La détention d’actions ou de parts sociales n’est pas toujours individuelle. Héritage, transmission de patrimoine ou acquisition commune peuvent conduire à des situations de propriété partagée, que ce soit sous le régime de l’indivision ou du démembrement de propriété. Gérer ces titres est déjà complexe, mais les vendre ou les apporter à une autre société soulève des questions juridiques et fiscales particulièrement pointues. Une opération mal préparée peut entraîner des blocages, des conflits entre les ayants droit ou des sanctions financières lourdes. Comprendre les règles qui encadrent ces actes de disposition est donc une étape incontournable pour sécuriser son patrimoine et ses projets. Pour une vue d’ensemble sur ce sujet, consultez notre guide complet sur la gestion et la transmission des actions en indivision ou démembrement, qui offre un aperçu essentiel avant d’entreprendre de tels actes.
L’apport d’actions en indivision ou démembrement
L’apport de titres à une société est une opération stratégique, souvent utilisée pour restructurer un patrimoine ou optimiser sa gestion. Lorsque les titres concernés sont détenus collectivement, des règles spécifiques s’appliquent pour protéger les droits de chaque partie. L’apport peut concerner des actions indivises, ou seulement la nue-propriété ou l’usufruit de celles-ci.
Apport d’actions indivises : conditions et sanctions
L’apport de titres détenus en indivision à une société est considéré comme un acte de disposition. En conséquence, la règle de principe est celle de l’unanimité. Tous les coïndivisaires doivent donner leur accord pour que l’opération soit valable. Cette exigence, posée par l’article 815-3 du Code civil, vise à protéger les droits de chacun sur le bien commun.
Il existe toutefois des exceptions. En cas de blocage, si le refus d’un des indivisaires met en péril l’intérêt commun, les autres peuvent demander une autorisation judiciaire pour passer outre. Cette démarche, encadrée par l’article 815-5 du Code civil, reste exceptionnelle et nécessite de démontrer au juge que l’opération est indispensable à la sauvegarde des intérêts de l’indivision.
Que se passe-t-il si l’un des indivisaires procède à l’apport sans l’accord des autres ? Contrairement à une idée répandue, l’acte n’est pas nul. La sanction est l’inopposabilité de l’apport aux autres indivisaires. Concrètement, pour eux, tout se passe comme si les titres étaient toujours dans l’indivision. Ils conservent leurs droits et peuvent les faire valoir à l’encontre de la société bénéficiaire de l’apport. En revanche, un point essentiel est à noter : cette irrégularité n’affecte pas la validité de la constitution de la société qui reçoit les titres. La société est valablement formée, mais elle devra composer avec les droits des indivisaires qui n’ont pas consenti à l’opération.
Apport isolé de nue-propriété ou d’usufruit
Le démembrement de propriété sépare le droit d’utiliser le bien et d’en percevoir les revenus (l’usufruit) du droit d’en disposer (la nue-propriété). L’usufruitier et le nu-propriétaire de titres sociaux sont libres de céder ou d’apporter isolément le droit qu’ils détiennent. Cette flexibilité ouvre des perspectives intéressantes en matière de gestion de patrimoine. Pour bien saisir les enjeux de cette dissociation, il est utile de connaître les droits et obligations des parties en présence d’un démembrement de propriété d’actions.
L’apport de la seule nue-propriété est une technique courante pour anticiper une transmission. Par exemple, des parents peuvent apporter la nue-propriété de titres à une société holding qu’ils contrôlent, puis donner les parts de cette holding à leurs enfants. Ce montage permet de préparer la transmission tout en conservant la gestion et les revenus des titres via l’usufruit.
Sur le plan fiscal, ces opérations isolées peuvent être avantageuses. L’article 150-0 B du Code général des impôts prévoit un sursis d’imposition pour la plus-value réalisée lors de l’apport de titres (y compris de droits démembrés) à une société soumise à l’impôt sur les sociétés. L’imposition n’est pas annulée, mais reportée à une date ultérieure, par exemple lors de la vente des titres reçus en échange. Si ces titres sont ensuite transmis par donation, la plus-value en sursis est définitivement purgée.
Apport conjoint et report du démembrement
Il est également possible pour l’usufruitier et le nu-propriétaire de procéder ensemble à l’apport de leurs droits respectifs à une société. L’objectif est souvent de reconstituer la pleine propriété des titres au sein de la structure d’accueil. La question se pose alors de savoir si le démembrement peut être directement reporté sur les titres reçus en rémunération de l’apport. Concrètement, l’usufruitier du bien apporté peut-il devenir usufruitier des titres nouveaux, et le nu-propriétaire en devenir le nu-propriétaire ?
Ce point fait l’objet de débats juridiques et fiscaux. Le droit des sociétés pose un principe clair : tout apport doit être rémunéré par l’attribution de la qualité d’associé, matérialisée par la détention de titres en pleine propriété. Or, la jurisprudence considère traditionnellement que seul le nu-propriétaire a la qualité d’associé. Attribuer des titres en usufruit à l’apporteur de l’usufruit reviendrait à le priver de la qualité d’associé, ce qui fragiliserait l’opération.
Par conséquent, un report direct du démembrement est juridiquement complexe. La solution la plus sûre consiste à rémunérer chaque apporteur (usufruitier et nu-propriétaire) par des titres en pleine propriété, proportionnellement à la valeur de leur droit respectif. Si les parties souhaitent ensuite reconstituer un démembrement sur les nouveaux titres, elles devront procéder à un échange ou une cession de droits entre elles. Cette étape supplémentaire n’est pas neutre et doit être analysée avec attention pour ses conséquences fiscales.
La cession de titres en indivision
La vente d’actions ou de parts sociales détenues en indivision est une opération qui expose à des risques significatifs si les règles ne sont pas scrupuleusement suivies. La protection des intérêts de chaque indivisaire est au cœur du dispositif légal.
L’exigence d’unanimité et ses exceptions
Comme pour l’apport, la cession de la pleine propriété des titres indivis est un acte de disposition qui requiert le consentement de tous les coïndivisaires. Un seul indivisaire ne peut décider de vendre la totalité des actions communes. Cette règle de l’unanimité est fondamentale pour la protection du droit de propriété de chacun. Pour approfondir les règles de gouvernance, il peut être pertinent de consulter notre article sur la gestion quotidienne et l’exercice des droits dans le cadre d’actions indivises.
En cas de mésentente, la loi prévoit des portes de sortie pour éviter la paralysie. Si un indivisaire refuse de consentir à la vente et que ce refus met en péril l’intérêt commun de l’indivision, les autres peuvent saisir le tribunal. Le juge pourra alors autoriser la cession, en considérant que l’intérêt collectif doit primer sur le blocage individuel. La mise en péril doit être sérieusement démontrée : il ne suffit pas que l’offre de vente soit simplement avantageuse.
La sanction de l’inopposabilité
Si une cession de titres indivis est réalisée sans l’accord unanime de tous les indivisaires, la sanction n’est pas la nullité de la vente entre le vendeur et l’acheteur. L’acte de cession est dit « inopposable » aux coïndivisaires qui n’y ont pas consenti. Cela signifie qu’à leur égard, la vente n’a aucun effet. Ils peuvent continuer à se considérer comme copropriétaires des titres et exercer les droits qui y sont attachés.
Cette inopposabilité a des conséquences pratiques majeures. Les coïndivisaires lésés peuvent revendiquer leur part des dividendes, participer aux assemblées générales et, à terme, lors du partage de l’indivision, réclamer la propriété des titres comme si la vente n’avait jamais eu lieu. Pour la société, cette situation crée une grande insécurité juridique, car elle ne sait pas qui sont ses véritables associés. Les décisions prises en assemblée avec le vote de l’acquéreur pourraient être contestées et potentiellement annulées.
Le droit de préemption des indivisaires
La situation est différente si un indivisaire ne souhaite pas vendre le bien indivis lui-même, mais sa propre quote-part dans l’indivision. Il est libre de le faire. Toutefois, pour éviter l’entrée d’un tiers non désiré dans l’indivision, la loi accorde un droit de préemption aux autres coïndivisaires.
L’article 815-14 du Code civil impose à l’indivisaire qui souhaite céder sa quote-part à une personne étrangère à l’indivision de notifier son projet aux autres par acte d’huissier. La notification doit préciser le prix, les conditions de la cession et l’identité de l’acquéreur pressenti. Les coïndivisaires disposent alors d’un délai d’un mois pour faire savoir s’ils souhaitent racheter la quote-part aux mêmes conditions. En cas de non-respect de cette procédure, la sanction est sévère : la nullité de la cession peut être demandée en justice. Ce mécanisme est une protection essentielle de la cohésion de l’indivision.
La cession d’actions démembrées
La vente d’actions dont la propriété est démembrée peut prendre plusieurs formes, avec des implications juridiques et fiscales distinctes. Le nu-propriétaire et l’usufruitier peuvent agir séparément ou conjointement, chaque scénario obéissant à ses propres règles.
Cession isolée de l’usufruit ou de la nue-propriété
Le nu-propriétaire et l’usufruitier sont chacun maîtres de leur droit. Le nu-propriétaire peut vendre sa nue-propriété, et l’usufruitier peut vendre son usufruit, sans avoir besoin du consentement de l’autre. L’acquéreur de la nue-propriété deviendra propriétaire des titres, mais devra respecter le droit de l’usufruitier jusqu’à son extinction. De même, l’acquéreur de l’usufruit percevra les dividendes mais devra rendre les titres au nu-propriétaire au terme de l’usufruit.
Cette liberté peut toutefois être encadrée. Des clauses dans les statuts de la société, comme une clause d’agrément, peuvent soumettre la cession à l’approbation des autres associés. De même, un pacte d’associés ou une convention de démembrement peut prévoir des clauses d’inaliénabilité temporaires ou un droit de préemption au profit de l’autre titulaire du droit démembré.
Fiscalement, la cession isolée d’un de ces droits est imposable. La plus-value est calculée sur la différence entre le prix de vente du droit et son prix d’acquisition. La détermination de ce prix d’acquisition peut être complexe, notamment lorsque le démembrement résulte d’une donation.
Cession conjointe : répartition du prix et plus-values
Lorsque le nu-propriétaire et l’usufruitier s’accordent pour vendre ensemble la pleine propriété des titres, une question centrale se pose : comment répartir le prix de vente ? La loi, à travers l’article 621 du Code civil, prévoit que le prix se répartit entre eux selon la valeur respective de leurs droits. Cette valeur peut être déterminée par accord entre les parties, souvent en se référant au barème fiscal de l’article 669 du Code général des impôts ou, de manière plus précise, par une évaluation économique qui tient compte de l’âge de l’usufruitier et du rendement du titre.
Les parties peuvent aussi convenir d’une autre solution : reporter le démembrement sur le prix de vente. Dans ce cas, l’usufruitier reçoit l’intégralité du prix, à charge pour lui de le restituer au nu-propriétaire à la fin de l’usufruit. On parle alors de quasi-usufruit. L’usufruitier peut utiliser les fonds, mais une dette de restitution pèse sur sa succession.
L’imposition des plus-values dépend directement de ce choix. Si le prix est réparti, chaque partie est imposée sur la plus-value qu’elle réalise sur son propre droit. Si un quasi-usufruit est mis en place, la jurisprudence fiscale considère que la plus-value de cession est intégralement imposable au nom du seul usufruitier.
Cas particulier du portefeuille d’actions démembrées
La gestion d’un portefeuille de valeurs mobilières démembré obéit à des règles spécifiques, issues d’une jurisprudence fondatrice de la Cour de cassation (arrêt Baylet, 1998). La Cour a qualifié le portefeuille d' »universalité de fait ». Cette qualification confère à l’usufruitier des pouvoirs de gestion étendus.
Contrairement à la règle générale, l’usufruitier d’un portefeuille peut vendre des titres sans l’accord du nu-propriétaire. Ce pouvoir est cependant assorti d’une condition stricte : il a l’obligation de réinvestir le produit de la vente dans le portefeuille. Il doit en conserver la substance, c’est-à-dire maintenir sa valeur globale, et ne peut s’approprier les fonds. Il ne s’agit pas d’un quasi-usufruit. En contrepartie de ces pouvoirs, l’usufruitier est tenu d’une obligation d’information régulière envers le nu-propriétaire sur la composition et l’évolution du portefeuille.
Fiscalement, en cas de cession et de remploi par l’usufruitier, c’est en principe le nu-propriétaire qui reste redevable de l’impôt sur la plus-value, bien qu’il n’ait ni décidé de l’opération ni touché de liquidités. Une option conventionnelle permet toutefois, pour les portefeuilles issus d’une succession, de mettre l’imposition à la charge de l’usufruitier. Cette situation illustre parfaitement la complexité et les subtilités de la gestion de titres démembrés.
Les opérations d’apport ou de cession d’actions en indivision ou en démembrement sont complexes et lourdes de conséquences. Chaque situation appelle une analyse sur mesure pour choisir la stratégie la plus adaptée et la plus sûre. Pour sécuriser vos opérations et bénéficier d’un accompagnement sur les aspects juridiques et fiscaux de ces montages, notre cabinet d’avocats expert en droit bancaire et financier se tient à votre disposition.
Sources
- Code civil (notamment les articles sur l’indivision, art. 815 et suivants, et sur l’usufruit, art. 578 et suivants)
- Code de commerce (notamment les articles sur les droits des associés et la cession d’actions)
- Code général des impôts (notamment les articles sur l’imposition des plus-values mobilières)