Malgré la multiplication des moyens de paiement électroniques, le chèque conserve une place significative dans les transactions quotidiennes en France. Pourtant, son maniement, qui peut sembler simple, obéit à des règles juridiques précises dont la méconnaissance peut entraîner des difficultés, voire des litiges. Pour une compréhension plus large des règles encadrant l’utilisation quotidienne et les obligations bancaires, notamment sur la façon de payer et être payé par chèque, il est essentiel de maîtriser ces fondamentaux : comment émettre correctement un chèque et, surtout, maîtriser la notion indispensable de « provision ».
Cet article se propose de vous éclairer sur ces bases essentielles pour utiliser le chèque en toute sécurité. Nous aborderons les éléments constitutifs d’un chèque, les informations qu’il doit impérativement contenir, et nous nous attarderons sur ce qu’est la provision, condition sine qua non de la validité de votre paiement.
Qu’est-ce qu’un chèque et qui intervient ?
Au sens juridique, le chèque est un écrit par lequel une personne, appelée le tireur, donne l’ordre à un établissement spécifique, le tiré, de payer une somme d’argent déterminée à une autre personne, le bénéficiaire, ou à l’ordre de celle-ci. C’est donc un instrument qui met en relation trois acteurs principaux.
Le tireur, c’est vous lorsque vous émettez un chèque depuis votre compte bancaire. C’est vous qui donnez l’ordre de paiement.
Le tiré ne peut être qu’un établissement habilité à détenir des fonds et à gérer des comptes sur lesquels des chèques peuvent être tirés. En pratique, il s’agit presque toujours de votre banque (ou d’un organisme assimilé comme La Banque Postale ou le Trésor Public dans certains cas spécifiques). L’article L.131-4 du Code monétaire et financier liste précisément ces entités. La banque reçoit l’ordre de payer via le chèque que vous avez émis.
Enfin, le bénéficiaire est la personne ou l’entreprise à qui le paiement est destiné. Il peut s’agir d’un tiers (un commerçant, un artisan, un ami…) ou même du tireur lui-même (on parle alors de chèque « à l’ordre de moi-même », souvent utilisé pour retirer des espèces au guichet, bien que cette pratique se raréfie).
Remplir correctement un chèque : les mentions indispensables
Pour qu’un chèque soit considéré comme valable par la loi française, il doit comporter un certain nombre de mentions obligatoires. L’absence de l’une d’elles peut le priver de sa nature juridique de chèque, même s’il peut parfois être requalifié en un autre type d’écrit (comme une reconnaissance de dette, par exemple).
Les informations obligatoires pour qu’un chèque soit valable
Voici les éléments qui doivent impérativement figurer sur le titre, conformément aux articles L.131-2 et suivants du Code monétaire et financier :
- La dénomination « chèque » : Le mot « chèque » doit être inséré dans le texte même du titre, dans la langue employée pour sa rédaction. Cette mention explicite confirme la nature de l’instrument.
- L’ordre pur et simple de payer une somme déterminée : Le chèque est un mandat de payer sans condition. Il ne peut être assorti d’aucune clause suspensive ou résolutoire. La somme doit être clairement indiquée. L’usage veut qu’elle soit portée en chiffres et en toutes lettres. En cas de différence entre les deux, c’est la somme écrite en toutes lettres qui prévaut, comme le précise l’article L.131-10 du Code monétaire et financier. Si la somme est indiquée plusieurs fois en chiffres ou plusieurs fois en lettres avec des montants différents, c’est la somme la plus faible qui est retenue.
- Le nom du tiré : Il s’agit du nom de la banque (ou de l’établissement assimilé) qui doit payer. Sur les formules de chèques fournies par les banques, ce nom est pré-imprimé.
- L’indication du lieu où le paiement doit s’effectuer : Généralement, c’est l’adresse de l’agence bancaire où le compte du tireur est tenu. Ce lieu a son importance, notamment pour déterminer le tribunal compétent en cas de litige. Si aucun lieu n’est spécifié, la loi prévoit des règles supplétives : ce sera le lieu désigné à côté du nom du tiré, ou à défaut, le lieu du principal établissement du tiré (article L.131-3 du Code monétaire et financier).
- L’indication de la date et du lieu de création du chèque : La date est essentielle car elle marque le point de départ des délais de présentation au paiement et de prescription. C’est aussi à cette date (ou plus précisément, à la date d’émission effective, c’est-à-dire de remise au bénéficiaire) que la provision doit exister et que la capacité du tireur est appréciée. Un chèque non daté n’est pas valable. Attention aux chèques postdatés (sur lesquels on inscrit une date future) : cette pratique, bien que courante pour tenter de différer l’encaissement, est juridiquement inefficace et dangereuse. L’article L.131-31 du Code monétaire et financier stipule que le chèque est payable à vue. Un chèque postdaté peut donc être présenté à l’encaissement dès sa réception par le bénéficiaire, même si la date inscrite est ultérieure. Si la provision manque à ce moment-là, le tireur s’expose aux conséquences d’un chèque sans provision. Le lieu de création doit également être indiqué ; à défaut, le chèque est présumé créé au lieu désigné à côté du nom du tireur.
- La signature manuscrite du tireur : C’est l’élément qui matérialise l’ordre de paiement. Elle doit impérativement être manuscrite (l’article L.131-19 ne permettant pas l’usage de procédés non manuscrits pour la signature du tireur, contrairement à d’autres signatures sur les effets de commerce) et conforme au spécimen déposé à la banque lors de l’ouverture du compte. Une signature non conforme peut justifier un refus de paiement par la banque. Un chèque non signé n’a aucune valeur, même si le reste est écrit de la main du titulaire du compte.
Les conséquences d’une mention manquante
Comme évoqué, l’article L.131-3 du Code monétaire et financier est clair : l’absence d’une de ces mentions obligatoires (sauf pour le lieu de paiement et le lieu de création où la loi peut suppléer l’absence) fait perdre au titre sa qualification de chèque. Il ne sera pas nul en soi, mais ne pourra pas produire les effets spécifiques attachés au chèque (transfert de provision, recours cambiaires…). Il pourra éventuellement être considéré comme une simple reconnaissance de dette ou un commencement de preuve par écrit, selon sa rédaction.
Ce qu’il ne faut jamais écrire sur un chèque
Inversement, certaines mentions sont interdites sur un chèque car elles sont incompatibles avec sa nature d’instrument de paiement simple et immédiat. L’article L.131-5 du Code monétaire et financier précise par exemple que toute mention d’acceptation par le tiré (la banque) est réputée non écrite. Contrairement à la lettre de change, un chèque ne s’accepte pas.
De même, une stipulation d’intérêts insérée dans le chèque serait également réputée non écrite (article L.131-8). Le chèque constate une somme à payer, point final.
Enfin, toute condition affectant le paiement est prohibée (article L.131-31). Si vous écrivez « payable si… » ou « payable après le… », ces conditions seront ignorées. Le chèque reste payable immédiatement (« à vue »).
Il est important de noter que la présence d’une mention interdite n’annule pas le chèque lui-même. La loi considère simplement que cette mention n’existe pas.
La provision : le cœur indispensable du chèque
Abordons maintenant le point sans doute le plus essentiel, et souvent source de problèmes : la provision. Sans provision suffisante, l’émission d’un chèque peut entraîner des conséquences sérieuses, comme l’interdiction bancaire.
Qu’est-ce que la provision ?
La provision, c’est tout simplement la somme d’argent que le tireur (vous) doit avoir à disposition sur le compte bancaire auprès du tiré (votre banque) pour couvrir le montant du chèque émis. L’article L.131-4 du Code monétaire et financier exige que le tireur ait provision chez le tiré. C’est une obligation fondamentale. Imaginez le chèque comme une voiture : la provision en est le carburant indispensable pour qu’il puisse fonctionner et atteindre sa destination (le paiement).
Les qualités requises de la provision
Pour être valable, la provision ne doit pas seulement exister, elle doit aussi remplir trois conditions cumulatives au moment où le chèque est émis (c’est-à-dire remis au bénéficiaire) :
- Préalable : La provision doit exister au moment de l’émission du chèque. Il ne suffit pas de penser qu’elle arrivera plus tard sur le compte. La loi (article L.131-4) exige cette antériorité.
- Suffisante : Le montant disponible sur le compte doit être au moins égal au montant inscrit sur le chèque. Si la provision est inférieure, on parle de provision partielle (ce qui peut entraîner un rejet pour insuffisance).
- Disponible : C’est sans doute la qualité la plus technique. La somme doit être immédiatement utilisable par le tireur par le moyen du chèque. Cela implique plusieurs choses :
- La créance du tireur sur sa banque doit être certaine (pas une simple éventualité), liquide (montant connu et chiffré) et exigible (pas soumise à un terme ou une condition).
- Il faut qu’il existe un accord, exprès ou tacite, entre le tireur et sa banque l’autorisant à disposer de ces fonds par chèque. La simple remise d’un chéquier vaut généralement accord tacite pour les sommes créditées sur le compte.
- Qu’en est-il des découverts autorisés ou facilités de caisse ? Une ouverture de crédit confirmée et non épuisée constitue bien une provision disponible. Le banquier qui a accordé un découvert s’engage, dans la limite convenue, et ne peut refuser de payer les chèques émis dans ce cadre sans engager sa responsabilité (sauf révocation régulière du crédit, conformément à l’article L.313-12 du Code monétaire et financier). Une simple tolérance ponctuelle de découvert par la banque est plus ambiguë et ne garantit pas le paiement des chèques suivants.
L’irrévocabilité de la provision
Une fois le chèque émis (c’est-à-dire dès que vous vous en êtes dessaisi au profit du bénéficiaire), la provision correspondante lui est en quelque sorte « réservée ». C’est ce qu’on appelle le transfert de la propriété de la provision (article L.131-20 du Code monétaire et financier).
La conséquence majeure est l’irrévocabilité de la provision :
- Le tireur n’a plus le droit de disposer des fonds nécessaires au paiement du chèque émis. Retirer ces fonds (par un autre chèque, un retrait d’espèces, un virement…) après avoir émis le chèque constitue une faute, voire un délit pénal résiduel (article L.163-2 du Code monétaire et financier).
- Le tireur ne peut pas faire opposition au paiement du chèque pour tenter de le « bloquer », sauf dans des cas très précis et limitativement énumérés par la loi (perte, vol, utilisation frauduleuse, procédure collective du porteur – article L.131-35). Faire une opposition en dehors de ces cas est illégal et expose également à des sanctions.
Cette irrévocabilité vise à garantir au bénéficiaire qu’il sera payé si la provision existait bien au départ.
Qui doit prouver l’existence de la provision ?
La loi est claire sur ce point : c’est au tireur de prouver qu’il disposait de la provision nécessaire au moment de l’émission du chèque (article L.131-4, alinéa 3 du Code monétaire et financier). En cas de litige, si le tireur prétend que la provision existait mais que la banque a commis une erreur, c’est à lui d’apporter les éléments le démontrant.
Maîtriser ces règles de base concernant l’émission et la provision est la première étape pour utiliser le chèque de manière avisée et éviter les désagréments d’un rejet pour défaut de mention ou, plus grave, pour absence de provision. Pour approfondir les répercussions et les démarches spécifiques en cas de chèque sans provision et d’interdiction bancaire, consultez notre article dédié. Face à des problèmes plus complexes comme un chèque perdu, volé, falsifié ou impayé, des recours spécifiques sont également à connaître.
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Sources
- Code monétaire et financier (notamment Livre I, Titre III, Chapitre I)