Subir un désagrément lors d’un voyage aérien, qu’il s’agisse d’un retard important, de la perte ou de l’avarie de vos bagages, voire de dommages plus sérieux, est une expérience souvent frustrante. Savoir comment réagir et défendre ses droits face à une compagnie aérienne peut sembler complexe. Au-delà de connaître vos droits fondamentaux en tant que passager ou expéditeur, la réussite de toute action repose sur le respect scrupuleux de règles procédurales précises, notamment en matière de délais et de choix du tribunal. Ignorer ces aspects peut anéantir vos chances d’obtenir une indemnisation, même si votre préjudice est avéré. Cet article détaille les étapes et les précautions à prendre pour agir efficacement contre un transporteur aérien.
L’importance des délais de réclamation et de protestation
Avant même d’envisager une action en justice, une première étape, souvent obligatoire, consiste à notifier formellement la compagnie aérienne du problème rencontré. Cette notification, appelée « protestation », doit intervenir dans des délais très courts après l’incident. Ces délais sont fixés principalement par la Convention de Montréal du 28 mai 1999, qui régit la majorité des transports aériens internationaux. Le non-respect de ces délais initiaux peut entraîner l’irrecevabilité de toute action ultérieure. Il faut donc être particulièrement vigilant dès la survenance du dommage.
Délais pour les bagages endommagés ou retardés (Convention de Montréal)
La Convention de Montréal distingue plusieurs situations concernant les bagages enregistrés :
- Avarie (bagage endommagé) : Si vous constatez à l’arrivée que votre bagage enregistré a été endommagé, vous devez adresser une protestation écrite au transporteur immédiatement après la découverte de l’avarie et, au plus tard, dans un délai de sept jours à compter de la date de réception du bagage. Passé ce délai, toute action sera considérée comme irrecevable, sauf en cas de fraude prouvée de la part du transporteur (Article 31, paragraphe 2 de la Convention de Montréal).
- Retard (bagage livré tardivement) : En cas de retard dans la livraison de votre bagage enregistré, la protestation doit être faite par écrit au plus tard dans un délai de vingt et un jours à compter de la date à laquelle le bagage a été mis à votre disposition (Article 31, paragraphe 3). Ce délai est également impératif.
Pour les bagages non enregistrés (bagages à main), la Convention ne prévoit pas de délai de protestation spécifique pour les avaries survenues pendant que le bagage était sous la garde du passager. Toutefois, il reste prudent de signaler tout incident le plus rapidement possible.
Délais pour les avaries de marchandises
Le transport aérien ne concerne pas uniquement les passagers et leurs bagages. Pour les marchandises transportées par voie aérienne, des règles similaires s’appliquent en cas de problème. La responsabilité en cas de dommages aux marchandises est encadrée par des délais de protestation spécifiques :
- Avarie de marchandises : En cas d’avarie constatée sur des marchandises, le destinataire doit adresser une protestation écrite au transporteur immédiatement après la découverte de l’avarie, et au plus tard dans un délai de quatorze jours à compter de la date de réception des marchandises (Article 31, paragraphe 2).
- Retard de marchandises : Si les marchandises sont livrées en retard, la protestation doit être formulée par écrit dans un délai de vingt et un jours à compter de la date à laquelle les marchandises ont été mises à la disposition du destinataire (Article 31, paragraphe 3).
Là encore, le respect de ces délais est une condition de recevabilité de l’action en responsabilité contre le transporteur.
Forme et contenu de la protestation : la nécessité d’un écrit
La Convention de Montréal est claire : la protestation doit être faite par écrit (Article 31, paragraphe 4). Un simple signalement oral à un agent de la compagnie à l’aéroport n’est généralement pas suffisant pour préserver vos droits. Il est indispensable de laisser une trace écrite.
Plusieurs moyens sont possibles :
- Remplir un formulaire spécifique au comptoir de la compagnie (Property Irregularity Report – PIR pour les bagages, par exemple), en veillant à en conserver une copie datée et signée.
- Envoyer un courrier recommandé avec accusé de réception au service clientèle ou au siège social de la compagnie aérienne.
- Adresser un courriel avec accusé de réception ou via un formulaire de réclamation en ligne, en conservant une preuve de l’envoi et de la réception.
Le contenu de la protestation doit être suffisamment précis pour identifier le vol concerné (numéro de vol, date, trajet), le passager ou l’expéditeur, la nature du problème (avarie, retard, perte partielle), et décrire le dommage subi. Joindre des preuves (photos du bagage endommagé, étiquette bagage, billet d’avion ou lettre de transport aérien) est fortement recommandé.
Conséquences du non-respect des délais : irrecevabilité de l’action
Le non-respect des délais de protestation prévus par l’article 31 de la Convention de Montréal a une conséquence radicale : l’action en responsabilité contre le transporteur aérien devient irrecevable. Cela signifie que même si vous avez subi un préjudice réel et que la responsabilité de la compagnie pourrait être engagée, le tribunal ne pourra pas examiner votre demande sur le fond si vous n’avez pas protesté dans les temps et selon les formes requises. Il s’agit d’une fin de non-recevoir qui éteint le droit d’agir pour le dommage concerné (avarie ou retard).
La seule exception prévue par la Convention est le cas de fraude de la part du transporteur (Article 31, paragraphe 4), qui reste cependant difficile à prouver en pratique. Il est donc absolument fondamental d’agir très rapidement dès la constatation du problème.
Le délai de prescription de l’action en responsabilité
Une fois la protestation effectuée dans les délais (si elle est requise), une autre échéance, plus longue mais tout aussi impérative, entre en jeu : le délai de prescription de l’action en justice. Ce délai fixe la période maximale pendant laquelle vous pouvez saisir un tribunal pour faire valoir vos droits.
Le délai unique de deux ans prévu par les conventions internationales
Que ce soit sous l’empire de l’ancienne Convention de Varsovie ou de la Convention de Montréal qui s’applique aujourd’hui à la majorité des vols internationaux, le délai pour intenter une action en responsabilité contre le transporteur aérien est de deux ans (Article 35, paragraphe 1 de la Convention de Montréal). Ce délai est qualifié de délai de déchéance, ce qui a des implications importantes quant à sa suspension ou son interruption.
Ce délai de deux ans s’applique à toutes les actions en responsabilité fondées sur la Convention, quel que soit le type de dommage invoqué : retard, destruction, perte ou avarie de bagages ou de marchandises, et même les dommages corporels subis par un passager.
Point de départ du délai : arrivée à destination, arrêt du transport…
Le calcul de ce délai de deux ans commence à partir d’une date précise, déterminée par la Convention de Montréal (Article 35, paragraphe 1) :
- Soit à compter de l’arrivée à destination ;
- Soit à compter du jour où l’aéronef aurait dû arriver ;
- Soit à compter de l’arrêt du transport.
Le choix du point de départ dépendra des circonstances spécifiques du litige. Par exemple, pour un retard de vol, le point de départ sera généralement la date d’arrivée effective ou la date à laquelle l’avion aurait dû arriver. Pour une perte totale de bagage, ce sera souvent la date d’arrivée prévue du vol concerné.
Suspension et interruption de la prescription : règles applicables
La Convention de Montréal précise que le mode de calcul du délai de prescription, y compris les causes de suspension ou d’interruption, est déterminé par la loi du tribunal saisi (Article 35, paragraphe 2). C’est une différence notable avec les délais de protestation (article 31) qui sont uniformes.
En droit français, les causes de suspension (qui arrêtent temporairement le cours du délai sans effacer le temps déjà écoulé) et d’interruption (qui effacent le délai écoulé et font repartir un nouveau délai de même durée) sont prévues par le Code civil. Par exemple, une citation en justice, même devant un tribunal incompétent, ou un acte d’exécution forcée interrompt la prescription. Une mesure de médiation ou de conciliation peut la suspendre.
Cependant, la nature de « délai de déchéance » du délai de deux ans prévu par la Convention de Montréal a conduit la jurisprudence, notamment la Cour de cassation française, à considérer qu’il n’est pas susceptible de suspension ou d’interruption selon les règles classiques du droit commun, sauf exceptions très limitées admises par la loi du for (la loi du tribunal saisi). Il est donc extrêmement risqué de compter sur une éventuelle suspension ou interruption. La prudence commande de considérer ce délai de deux ans comme un délai butoir.
La déchéance : une sanction irrémédiable
Le fait que le délai de deux ans soit un délai de déchéance signifie que l’expiration de ce délai entraîne l’extinction définitive du droit d’agir en justice. Contrairement à certains délais de prescription qui peuvent être aménagés ou dont l’écoulement peut être paralysé, le délai de déchéance est beaucoup plus strict. Si l’action n’est pas introduite devant un tribunal compétent avant l’expiration des deux ans, le passager ou l’expéditeur perd définitivement son droit à indemnisation au titre de les règles de la Convention de Montréal. Le tribunal devra relever d’office cette déchéance.
Déterminer le tribunal compétent pour votre litige
Engager une action dans les délais ne suffit pas. Encore faut-il saisir le bon tribunal. La détermination de la juridiction compétente en matière de transport aérien international est également encadrée par des règles spécifiques, principalement issues de la Convention de Montréal, mais aussi complétées par le droit européen pour les litiges impliquant des consommateurs résidant dans l’Union Européenne.
Les options offertes par la Convention de Montréal (art. 33)
L’article 33 de la Convention de Montréal offre au demandeur (le passager, l’expéditeur ou leurs ayants droit) un choix entre plusieurs tribunaux potentiellement compétents. Cette règle vise à offrir une certaine flexibilité tout en assurant une prévisibilité pour les transporteurs. L’action en responsabilité doit être portée, au choix du demandeur, sur le territoire d’un des États parties à la Convention, devant l’un des tribunaux suivants:
Tribunal du domicile du transporteur
Il s’agit du lieu où la compagnie aérienne a son siège social statutaire, son administration centrale. Ce critère est généralement facile à déterminer en consultant les informations légales de la compagnie.
Tribunal du siège principal de son exploitation
Ce critère désigne le centre effectif des opérations commerciales de la compagnie aérienne. Il peut coïncider avec le domicile mais ce n’est pas toujours le cas, notamment pour les grandes compagnies ayant des activités mondiales.
Tribunal du lieu de l’établissement ayant conclu le contrat
Il s’agit du tribunal du lieu où se trouve l’agence de voyages, le bureau de la compagnie ou le site internet par l’intermédiaire duquel le contrat de transport (le billet d’avion ou la lettre de transport aérien) a été conclu. Ce critère peut être avantageux si vous avez acheté votre billet localement.
Tribunal du lieu de destination
C’est le lieu d’arrivée final prévu dans le contrat de transport. En cas de vol aller-retour, la destination finale est généralement considérée comme étant le point d’arrivée du vol retour, sauf si le litige concerne spécifiquement le vol aller. Pour les vols simples, c’est le point d’arrivée du trajet.
Le demandeur doit choisir l’une de ces quatre options. Il ne peut pas saisir un tribunal situé dans un autre pays, même si cela lui semblerait plus pratique, sauf dans le cas spécifique des dommages corporels.
Le cas particulier de la compétence pour les dommages corporels (résidence du passager)
La Convention de Montréal a introduit une cinquième option de compétence, spécifiquement pour les actions en responsabilité intentées suite à la mort ou à une lésion corporelle subie par un passager (Article 33, paragraphe 2). Dans ce cas précis, l’action peut également être intentée devant le tribunal du lieu de la résidence principale et permanente du passager au moment de l’accident.
Deux conditions cumulatives doivent cependant être remplies pour que cette option soit disponible:
- Le passager doit avoir sa résidence principale et permanente dans cet État partie au moment de l’accident.
- Le transporteur doit exploiter des services de transport aérien (directement ou via un accord commercial avec un autre transporteur) vers ou depuis cet État partie, ET y mener ses activités de transport aérien depuis des locaux (loués ou possédés par lui-même ou par un transporteur avec lequel il a un accord commercial).
Cette disposition offre une protection supplémentaire aux passagers victimes de dommages corporels, leur permettant souvent d’agir devant les tribunaux de leur propre pays de résidence, ce qui facilite grandement les démarches.
Les règles de compétence spécifiques du droit européen
Pour les litiges relevant du champ d’application de la Convention de Montréal mais impliquant également des éléments européens (par exemple, un passager consommateur résidant dans l’UE, un transporteur basé dans l’UE, un vol au départ ou à destination de l’UE), les règles de compétence peuvent être complétées par le droit de l’Union Européenne, notamment le Règlement (UE) n° 1215/2012, dit « Bruxelles I bis ».
Le Règlement Bruxelles I bis et les actions des consommateurs
Le Règlement Bruxelles I bis contient des règles protectrices pour les consommateurs. En matière contractuelle, il permet généralement au consommateur (une personne agissant dans un but étranger à son activité professionnelle) de poursuivre son cocontractant professionnel (ici, la compagnie aérienne) :
- Soit devant les tribunaux de l’État membre où le professionnel est domicilié ;
- Soit devant les tribunaux du lieu où le consommateur est domicilié.
Cette option, qui permet d’agir devant les tribunaux de son propre domicile, est souvent plus avantageuse pour le passager. Elle s’ajoute aux options prévues par la Convention de Montréal lorsque les conditions d’application du Règlement sont remplies (notamment, que la compagnie aérienne dirige ses activités vers l’État membre du domicile du consommateur).
Articulation entre les conventions internationales et le droit européen
La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a eu à se prononcer sur l’articulation entre les règles de compétence de la Convention de Montréal et celles du Règlement Bruxelles I bis. En substance, la CJUE considère que les règles de la Convention de Montréal ne sont pas exclusives. Un passager consommateur peut donc choisir d’invoquer soit les options de compétence de l’article 33 de la Convention de Montréal, soit la règle plus favorable du Règlement Bruxelles I bis lui permettant d’agir devant les tribunaux de son propre domicile, si les conditions sont réunies.
Ce choix stratégique dépendra de la situation : la localisation des différentes options de la Convention, la facilité d’accès à la justice dans le pays de résidence, la jurisprudence locale, etc.
L’assistance d’un avocat : une aide précieuse pour naviguer ces complexités
Comme nous venons de le voir, agir contre une compagnie aérienne implique de maîtriser des règles de procédure complexes et strictes, issues à la fois de conventions internationales et du droit européen. Les délais sont courts et les sanctions en cas d’erreur peuvent être définitives (irrecevabilité, déchéance). Le choix du tribunal compétent est également une décision stratégique qui peut influencer l’issue du litige.
Faire appel à l’aide d’un avocat pour agir présente plusieurs avantages :
Assurer le respect des délais et des formes
Un avocat s’assurera que les protestations initiales sont formulées correctement et dans les délais impartis (7, 14 ou 21 jours selon les cas). Il veillera surtout à ce que l’action en justice soit introduite avant l’expiration du délai de déchéance de deux ans, évitant ainsi la perte irrémédiable de vos droits.
Choisir la juridiction la plus appropriée
Face aux différentes options de compétence offertes par la Convention de Montréal et, le cas échéant, par le Règlement Bruxelles I bis, l’avocat analysera votre situation pour déterminer quel tribunal serait le plus avantageux pour votre dossier (proximité, jurisprudence connue, efficacité de la justice locale, etc.). Ce choix peut avoir un impact significatif sur la conduite et le résultat de la procédure.
Construire un dossier solide pour défendre vos droits
Au-delà des aspects procéduraux, l’avocat vous aidera à rassembler les preuves nécessaires (billets, étiquettes bagages, photos, factures, témoignages, expertises éventuelles), à chiffrer précisément votre préjudice (matériel, moral, corporel) et à développer l’argumentation juridique la plus pertinente pour établir la responsabilité de la compagnie aérienne et obtenir l’indemnisation à laquelle vous pouvez prétendre.
Naviguer les méandres juridiques du transport aérien peut s’avérer décourageant. Le respect des délais de protestation et du délai de prescription de deux ans est essentiel, tout comme le choix judicieux du tribunal compétent. Une erreur sur ces points procéduraux peut fermer définitivement la porte à toute indemnisation.
Si vous êtes confronté à un litige avec une compagnie aérienne suite à un incident de transport, n’hésitez pas à contacter notre cabinet pour discuter de vos options et envisager la meilleure stratégie pour défendre vos intérêts.
Sources
- Convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, faite à Montréal le 28 mai 1999 (Convention de Montréal)
- Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (refonte) (Règlement Bruxelles I bis)
- Code des transports, notamment les articles L6421-1 et suivants, R6421-7, R6422-2.
- Code civil (concernant les règles de suspension et d’interruption de la prescription, sous réserve de leur applicabilité au délai de déchéance de la Convention de Montréal).