l’article 446-2 du Code de procédure civile, qui prévoit que les conclusions doivent formuler expressément les prétentions et moyens de droit et de fait.

La jurisprudence a renforcé l’importance des écritures en considérant que les parties sont réputées avoir abandonné les prétentions et moyens non repris dans leurs dernières conclusions. Cette règle, initialement applicable aux procédures écrites, a été étendue aux procédures orales, y compris devant le tribunal de commerce.

En conséquence, le principe de concentration des moyens oblige désormais les parties à présenter l’ensemble de leurs arguments dans leurs écritures. Le dossier écrit devient ainsi le cadre du litige, ce qui limite considérablement la portée de l’oralité traditionnelle.

L’audience de plaidoirie : pour convaincre et répondre aux questions

Si les écrits fixent les limites du litige, l’audience de plaidoirie conserve néanmoins un rôle important. Elle permet aux avocats de mettre en lumière les points essentiels de leur argumentation et de répondre aux questions du tribunal.

La plaidoirie ne peut cependant pas dépasser le cadre fixé par les écritures. Elle vise essentiellement à convaincre les juges de la pertinence des arguments déjà développés par écrit. C’est pourquoi le rôle de l’avocat dans les échanges s’est considérablement transformé.

D’ailleurs, la jurisprudence récente confirme l’importance des écritures par rapport à la plaidoirie. La Cour de cassation a jugé qu’en cas d’absence d’une partie à l’audience, la juridiction demeure saisie par ses écritures antérieurement déposées (2e chambre civile, 9 avril 2009).

Peut-on soulever de nouveaux arguments à l’oral ? Limites.

La question des arguments nouveaux soulevés uniquement à l’oral illustre parfaitement l’articulation actuelle entre écrit et oral. En principe, les moyens de droit et les prétentions qui n’ont pas été formulés dans les conclusions écrites ne peuvent pas être utilement présentés à l’audience.

Cette limitation est particulièrement marquée pour les exceptions de procédure et les fins de non-recevoir, qui doivent être soulevées in limine litis. En revanche, la jurisprudence admet que les moyens nouveaux puissent être soulevés avant toute défense au fond lors du débat oral (2e chambre civile, 16 octobre 2003).

Pour les moyens de droit, la situation est plus nuancée. Selon l’article 12 du Code de procédure civile, le juge doit donner leur exacte qualification juridique aux faits et actes litigieux. Il peut donc retenir un fondement juridique non invoqué par les parties, mais uniquement sur la base des faits régulièrement soumis au débat.

Les implications pratiques pour les justiciables et leur avocat

Nécessité d’une préparation écrite rigoureuse

Cette évolution vers une procédure de plus en plus écrite a des conséquences pratiques majeures pour les justiciables et leurs conseils. La préparation des écritures est devenue une étape cruciale qui conditionne largement l’issue du litige.

Un avocat pour procédure commerciale doit désormais consacrer une attention particulière à la rédaction des conclusions. Celles-ci doivent présenter de façon exhaustive l’ensemble des moyens de fait et de droit, avec une articulation logique et convaincante. Les pièces doivent être soigneusement sélectionnées, numérotées et analysées.

Cette exigence de rigueur est d’autant plus importante que les conclusions tardives ou incomplètes risquent d’être écartées des débats. La jurisprudence considère en effet que les parties sont réputées avoir abandonné les moyens non repris dans leurs dernières écritures.

Importance de la clarté et de la structure des écritures

La qualité rédactionnelle des écritures est devenue un élément déterminant du succès d’une procédure commerciale. Les conclusions doivent présenter clairement les prétentions et les moyens qui les soutiennent, avec une indication précise des pièces invoquées.

L’article 446-2 du Code de procédure civile impose désormais une structuration rigoureuse des écritures, qui doivent expressément formuler les prétentions et les moyens en fait et en droit. Cette exigence formelle traduit l’importance croissante de l’écrit dans la procédure.

En pratique, les écritures gagnent à être rédigées selon un plan logique, avec une numérotation des paragraphes et un bordereau récapitulatif des pièces. Cette rigueur formelle facilite le travail du juge et renforce l’efficacité de l’argumentation.

L’audience reste un moment clé, mais basé sur l’écrit

Malgré la montée en puissance de l’écrit, l’audience de plaidoirie conserve une importance significative. Elle permet de mettre en lumière les points essentiels du dossier et de répondre aux interrogations des juges.

Néanmoins, la plaidoirie s’appuie désormais largement sur les écritures préalablement échangées. Elle vise moins à exposer l’intégralité de l’argumentation qu’à en souligner les aspects décisifs. C’est pourquoi les avocats expérimentés adaptent leur plaidoirie en fonction du dossier écrit et des questions soulevées par les juges.

Par ailleurs, le développement des procédures sans audience ou avec dispense de comparution témoigne de cette évolution. L’article 861-1 du Code de procédure civile permet en effet au juge de dispenser une partie comparante de se présenter à une audience ultérieure, confirmant ainsi la primauté de l’écrit sur l’oral.

Vers une procédure essentiellement écrite ? Perspectives.

L’évolution récente de la procédure commerciale traduit un mouvement de fond vers une prédominance de l’écrit. Cette tendance s’inscrit dans un rapprochement progressif avec le régime de la procédure écrite applicable devant le tribunal judiciaire.

Plusieurs réformes récentes ont accentué ce phénomène. Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 a notamment rendu obligatoire la représentation par avocat devant le tribunal de commerce, sauf exceptions limitées. Cette réforme a contribué à professionnaliser davantage la procédure et à renforcer sa dimension écrite.

Dans le même temps, le développement des outils numériques facilite les échanges dématérialisés et réduit l’importance de la présence physique à l’audience. Le « tribunal digital » permet désormais aux justiciables de suivre l’évolution de leur dossier en ligne, tandis que les audiences par visioconférence se développent.

Certains praticiens s’inquiètent de cette évolution, craignant qu’elle ne dénature l’esprit initial de la juridiction consulaire. D’autres y voient au contraire un gage de sécurité juridique et d’efficacité procédurale. Quoi qu’il en soit, cette transformation interroge sur l’avenir de l’oralité comme principe fondateur de la procédure commerciale.

La crise sanitaire liée à la Covid-19 a d’ailleurs accéléré cette tendance, en généralisant les procédures sans audience ou avec audience à distance. Ces pratiques, initialement conçues comme exceptionnelles, pourraient bien s’inscrire durablement dans le paysage judiciaire.

Si vous êtes confronté à un litige devant le tribunal de commerce, il est essentiel d’être accompagné par un professionnel maîtrisant parfaitement cette articulation complexe entre l’oral et l’écrit. Notre cabinet dispose de l’expertise nécessaire pour vous guider efficacement à travers ces procédures en constante évolution.

Sources

  • Code de procédure civile, articles 446-1 à 446-4, 853 à 871
  • Décret n° 2010-1165 du 1er octobre 2010 relatif à la conciliation et à la procédure orale
  • Décret n° 2012-1451 du 24 décembre 2012 relatif à l’expertise et à l’instruction des affaires
  • Décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile
  • Cour de cassation, 2e chambre civile, 22 juin 2017, n° 16-17.118

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