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Actifs numériques et NFT : sont-ils des biens divers ? Enjeux réglementaires

Table des matières

L’émergence des cryptomonnaies et des NFT a bouleversé le paysage de l’investissement, créant de nouvelles opportunités mais aussi un véritable casse-tête juridique. Ces actifs d’un nouveau genre peinent à trouver leur place dans des cadres réglementaires conçus bien avant leur existence. Une question se pose avec une acuité particulière : peuvent-ils être qualifiés de « biens divers » ? Cette qualification, loin d’être anecdotique, emporterait des conséquences importantes pour les émetteurs, les plateformes et les investisseurs. Elle s’inscrit dans un contexte réglementaire complexe, où l’Autorité des marchés financiers (AMF) cherche à protéger les épargnants. Pour bien saisir les enjeux, il est utile de comprendre le fonctionnement global des intermédiaires en biens divers et la réglementation de l’AMF qui leur est applicable.

La difficile qualification juridique des actifs numériques

Le droit peine souvent à suivre le rythme de l’innovation technologique. Les actifs numériques, par leur nature décentralisée et immatérielle, échappent aux catégories juridiques traditionnelles. Le premier défi pour le législateur et les juges a été de leur donner une existence légale, une classification. Avant même la création d’un régime spécifique, les autorités ont dû se positionner en utilisant les outils juridiques existants, notamment le régime des biens divers, conçu à l’origine pour des placements atypiques comme le vin, les diamants ou les œuvres d’art.

Le cas du bitcoin : un précurseur

Le bitcoin a servi de « patient zéro » pour cette problématique de qualification. Monnaie pour certains, simple marchandise pour d’autres, sa nature juridique a fait l’objet d’intenses débats. Très tôt, la question de son assujettissement à la réglementation sur les biens divers a été soulevée. L’analyse était simple : si une plateforme proposait d’acquérir des bitcoins en mettant en avant la possibilité d’un gain financier futur, elle pouvait potentiellement tomber sous le coup de ce régime. Cette approche voyait le bitcoin non comme un moyen d’échange, mais comme un pur produit de spéculation, un objet d’investissement. Cette réflexion initiale a ouvert la voie à un encadrement plus large et a démontré comment un régime ancien pouvait être mobilisé pour appréhender une nouvelle réalité économique.

Les actifs numériques au sens du code monétaire et financier

Pour clarifier la situation, le législateur est intervenu, notamment avec la loi PACTE de 2019. Le Code monétaire et financier (CMF) définit désormais les actifs numériques. Cette catégorie se divise principalement en deux ensembles. D’une part, les cryptomonnaies, décrites à l’article L. 54-10-1 comme une « représentation numérique d’une valeur qui n’est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique » mais qui est acceptée comme un moyen d’échange. D’autre part, les jetons (ou « tokens »), définis comme « tout bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits », à condition qu’ils ne soient pas qualifiables d’instruments financiers. Cette définition a le mérite d’exister, mais elle n’a pas pour autant réglé toutes les questions de frontières avec les autres régimes existants.

Les non-fungible tokens (NFT) : entre bien divers et titre de propriété numérique

Plus récents encore, les Non-Fungible Tokens, ou NFT, ajoutent une nouvelle couche de complexité. Leur popularité fulgurante, notamment dans le monde de l’art et du jeu vidéo, a créé des marchés brassant des sommes considérables, souvent en dehors de tout cadre réglementaire clair. Leur nature juridique est encore plus fuyante que celle des cryptomonnaies.

Définition et caractéristiques des NFT

Concrètement, un NFT est un jeton non fongible, c’est-à-dire unique et non interchangeable, inscrit sur une blockchain. Il fonctionne comme un certificat d’authenticité et de propriété numérique associé à un actif, qui peut être lui-même numérique (une œuvre d’art digitale, un objet dans un jeu vidéo) ou physique. Sa valeur ne réside pas seulement dans l’actif sous-jacent, mais aussi dans le jeton lui-même, qui peut être acheté et vendu sur un marché secondaire. C’est cette dimension spéculative qui attire l’attention du régulateur. Le NFT n’est pas une monnaie, mais un titre. Mais un titre de quelle nature ?

La pertinence de la qualification en bien divers pour les NFT

C’est ici que la réglementation sur les biens divers retrouve toute sa pertinence. La loi, depuis la réforme de 2014, vise « toute personne qui propose […] d’acquérir des droits sur un ou plusieurs biens en mettant en avant la possibilité d’un rendement financier direct ou indirect ». Cette définition, très large, semble taillée sur mesure pour de nombreuses offres de NFT. Lorsqu’un projet ne se contente pas de vendre un objet numérique pour son usage ou sa valeur esthétique, mais insiste sur son potentiel de plus-value et la facilité de sa revente sur un marché, l’argumentaire commercial bascule. L’offre se transforme en proposition d’investissement. Dans ce cas, le NFT, ou plus précisément l’offre qui le porte, pourrait tout à fait être requalifié en opération sur biens divers. Pour mieux comprendre ce régime, il est essentiel de maîtriser les définitions et opérations soumises à la réglementation des biens divers.

Articulation entre réglementation des actifs numériques et des biens divers

Le droit français se retrouve donc avec plusieurs régimes qui semblent pouvoir s’appliquer à un même objet : celui des prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) et celui, plus général, des intermédiaires en biens divers. Comment ces deux ensembles de règles coexistent-ils ? La réponse est loin d’être évidente et crée une insécurité juridique pour tous les acteurs du secteur.

Une absence d’exclusion explicite pour les actifs numériques

Un point technique mais fondamental doit être souligné. L’article L. 551-1 du Code monétaire et financier, qui définit le champ des biens divers, liste explicitement les opérations qui sont exclues de son application. On y trouve par exemple les opérations de banque, les instruments financiers ou les contrats d’assurance. Or, cette liste d’exclusions ne mentionne nulle part les actifs numériques. En droit, ce qui n’est pas expressément exclu peut être considéré comme inclus si les conditions de qualification sont remplies. Rien n’interdit donc, en l’état actuel des textes, qu’une offre portant sur des cryptomonnaies ou des NFT soit soumise à la réglementation sur les biens divers si elle est présentée comme un placement avec une promesse de rendement.

Risques de cumul de régimes et besoin de cohérence

Cette situation soulève un risque de cumul des réglementations. Un acteur pourrait, pour une même offre, devoir respecter à la fois les obligations liées au statut de PSAN et celles, très contraignantes, des intermédiaires en biens divers (enregistrement d’un document d’information auprès de l’AMF, contraintes statutaires, etc.). Appliquer deux régimes aux logiques similaires mais aux formalités distinctes à une même activité serait incohérent et créerait une charge réglementaire excessive. De nombreux praticiens et auteurs appellent donc de leurs vœux une clarification de la part du législateur. Une exclusion expresse des actifs numériques du régime des biens divers, accompagnée d’un renforcement si nécessaire de leur propre cadre réglementaire, semble être la solution la plus logique pour assurer la cohérence et la lisibilité du droit.

Implications pour les professionnels et les investisseurs

Cette incertitude juridique n’est pas qu’une affaire de théoriciens. Elle a des conséquences très pratiques pour les entreprises qui développent des projets dans cet écosystème, mais aussi pour les particuliers qui souhaitent y investir leur épargne.

La vigilance requise pour les plateformes et intermédiaires

Pour les plateformes d’échange, les créateurs de projets NFT ou les intermédiaires de toute nature, le principal risque est la requalification de leur activité. Un acteur pensant opérer dans un domaine peu ou pas régulé pourrait se voir soudainement reprocher par l’AMF de ne pas avoir respecté les obligations très strictes du régime des biens divers. Les sanctions peuvent être lourdes : sanctions pécuniaires, interdiction d’exercer, et même sanctions pénales. Il est donc impératif pour tout professionnel du secteur de réaliser une analyse juridique fine de son offre. La manière dont le produit est présenté au public est déterminante. Dès lors qu’un argumentaire de rendement financier est utilisé, le signal d’alarme doit retentir et une analyse approfondie de l’application du régime des biens divers s’impose.

La protection des investisseurs face à la complexité

Du point de vue de l’épargnant, cette situation est également problématique. La complexité et le flou des règles applicables rendent difficile l’évaluation du sérieux et de la légalité d’une offre. Un projet enregistré auprès de l’AMF en tant qu’offre de biens divers offre un certain niveau de protection, notamment à travers le contrôle des documents d’information. À l’inverse, une offre qui aurait dû être enregistrée mais ne l’a pas été expose l’investisseur à des risques accrus, sans les garanties prévues par la loi. Face à des promesses de rendements élevés et à un marketing parfois agressif, la plus grande prudence est de mise. Comprendre le cadre juridique d’un investissement est une étape non négociable avant de s’engager.

La frontière entre un simple actif numérique et un bien divers reste donc poreuse, largement dépendante de la manière dont l’offre est commercialisée. Cette zone grise juridique appelle à une grande vigilance de la part des professionnels et à une clarification législative pour sécuriser l’écosystème. Pour les porteurs de projet comme pour les investisseurs, l’analyse des risques juridiques est devenue un prérequis indispensable. Pour obtenir un accompagnement juridique expert pour les innovations en matière de financement et d’actifs numériques, contactez notre cabinet afin d’évaluer votre situation et de sécuriser vos opérations.

Sources

  • Code monétaire et financier, notamment les articles L. 54-10-1, L. 551-1 et suivants.
  • Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (loi PACTE).
  • Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (loi Hamon).
  • Règlement général de l’Autorité des marchés financiers (AMF).

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