Lorsqu’une entreprise rencontre des difficultés, la loi prévoit divers mécanismes pour tenter de la redresser ou, à défaut, d’organiser sa liquidation dans les meilleures conditions possibles. Cependant, ces procédures peuvent aussi aboutir à la mise en cause de la responsabilité des dirigeants, voire à leur sanction. Pour une vue d’ensemble des risques de sanctions qui peuvent menacer les dirigeants d’entreprise en difficulté, et situer les règles de procédure et les voies de recours détaillées ici, consultez notre article de synthèse. Comprendre comment ces sanctions sont mises en œuvre et comment s’en défendre est essentiel pour tout dirigeant. Que ce soit pour une action en responsabilité pour insuffisance d’actif, une mesure de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer, ou encore une poursuite pénale pour banqueroute, des règles procédurales spécifiques s’appliquent. Cet article a pour objectif d’éclaircir ces aspects souvent complexes et de présenter les voies de recours envisageables.
Procédure pour la responsabilité pour insuffisance d’actif (articles L. 651-3, R. 651-1s du Code de commerce)
L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif, souvent redoutée car elle peut conduire le dirigeant à devoir combler les dettes de l’entreprise sur son patrimoine personnel, est encadrée par une procédure spécifique. Vous pouvez retrouver les conditions de fond de cette action dans notre article dédié : La responsabilité pour insuffisance d’actif : protégez votre patrimoine personnel.
Le tribunal compétent et les personnes habilitées à agir
C’est le tribunal qui a ouvert ou prononcé la liquidation judiciaire de la personne morale qui est compétent pour statuer sur cette action. Il ne peut être saisi que par des personnes limitativement énumérées par la loi. Il s’agit d’une action dite « attitrée ». Le principal acteur est le liquidateur judiciaire. Le ministère public dispose également de cette faculté. Enfin, depuis la loi de sauvegarde de 2005, la majorité des créanciers nommés contrôleurs peut également saisir le tribunal. Cette saisine par les contrôleurs est toutefois conditionnée : elle n’est possible que si le liquidateur, après avoir été mis en demeure par au moins deux contrôleurs, n’a pas engagé l’action dans un délai de deux mois. Toute autre personne, même un dirigeant condamné souhaitant appeler un autre codirigeant en garantie, est irrecevable à agir sur ce fondement.
Pouvoirs d’investigation et mesures conservatoires
Afin d’éclairer sa décision, le tribunal, ou son président, dispose de pouvoirs d’investigation. Il peut notamment ordonner une communication d’informations sur la situation patrimoniale des dirigeants, de leurs représentants permanents, ou sur le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel (nouveau statut).
Pour garantir l’efficacité d’une éventuelle condamnation, le président du tribunal peut aussi ordonner toute mesure conservatoire utile sur les biens des personnes visées (dirigeants, représentants, entrepreneur individuel), afin d’éviter qu’ils n’organisent leur insolvabilité pendant la procédure. La désignation d’un expert pour examiner la gestion du dirigeant est également fréquente.
Déroulement de l’instance et droits de la défense
Contrairement à la plupart des instances en matière de procédures collectives qui se déroulent en chambre du conseil, les débats relatifs à l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif ont lieu en audience publique. Le dirigeant poursuivi peut toutefois demander, avant l’ouverture des débats, que ceux-ci se tiennent en chambre du conseil.
Pour assurer les droits de la défense, il est primordial que le dirigeant ou l’entrepreneur mis en cause puisse préparer sa réponse. Le rapport éventuellement établi par le juge-commissaire doit lui être communiqué au moins un mois avant l’audience.
Délai de prescription
L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif se prescrit par trois ans. Ce délai court à compter de la date du jugement qui prononce la liquidation judiciaire de la personne morale, et ce, indépendamment de la date à laquelle les fautes de gestion reprochées ont été commises. Il s’agit d’une fin de non-recevoir qui peut être soulevée à tout moment de la procédure, mais qui ne peut être relevée d’office par le juge. Point important : une assignation délivrée à un dirigeant n’interrompt pas la prescription à l’égard des autres codirigeants potentiellement responsables, en l’absence de solidarité automatique entre eux pour cette action.
Procédure pour la faillite personnelle et l’interdiction de gérer (articles L. 653-1, R. 653-1s du Code de commerce)
Les sanctions professionnelles, telles que la faillite personnelle ou l’interdiction de gérer, visent à écarter de la vie des affaires les dirigeants considérés comme fautifs. Pour une analyse détaillée des cas et des effets de ces mesures, consultez notre article : Faillite personnelle et interdiction de gérer : les risques professionnels pour le dirigeant. Leur mise en œuvre obéit également à des règles spécifiques.
Tribunal compétent et saisine
Comme pour l’action précédente, c’est le tribunal qui a ouvert la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire qui est compétent pour prononcer ces sanctions. Depuis la loi de 2005, le tribunal ne peut plus se saisir d’office. La saisine appartient aux mêmes acteurs que pour l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif : le mandataire judiciaire, le liquidateur, l’administrateur (si sa mission est maintenue), le ministère public, et la majorité des créanciers contrôleurs dans les mêmes conditions (mise en demeure préalable du liquidateur restée infructueuse).
Déroulement de l’instance et droits de la défense
Les débats ont lieu en audience publique, sauf demande de huis clos par la personne poursuivie. La personne poursuivie doit pouvoir organiser sa défense. La jurisprudence a notamment rappelé la nécessité que le ministère public communique ses conclusions et que le dirigeant puisse y répondre utilement. Cependant, la Cour de cassation a précisé que le droit à un procès équitable n’implique pas que la personne poursuivie ou son avocat ait systématiquement la parole en dernier après les réquisitions du ministère public lorsque celui-ci intervient comme partie jointe.
Il est à noter que le juge-commissaire ayant instruit l’affaire, le président du tribunal ayant connu du dossier en prévention ou le juge commis ne peuvent siéger dans la formation de jugement ni participer au délibéré concernant ces sanctions.
Délai de prescription
L’action tendant au prononcé de la faillite personnelle ou d’une mesure d’interdiction de gérer se prescrit également par trois ans à compter du jugement d’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. En cas de conversion d’un redressement en liquidation, le point de départ reste le jugement d’ouverture initial de la procédure collective.
Une particularité existe pour l’action spécifique visant à sanctionner le dirigeant qui n’exécute pas une condamnation antérieure à combler le passif (art. L. 653-6). Pour cette action précise, la prescription de trois ans ne court qu’à compter de la date à laquelle la décision de condamnation pour insuffisance d’actif a acquis force de chose jugée.
Impossibilité de transiger
Contrairement à l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif sur laquelle une transaction est possible, il est impossible de transiger sur le prononcé d’une sanction professionnelle. La Cour de cassation a clairement affirmé que ces mesures tendent à la protection de l’intérêt général et non de l’intérêt collectif des créanciers, et qu’une transaction ne saurait faire échec à une action tendant au prononcé d’une sanction professionnelle.
Procédure pour la banqueroute et les délits connexes (articles L. 654-16s du Code de commerce)
La banqueroute et les infractions associées relèvent du droit pénal et font l’objet d’une procédure distincte devant les juridictions répressives. Les actes constitutifs et les peines encourues sont détaillés dans notre article : Banqueroute et délits connexes : les sanctions pénales qui menacent le dirigeant.
Tribunal compétent et action publique
C’est le tribunal correctionnel (éventuellement au sein d’un pôle économique et financier spécialisé) qui est compétent pour juger les faits de banqueroute et les délits connexes. L’action publique est mise en œuvre par le ministère public. Celui-ci dispose d’un droit de communication et peut requérir de l’administrateur ou du liquidateur la remise de tous les actes et documents utiles détenus par eux.
L’action civile
L’action civile, visant à obtenir réparation du préjudice causé par l’infraction, peut être exercée devant la juridiction répressive. Elle peut être portée par le liquidateur ou l’administrateur, agissant au nom et dans l’intérêt collectif des créanciers, après autorisation du juge-commissaire. Le ministère public peut également l’exercer. Un créancier agissant individuellement peut aussi se constituer partie civile s’il justifie d’un préjudice personnel distinct du préjudice collectif.
Prescription de l’action publique
La prescription de l’action publique pour le délit de banqueroute est en principe de six ans (délai de droit commun pour les délits). Cependant, une règle spécifique dérogatoire s’applique : lorsque les faits incriminés sont apparus avant le jugement d’ouverture, la prescription ne commence à courir qu’à compter de la date de ce jugement (ouvrant la sauvegarde, le redressement ou la liquidation). Tant qu’aucune procédure collective n’est ouverte, le délai ne court pas, ce qui peut permettre des poursuites longtemps après la commission des faits.
Publicité des condamnations
En cas de condamnation pour banqueroute ou délit connexe, le jugement ou l’arrêt doit être publié aux frais du condamné, selon des modalités laissées à l’appréciation de la juridiction (publication dans un ou plusieurs journaux, par exemple).
Les voies de recours
Les décisions prononçant des sanctions à l’encontre des dirigeants ne sont pas définitives d’emblée et peuvent faire l’objet de recours.
L’appel
Les jugements des tribunaux de commerce ou judiciaires statuant sur la responsabilité pour insuffisance d’actif ou sur les sanctions professionnelles (faillite personnelle, interdiction de gérer) sont susceptibles d’appel. Le ministère public dispose d’un droit d’appel propre. L’appel formé contre une décision prononçant la faillite personnelle ou une interdiction de gérer est suspensif, ce qui signifie que la sanction ne produit pas ses effets tant que la cour d’appel n’a pas statué.
Les jugements des tribunaux correctionnels statuant sur la banqueroute et les délits connexes sont également susceptibles d’appel devant la chambre des appels correctionnels de la cour d’appel compétente, selon les règles de procédure pénale.
Le pourvoi en cassation
Les arrêts rendus par les cours d’appel peuvent ensuite faire l’objet d’un pourvoi en cassation, tant au civil (pour les sanctions patrimoniales et professionnelles) qu’au pénal (pour la banqueroute), afin de faire contrôler la correcte application du droit par les juges du fond.
La réhabilitation et le relèvement des sanctions professionnelles (article L. 653-11 du Code de commerce)
Même lorsqu’une faillite personnelle ou une interdiction de gérer a été prononcée, elle n’est pas nécessairement définitive pour toute la durée fixée par le jugement. La loi prévoit une possibilité de « seconde chance ».
La procédure de relèvement
L’intéressé peut, à tout moment, demander au tribunal qui a prononcé la sanction d’en être relevé, en tout ou partie. La demande se fait par requête, à laquelle doivent être joints les justificatifs pertinents. La juridiction statue après avoir entendu le demandeur et recueilli l’avis du ministère public.
Les conditions du relèvement
Deux conditions alternatives sont posées par l’article L. 653-11 :
- Le demandeur doit avoir apporté une contribution suffisante au paiement du passif. L’appréciation du caractère « suffisant » est laissée au pouvoir souverain des juges du fond. Ce n’est pas qu’une question de montant : les efforts consentis, les facultés contributives réelles, voire la part de responsabilité initiale dans le passif, peuvent être pris en compte.
- Ou, lorsque la demande concerne une interdiction de gérer (de l’article L. 653-8), le demandeur doit présenter des garanties démontrant sa capacité à diriger ou contrôler de nouveau une entreprise. Ces garanties peuvent être variées, comme le suivi d’une formation professionnelle par exemple.
Effets du relèvement
Si le tribunal accorde le relèvement total des déchéances et interdictions, sa décision emporte réhabilitation de l’intéressé. La sanction prend fin de manière anticipée.
Naviguer dans les méandres procéduraux des sanctions contre les dirigeants nécessite une expertise juridique certaine. Que vous soyez visé par une action en responsabilité pour insuffisance d’actif, une mesure de faillite personnelle ou une poursuite pour banqueroute, la compréhension des règles applicables et des délais est fondamentale pour organiser votre défense. Les possibilités de recours et de réhabilitation existent mais sont encadrées. Un accompagnement par un avocat compétent en droit des entreprises en difficulté peut s’avérer déterminant pour préserver vos droits et évaluer les meilleures stratégies à adopter.
Pour une analyse personnalisée de votre situation ou pour vous assister dans le cadre d’une procédure de sanction, notre équipe se tient à votre disposition.
Sources
- Code de commerce : articles L. 651-3, L. 653-1, L. 653-11, L. 654-16 à L. 654-20
- Code de commerce : articles R. 651-1 à R. 651-6, R. 653-1 à R. 653-4
- Code de procédure pénale (dispositions relatives à l’action publique et civile, prescription, voies de recours)