La saisie-attribution est une procédure d’exécution particulièrement efficace pour un créancier, lui permettant d’obtenir le paiement direct des sommes que des tiers doivent à son débiteur. Son efficacité ne doit pas pour autant masquer les conditions strictes qui encadrent sa mise en œuvre. Notre cabinet observe que, si la procédure est un outil légitime, son usage peut parfois dévier de sa finalité première, exposant alors le créancier à des sanctions. Il est donc fondamental de bien saisir les frontières entre une saisie régulière, un détournement de procédure et un abus. Comprendre ces nuances est la première étape pour sécuriser son patrimoine et ses droits, que l’on soit créancier ou débiteur, et pour ne pas confondre une irrégularité civile avec une infraction pénale.
Introduction : comprendre les fondements de la saisie-attribution et les risques d’irrégularité
Une saisie-attribution ne peut être engagée à la légère. Le droit en la matière, régi par le Code des procédures civiles d’exécution (CPCE), impose un cadre précis pour justifier une telle mesure de contrainte. Avant d’analyser les dérives possibles, il est essentiel de maîtriser les conditions de validité d’une saisie-attribution, notamment l’exigence d’une créance certaine, liquide et exigible, constatée par un titre exécutoire. Ces conditions, que l’on qualifie de « cause objective » de la saisie, forment le socle de la démarche du créancier.
Mais au-delà de ces prérequis formels, le droit s’intéresse aussi à la « cause subjective », c’est-à-dire à l’intention réelle du créancier. L’article L. 211-1 du Code des procédures civiles d’exécution est très clair : la saisie est pratiquée « pour en obtenir le paiement ». Ce but exclusif est le gardien de l’équilibre entre le droit du créancier à recouvrer sa créance et la protection du débiteur contre des mesures vexatoires ou disproportionnées. C’est précisément l’analyse de cette cause subjective qui permet au juge de l’exécution d’exercer son contrôle et de sanctionner les usages irréguliers de cette procédure.
Le détournement de la saisie-attribution : une dévoyance du but exclusif de paiement
Le détournement de procédure se caractérise par l’utilisation de la saisie-attribution pour atteindre un objectif autre que le paiement de la créance visée par le titre exécutoire. Dans cette configuration, le créancier saisissant dispose bien d’un titre valide et sa créance est réelle, mais son intention profonde n’est pas de se faire payer. Il instrumentalise la procédure pour produire un effet juridique différent, que la loi ne lui permettrait pas d’obtenir par une voie directe.
La jurisprudence offre une illustration particulièrement éclairante avec l’affaire du crédit documentaire. Dans ce mécanisme bancaire, un acheteur (donneur d’ordre) demande à sa banque de s’engager de manière irrévocable à payer un vendeur (bénéficiaire) contre la remise de documents conformes. Si un litige survient entre eux, l’acheteur, même s’il obtient un titre exécutoire contre le vendeur pour une autre cause, ne peut pas pratiquer une saisie-attribution sur la créance du vendeur envers la banque. La Cour de cassation considère qu’une telle manœuvre ne vise pas à obtenir un paiement, mais bien à bloquer le crédit documentaire et donc à révoquer un engagement irrévocable. La saisie est alors qualifiée de « détournée de son but légitime » et jugée non valable.
L’abus de saisie-attribution : quand l’exécution dépasse les limites de la licéité
Contrairement au détournement qui concerne le but de la saisie, l’abus de saisie-attribution se rapporte aux modalités de son exécution. Ici, le créancier poursuit bien l’objectif de paiement, mais il met en œuvre la procédure d’une manière qui excède ce qui est nécessaire ou qui est animée par une intention malveillante. L’abus n’est pas défini de manière abstraite par la loi ; il s’agit d’un « standard » juridique que le juge apprécie au cas par cas, en fonction des faits de l’espèce.
L’abus peut être caractérisé par une disproportion évidente entre la créance à recouvrer et l’impact sur le patrimoine du débiteur saisi. Il peut également être retenu lorsque la saisie est pratiquée dans une intention de nuire manifeste. La caractérisation de cette intention ou de la disproportion est au cœur de la notion de saisie-attribution abusive, une construction jurisprudentielle que le juge de l’exécution doit évaluer. Les tribunaux ont par exemple pu sanctionner des saisies dont le but principal était de discréditer le débiteur auprès de ses partenaires bancaires ou de le mettre dans une situation financière intenable, alors que d’autres moyens moins dommageables étaient à la disposition du créancier.
Le cadre des sanctions civiles par le juge de l’exécution
Face à une mesure d’exécution irrégulière, le Juge de l’Exécution (JEX) dispose de pouvoirs spécifiques, encadrés par l’article L. 121-2 du Code des procédures civiles d’exécution. Ce texte lui permet d’ordonner la mainlevée de toute mesure « inutile ou abusive » et de condamner le créancier à verser des dommages-intérêts en cas d’abus de saisie.
La distinction est importante. Une saisie peut être jugée inutile (par exemple, si le débiteur a déjà proposé un paiement ou si la mesure est redondante) et donner lieu à une mainlevée, sans pour autant que le créancier soit condamné. La condamnation à des dommages-intérêts est réservée aux situations où un véritable abus est caractérisé, c’est-à-dire une faute du créancier ayant causé un préjudice au débiteur. La jurisprudence récente précise que le juge doit apprécier ce comportement fautif au jour où il statue (Cass. 2e civ., 20 oct. 2022). Il est à noter que, contrairement à une action en justice abusive, l’abus de saisie n’est pas sanctionné par une amende civile, ce qui souligne la nature spécifique de la sanction judiciaire des voies d’exécution.
Différencier du délit pénal : le détournement d’objet saisi ou de gage
Il est fondamental de ne pas confondre le détournement de la procédure de saisie-attribution, notion de procédure civile, avec le délit pénal de détournement d’objet saisi, une infraction distincte qui est parfois assimilée à tort au détournement de gage. Ce dernier est une infraction pénale sanctionnée par l’article 314-6 du Code pénal, qui vise un comportement matériel très différent.
Le délit pénal suppose qu’un bien meuble corporel a été matériellement saisi par un commissaire de justice (anciennement huissier de justice) et confié à la garde du débiteur ou d’un tiers. L’infraction est constituée si ce gardien vient à détruire, dissiper ou effectuer une vente de ce bien dans le but de faire échec aux droits du créancier. Par exemple, la vente d’un véhicule saisi ou la destruction d’un stock de marchandises placé sous main de justice constitue un détournement pénalement répréhensible. Les peines sont lourdes : jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende, une sanction sévère prévue par le droit pénal.
La distinction est donc claire. Le détournement de procédure et l’abus de saisie sanctionnent l’intention ou les modalités de la mise en œuvre de la saisie elle-même, c’est-à-dire un acte de procédure. Le délit pénal, quant à lui, punit un acte matériel de disposition — tel que détruire ou détourner le bien — sur un objet déjà saisi et placé sous main de justice. La logique et les sanctions sont radicalement différentes.
Conséquences pratiques et stratégies de prévention : le rôle clé de l’avocat
Pour un créancier, engager une saisie-attribution suppose une analyse préalable. Il ne suffit pas de détenir un titre exécutoire ; il faut s’assurer que la mesure est non seulement légale dans son principe, mais aussi proportionnée et exclusivement destinée à obtenir le paiement. Une vérification du contexte, notamment dans des relations contractuelles complexes comme le crédit documentaire, est indispensable pour éviter l’écueil du détournement de procédure. Le rôle du commissaire de justice, anciennement huissier de justice, est également central dans l’exécution de l’acte de saisie, et son intervention doit respecter un cadre légal strict pour éviter toute contestation de la saisie.
Pour les débiteurs, la connaissance des recours et des délais de contestation est la première étape pour se défendre face à une mesure qui semblerait abusive ou détournée de son objet. L’assistance d’un avocat expert est alors déterminante pour qualifier la situation et saisir le juge de l’exécution dans le délai d’un mois suivant la dénonciation de la saisie.
Naviguer dans les subtilités du droit de l’exécution demande une expertise précise. L’accompagnement par un avocat compétent en voies d’exécution est essentiel pour sécuriser les actions du créancier ou pour organiser une défense efficace du débiteur et de son patrimoine. Si vous êtes confronté à une telle affaire, en tant que client de notre cabinet ou en recherche de conseil, notre équipe d’experts peut analyser votre dossier et vous conseiller sur la meilleure stratégie à adopter.
Sources
- Code des procédures civiles d’exécution (notamment articles L. 111-1, L. 121-2, L. 211-1)
- Code pénal (notamment article 314-6)
- Code civil