La détention d’actions au sein d’une société peut prendre des formes plus complexes que la simple propriété individuelle. L’indivision, qui survient fréquemment à la suite d’une succession ou d’une acquisition commune, en est une illustration parfaite. Dans cette configuration, plusieurs personnes détiennent ensemble les mêmes actions, sans que leurs droits respectifs soient matériellement divisés. Cette situation, bien distincte du démembrement de propriété, obéit à des règles spécifiques qui organisent les droits et les obligations de chaque propriétaire indivis, appelés coindivisaires. Comprendre ce régime est essentiel pour anticiper les blocages et préserver à la fois ses intérêts personnels et la bonne marche de la société. Pour une vision d’ensemble, notre guide sur la gestion et la transmission d’actions en propriété partagée offre un premier éclairage.
La qualité d’actionnaire des indivisaires
La question de savoir si chaque coindivisaire pouvait être considéré comme un actionnaire à part entière a longtemps fait débat. La jurisprudence considérait initialement que l’indivision formait un tout, et que le principe d’indivisibilité des actions empêchait de reconnaître la qualité d’associé à chaque personne. Cette vision posait un problème majeur : si les indivisaires ne sont pas des associés, et que l’indivision n’a pas la personnalité morale, qui détient réellement cette qualité ?
Historique et reconnaissance actuelle
Le droit a progressivement évolué pour s’adapter à la réalité de la situation. La Cour de cassation, dans une série de décisions initiées dès 1980, a finalement consacré une solution claire : chaque indivisaire a la qualité d’associé. Cette reconnaissance se fonde sur le fait que chaque coindivisaire est propriétaire d’une quote-part des titres, a vocation aux bénéfices et contribue aux pertes. Il réunit donc les éléments essentiels qui définissent l’associé. Attention toutefois, si la qualité d’actionnaire est individuelle, son exercice est encadré par les règles propres à l’indivision, ce qui crée une distinction fondamentale entre la titularité du droit et sa mise en œuvre.
Impact du pacs sur l’indivision d’actions
Une situation particulière a illustré les complexités de l’indivision. Avant la réforme de 2006, les biens acquis par des partenaires de PACS étaient présumés indivis. Ainsi, si un partenaire achetait des actions, même avec ses fonds personnels, son partenaire en devenait automatiquement copropriétaire indivis et, par conséquent, actionnaire. Cette situation entrait en contradiction avec le droit des sociétés, qui exige un apport pour acquérir la qualité d’associé. La loi a depuis modifié ce régime pour faire de la séparation de biens la règle par défaut. L’indivision ne s’applique plus qu’en cas d’impossibilité de prouver la propriété exclusive d’un bien. Le risque est donc atténué, mais pas totalement inexistant en cas de financement commun difficile à tracer.
L’exercice individuel des droits conférés
Bien que l’indivision impose une gestion souvent collective, la loi reconnaît à chaque coindivisaire la possibilité d’exercer certains droits de manière autonome. Cette reconnaissance de la qualité d’actionnaire emporte des conséquences directes sur les prérogatives de chacun, y compris sur les actes de disposition tels que la cession ou l’apport des actions indivises.
Droit de convocation aux assemblées
Chaque coindivisaire doit être personnellement convoqué à toutes les assemblées générales. L’article R. 225-68 du Code de commerce est formel sur ce point. Cette obligation est une conséquence directe de la reconnaissance de leur qualité d’associé. Le non-respect de cette règle est lourd de conséquences : il peut entraîner la nullité des délibérations prises lors de l’assemblée. Chaque indivisaire, même s’il ne détient qu’une fraction minime du capital, dispose donc d’un droit individuel d’agir en justice pour demander cette nullité. La convocation leur garantit également le droit d’assister aux assemblées, même s’ils ne voteront pas de manière individuelle, comme nous le verrons.
Droit de communication des documents sociaux
Pour que le droit de participer aux décisions collectives ait un sens, il faut pouvoir se prononcer en connaissance de cause. C’est pourquoi l’article L. 225-118 du Code de commerce étend explicitement le droit d’information à chaque copropriétaire d’actions indivises. Ce droit recouvre la communication des documents sociaux avant les assemblées (comptes annuels, rapports de gestion, etc.) mais aussi un droit d’information permanent sur certains documents. Si la société refuse de communiquer ces informations, l’indivisaire peut saisir le juge en référé pour obtenir une injonction de faire sous astreinte. Il s’agit d’une prérogative individuelle forte, visant à garantir la transparence de la gestion sociale à l’égard de tous les propriétaires du capital.
L’exercice collectif des droits et le rôle du mandataire
Si certains droits sont individuels, les prérogatives les plus importantes, celles qui engagent l’indivision, doivent être exercées de manière unifiée. Pour éviter que des voix discordantes au sein d’une même indivision ne paralysent le processus de décision, la loi impose la désignation d’un représentant commun.
Le droit de vote et la désignation d’un mandataire unique
Le principe est posé par l’article L. 225-110 du Code de commerce : les coindivisaires sont représentés aux assemblées par un mandataire unique. Ce mandataire peut être l’un des indivisaires ou un tiers. Sa désignation se fait à l’amiable entre les coindivisaires. En cas de désaccord, la situation n’est pas bloquée : l’indivisaire le plus diligent peut demander au président du tribunal de commerce de désigner un mandataire en justice. C’est ce mandataire, et lui seul, qui exercera le droit de vote attaché à l’ensemble des actions indivises. Son mandat est généralement limité aux actes d’administration, c’est-à-dire à la gestion courante. Pour les décisions plus graves, comme la vente des actions ou une augmentation des engagements, le consentement de tous les indivisaires reste nécessaire.
Expertise de gestion et droits pécuniaires
La demande d’une expertise de gestion, qui vise à faire examiner par un expert une ou plusieurs opérations de la société, a connu une évolution. Longtemps considérée comme une prérogative collective, la Cour de cassation a finalement admis qu’elle pouvait être demandée par un ou plusieurs actionnaires indivis, dès lors que l’ensemble des actions en indivision atteint le seuil de capital requis (5 % en principe). Cette solution protège les minoritaires au sein d’une indivision.
Concernant les droits financiers, comme les dividendes, le principe est simple. La société verse les sommes dues à l’indivision, considérée comme une entité unique pour le paiement. Conformément à l’article 815-10 du Code civil, ces revenus accroissent l’indivision. C’est ensuite aux coindivisaires de se répartir ces sommes entre eux, proportionnellement à leurs droits respectifs. Un indivisaire ne peut donc pas réclamer directement à la société sa part individuelle de dividendes.
Les conséquences sur le fonctionnement de la société
La présence d’actions indivises au capital n’est pas neutre pour la société. Pour le calcul du quorum et des majorités en assemblée, le bloc d’actions indivises est pris en compte comme un tout. L’indivision peut donc représenter un poids non négligeable dans les votes, capable de faire pencher la balance sur des résolutions importantes.
Cependant, cette situation peut aussi être une source d’instabilité. Un conflit entre les coindivisaires peut rendre la désignation d’un mandataire difficile, voire impossible à l’amiable, nécessitant une action en justice. Cette inertie peut paralyser l’exercice du droit de vote de ce bloc d’actions. Si l’indivision détient une minorité de blocage, une mésentente interne peut ainsi empêcher l’adoption de décisions stratégiques pour la société. Pour les dirigeants, il est donc important d’identifier ces situations et d’en comprendre les mécanismes pour anticiper d’éventuels blocages dans la gouvernance.
La gestion des actions en indivision soulève des questions complexes à l’intersection du droit des sociétés et du droit des successions. Une clause mal interprétée ou un droit mal exercé peuvent avoir des répercussions significatives. Pour sécuriser vos droits et assurer une gestion sereine de vos titres, l’analyse d’un professionnel est souvent indispensable. Pour une analyse approfondie de votre situation et un conseil adapté, notre cabinet d’avocats se tient à votre disposition.
Sources
- Code de commerce, notamment les articles L. 225-110, L. 225-118 et R. 225-68
- Code civil, notamment les articles 815 et suivants relatifs à l’indivision