Les procédures de recouvrement forcé d’une créance ne se limitent pas à une simple confrontation entre un créancier et son débiteur. Très souvent, une tierce personne se retrouve impliquée, malgré elle, dans ce processus. Qu’il s’agisse d’une banque, d’un employeur ou d’un notaire, ce tiers devient un rouage essentiel de la procédure, tenu de prêter main-forte à la justice, avec des obligations strictes et une responsabilité qui peut être lourdement engagée. La complexité de ces règles et les réformes constantes en la matière soulignent l’importance de bien maîtriser le rôle de chacun pour sécuriser la mise en œuvre des opérations d’exécution. L’assistance d’un avocat compétent en voies d’exécution est souvent déterminante pour naviguer ces mécanismes sans commettre d’impair.
Typologie et définition des tiers dans les procédures civiles d’exécution
Pour bien comprendre le rôle des tiers, il est essentiel de les resituer dans le cadre général des procédures civiles d’exécution, qui organisent le recouvrement forcé des créances. Le terme « tiers » y recouvre des réalités très différentes, dont le degré d’implication varie considérablement.
Qui sont les tiers ? les différentes catégories d’intervenants
En matière d’exécution forcée, on peut distinguer trois grandes catégories de tiers. La première inclut ceux qui sont totalement étrangers au mécanisme mais dont les intérêts doivent être protégés, comme les témoins ou les auxiliaires (serrurier, déménageur) requis ponctuellement. La deuxième catégorie concerne des tiers qui, bien qu’étrangers à la dette, sont impliqués et doivent faire valoir leurs droits, à l’image du propriétaire d’un bien saisi par erreur chez le débiteur ou d’un créancier gagiste. Enfin, ce dernier cas, le plus engagé, rassemble les tiers détenteurs de biens ou de fonds pour le compte de la partie saisie. Ce sont eux qui sont directement visés par la mesure et tenus de coopérer activement à son bon déroulement.
Notion spécifique du tiers saisi : débiteur du débiteur
Le tiers saisi est une figure centrale des voies d’exécution. Il se définit comme le « débiteur du débiteur ». Concrètement, il s’agit d’une personne ou d’une entité qui doit une somme d’argent non pas au créancier poursuivant, mais directement à la personne poursuivie. Les exemples les plus courants sont l’établissement bancaire qui détient les fonds de son client sur un compte, l’employeur redevable du salaire à son employé, ou encore le notaire détenteur du prix de vente d’un bien immobilier pour le compte du vendeur. Le critère déterminant pour qualifier un tiers de « tiers saisi » est l’autonomie dont il jouit dans la gestion des fonds. S’il dispose d’un pouvoir propre sur les sommes, comme un avocat gérant les fonds de son client via un compte CARPA, il peut être qualifié de tiers saisi. En revanche, un simple préposé agissant sous les ordres directs de la partie saisie ne le sera pas.
L’obligation générale d’information et de coopération des tiers
Le bon déroulement des mesures d’exécution repose sur un principe fondamental de coopération. Les tiers ne sont pas de simples spectateurs ; la loi leur impose un rôle actif, encadré par des obligations précises et des sanctions dissuasives.
L’étendue de l’obligation de renseignement pour le commissaire de justice
L’un des principaux obstacles au recouvrement est la localisation de la partie débitrice et de son patrimoine. Pour y remédier, le commissaire de justice (anciennement huissier de justice) porteur d’un titre exécutoire dispose d’un droit d’accès direct à certaines informations. En vertu des articles L. 152-1 et L. 152-2 du code des procédures civiles d’exécution (C. proc. exéc.), les administrations de l’État et des collectivités territoriales, ainsi que les établissements publics ou les entreprises contrôlées par une autorité administrative, sont tenus de lui communiquer les renseignements permettant de déterminer l’adresse du débiteur, l’identité de son employeur, ou la composition de son patrimoine immobilier. De même, les banques doivent indiquer si le débiteur détient un ou plusieurs comptes en leur sein. Cette obligation prime le secret professionnel, mais elle est strictement cantonnée aux informations nécessaires à l’exécution, dont l’utilisation est rigoureusement encadrée pour protéger la vie privée du débiteur.
Le devoir de coopération et les sanctions en cas d’obstacle
L’article L. 123-1 du Code des procédures civiles d’exécution (C. proc. exéc.) pose une règle claire : les tiers ne peuvent faire obstacle aux mesures engagées. Ils doivent y apporter leur concours lorsqu’ils en sont légalement requis. Tout manquement à ce devoir de coopération, s’il est dépourvu de motif légitime, expose le tiers à des sanctions. En cas de manquement ou d’obstacle de la part d’un tiers, le créancier peut saisir l’autorité compétente, illustrant ainsi l’importance du rôle du Juge de l’Exécution (JEX) dans la supervision de ces opérations. Celui-ci peut contraindre le tiers récalcitrant à s’exécuter, au besoin sous astreinte, tenir la main à la bonne exécution de la mesure, et le condamner au paiement de dommages-intérêts. La sanction la plus lourde reste la possibilité de le voir condamné à payer lui-même l’intégralité des causes de la saisie, c’est-à-dire la créance, sauf à exercer ensuite un recours contre le débiteur.
L’obligation spécifique de déclaration du tiers saisi : étendue, formalisme et sanctions
Au-delà du devoir général de coopération, le tiers saisi est soumis à une obligation de déclaration particulièrement rigoureuse, dont le non-respect peut entraîner des conséquences financières directes et immédiates.
Étendue et formalisme de la déclaration : saisie-attribution et saisie des rémunérations
Les exigences varient selon la nature de la saisie. Ces exigences sont particulièrement strictes dans le cadre de la procédure de saisie-attribution, où le tiers saisi, souvent une banque, doit fournir des informations précises « sur-le-champ » à l’huissier de justice. Cette déclaration immédiate au commissaire de justice doit porter sur l’étendue de ses obligations à l’égard du débiteur et être accompagnée de tous les documents et pièces justificatives pertinents. Pour la saisie des rémunérations, la pratique est légèrement différente. L’employeur, tiers saisi, dispose d’un délai de quinze jours à compter de la notification de l’acte de saisie pour déclarer au greffe la situation de droit qui le lie à son salarié (nature du contrat, montant du salaire) et l’existence d’éventuelles autres saisies en cours.
Sanctions en cas de manquement à l’obligation de déclaration et notion de motif légitime
Le manquement à l’obligation de déclaration est sévèrement sanctionné. Un tiers saisi qui, par négligence ou de manière fautive, refuse de déclarer, ou qui le fait de manière tardive, inexacte ou mensongère, s’expose à être condamné au paiement des causes de la saisie. Il peut également être condamné à verser des dommages-intérêts au créancier qui aurait subi un préjudice du fait de sa défaillance, ainsi qu’à une amende civile. La jurisprudence de la Cour de cassation (par ex. Civ. 2e, 15 avril 2021, pourvoi n°20-15.432, consultable sur Lextenso) interprète très strictement l’obligation de déclaration « sur-le-champ », n’hésitant pas à sanctionner un retard de quelques heures (voir par exemple un arrêt de la Cour d’appel de Versailles, 10 janvier 2022, accessible sur Lextenso, confirmant une condamnation en première instance). La seule porte de sortie pour le tiers est d’invoquer un « motif légitime », dont la preuve lui incombe en cas de contestation. Cette notion, appréciée souverainement par les juges, reste une exception. Elle peut être reconnue lorsque la personne qui reçoit l’acte du commissaire de justice, comme une hôtesse d’accueil ou une secrétaire, n’a manifestement pas la compétence ni les informations pour répondre instantanément.
Aménagements procéduraux et cas particuliers impliquant les tiers saisis
L’intervention d’un tiers dans la voie d’exécution entraîne des adaptations et soulève des questions complexes, notamment lorsque la situation personnelle du débiteur (régime matrimonial, surendettement) ou l’évolution de la législation viennent modifier les règles du jeu.
La double procédure auprès du tiers et du débiteur : principe et délais
Un principe fondamental garantit les droits de la partie saisie : la double signification. Lorsqu’une mesure est pratiquée entre les mains d’un tiers, le mécanisme se déroule en deux temps. D’abord, l’acte est signifié au tiers saisi, ce qui a pour effet de rendre les biens ou les sommes indisponibles. Ensuite, cette mesure doit être portée à la connaissance du débiteur lui-même, généralement par une dénonciation effectuée par acte d’huissier de justice dans un délai de huit jours. Ce fractionnement, applicable notamment à la saisie-attribution ou à la saisie-vente chez un tiers, est crucial car il ouvre au débiteur les délais pour toute contestation de la saisie.
Saisie-attribution sur comptes bancaires conjoints et régimes matrimoniaux
L’analyse se complexifie lors de la saisie sur un compte joint, où le tiers saisi (la banque) doit jongler entre son obligation de déclaration et la protection des fonds du conjoint non-débiteur. En régime de communauté légale, la saisissabilité des fonds dépend de la nature de la dette. Si la dette a été contractée par un seul époux sans le consentement de l’autre pour un emprunt ou un cautionnement, l’article 1415 du Code civil protège les biens communs. Le créancier saisissant ne peut alors saisir que les biens propres et les revenus de l’époux débiteur. Dans ce cas, la saisie du compte joint est en principe impossible, sauf pour le créancier à prouver que les fonds qui s’y trouvent sont des revenus propres du débiteur. La charge de la preuve pèse donc lourdement sur le créancier, la banque devant, en l’absence de cette preuve, refuser de bloquer la totalité des fonds et respecter la part correspondant au solde bancaire insaisissable du conjoint.
Obligations et rôle du tiers saisi en cas de procédure de surendettement du débiteur
Lorsqu’un débiteur fait l’objet d’une procédure de surendettement, qui s’apparente à une procédure collective pour les particuliers, les obligations du tiers saisi sont radicalement modifiées. La décision de recevabilité du dossier par la commission de surendettement emporte suspension et interdiction de toutes les mesures d’exécution en cours sur les biens du débiteur pour les dettes autres qu’alimentaires. En effet, les effets de la procédure de surendettement, notamment la suspension des poursuites, modifient en profondeur le cadre d’intervention et les obligations du tiers saisi. Dès notification de cette décision, une banque ou un employeur doit cesser tout versement au créancier saisissant. Il lui est également interdit de payer toute créance née antérieurement à la suspension. Le tiers saisi devient un simple détenteur des fonds, qui ne pourra en disposer que sur instruction de la commission ou du juge.
La réforme de la saisie des rémunérations et l’implication des commissaires de justice (2025)
Une réforme majeure, dont l’entrée en vigueur est prévue au 1er juillet 2025 par décret, vient transformer en profondeur la saisie des salaires en la déjudiciarisant. Jusqu’à présent gérée par le greffe du tribunal, cette voie d’exécution sera entièrement confiée aux commissaires de justice. Un commissaire de justice « répartiteur » sera désigné par la chambre nationale pour centraliser et gérer le recouvrement. Cette nouvelle approche s’appuie sur la dématérialisation et la création d’un registre numérique national des saisies des rémunérations, qui assurera la traçabilité et la coordination des mesures, améliorant l’accès à l’information. Pour l’employeur-tiers saisi, cela signifie des échanges simplifiés, principalement par voie électronique, ce qui complète la dématérialisation des procédures. La mesure débutera par un commandement de payer, laissant au débiteur un mois pour trouver un accord. Sans accord, l’acte de saisie sera notifié à l’employeur, suite à la signification d’un commandement de payer resté sans effet, qui devra alors verser les fractions saisissables du salaire directement au commissaire de justice répartiteur. En cas de manquement à cette nouvelle disposition, des sanctions, notamment une amende civile pouvant atteindre 10 000 euros, sont prévues.
La diversité des situations et la technicité des règles applicables aux tiers saisis rendent indispensable une analyse rigoureuse de chaque dossier. Pour sécuriser vos voies d’exécution ou défendre vos droits en tant que tiers impliqué, n’hésitez pas à contacter notre cabinet d’avocats experts en voies d’exécution.
Sources
- Code des procédures civiles d’exécution
- Code civil (art. 1415)
- Code du travail
- Code de la consommation