a person sitting at a table with a laptop

Entente par objet ou par effet anticoncurrentiel : quelles différences ?

Table des matières

Le droit de la concurrence français, à l’instar de son homologue européen, repose sur des piliers fondamentaux visant à garantir un jeu concurrentiel sain et loyal sur les marchés. Parmi ces piliers, l’interdiction des ententes anticoncurrentielles, posée par l’article L. 420-1 du code de commerce, occupe une place centrale. Cette disposition prohibe les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions qui « ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ». Cette formulation, en apparence simple, recèle une distinction fondamentale : celle entre l’objet et l’effet anticoncurrentiel. Comprendre cette nuance n’est pas qu’une affaire de juristes ; elle a des implications très concrètes pour toute entreprise opérant en France, car elle détermine comment une pratique sera analysée par l’Autorité de la concurrence et, surtout, comment la preuve de son caractère illicite devra être rapportée. Pourquoi cette distinction est-elle si importante et quelles en sont les conséquences pratiques ? Cet article se propose de décrypter ces deux notions essentielles.

L’entente par objet anticoncurrentiel : la restriction par nature

La notion d’objet anticoncurrentiel désigne les accords ou pratiques qui, par leur nature même, sont considérés comme nuisibles au bon fonctionnement de la concurrence. On pourrait dire que l’atteinte à la concurrence est inscrite dans l’ADN même de l’accord. L’Autorité de la concurrence, s’inspirant largement de la jurisprudence européenne, considère que ces pratiques révèlent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il ne soit pas nécessaire d’en démontrer les effets concrets sur le marché. L’objectif poursuivi par les entreprises suffit à caractériser l’infraction.  

En quelque sorte, pour ces pratiques jugées les plus graves, le droit présume qu’elles restreignent la concurrence. La simple mise en œuvre de l’accord ou de la pratique suffit à établir la faute, simplifiant considérablement la tâche des autorités de poursuite. Vous vous demandez peut-être quels types d’accords tombent dans cette catégorie ? La jurisprudence, tant nationale qu’européenne, a identifié plusieurs « restrictions par objet ». Il s’agit principalement :  

  • Des accords horizontaux (entre concurrents) visant à fixer les prix : C’est sans doute l’exemple le plus classique et le plus sévèrement réprimé. Toute concertation entre concurrents sur les prix de vente, les marges, les remises ou les conditions tarifaires est prohibée par nature.  
  • De la répartition des marchés ou des clients : Les accords par lesquels des concurrents se partagent des territoires géographiques ou des segments de clientèle sont également considérés comme anticoncurrentiels par objet. Ils visent directement à éliminer la concurrence entre les participants. Pour une analyse plus détaillée de ces pratiques, consultez notre article sur les principaux types d’ententes interdites.  
  • Des limitations de production ou de vente : S’accorder pour réduire les quantités produites ou vendues afin de maintenir des prix artificiellement élevés est une restriction par objet.
  • Des boycotts collectifs : Organiser le refus concerté de contracter avec un acteur économique (fournisseur, client, concurrent) est typiquement une restriction par objet.  
  • Des échanges d’informations stratégiques dans le cadre de marchés publics : Communiquer avec un concurrent avant le dépôt des offres sur l’intention de soumissionner, les prix envisagés ou pour organiser des offres de couverture fausse la procédure d’appel d’offres et relève de l’objet anticoncurrentiel.  

Dans le cadre des relations verticales (entre fournisseurs et distributeurs), certaines pratiques sont aussi considérées comme des restrictions par objet :

  • L’imposition d’un prix de revente minimal (prix plancher) : Interdire à un distributeur de vendre en dessous d’un certain seuil de prix est une restriction par objet.  
  • Certaines restrictions territoriales absolues : Empêcher totalement un distributeur de vendre en dehors d’un territoire défini, notamment via des interdictions d’exportation ou de ventes passives (répondre à des demandes non sollicitées de clients hors territoire), peut être qualifié de restriction par objet.
  • L’interdiction générale et absolue de vendre en ligne : La jurisprudence a considéré qu’une interdiction totale faite aux distributeurs agréés de vendre les produits sur internet constituait une restriction par objet.  

Pour déterminer si un accord a un objet anticoncurrentiel, il ne suffit pas de lire la clause isolément. L’analyse doit prendre en compte la teneur de l’accord, les objectifs qu’il vise objectivement à atteindre (indépendamment des intentions subjectives des parties), et surtout le contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Il faut examiner le fonctionnement concret du marché concerné et le rôle réel de l’accord dans ce contexte.  

Il est important de noter que l’intention des parties de restreindre la concurrence n’est, en principe, pas un élément requis pour qualifier une entente par objet. Cependant, en pratique, la volonté d’adhérer à un accord ayant un objet anticoncurrentiel traduit souvent cette intention. Une nuance existe concernant la tentative : tenter, sans succès, de conclure un accord anticoncurrentiel n’est pas punissable en soi, faute d’accord. En revanche, un accord conclu dans le but de nuire à la concurrence, même s’il n’a pas encore produit tous ses effets, tombe bien sous le coup de l’interdiction en tant qu’entente par objet.  

La qualification d’entente par objet a une conséquence majeure en termes de preuve : l’Autorité de la concurrence n’a pas à démontrer les effets négatifs concrets de la pratique sur le marché (baisse de la diversité, hausse des prix, etc.). L’existence de l’accord et son caractère intrinsèquement restrictif suffisent.  

L’entente par effet anticoncurrentiel : la nécessité d’une analyse concrète

Que se passe-t-il si un accord ou une pratique concertée n’est pas considéré comme ayant un objet anticoncurrentiel par nature ? Est-il pour autant automatiquement licite ? Pas nécessairement. Il faut alors examiner ses effets concrets sur le marché. Une pratique sera condamnée si l’Autorité de la concurrence établit qu’elle a, ou est susceptible d’avoir, des effets restrictifs sensibles sur la concurrence.  

L’analyse par les effets requiert une démarche beaucoup plus approfondie que pour les restrictions par objet. Il ne suffit plus de constater la nature de l’accord ; il faut plonger dans la réalité économique du marché concerné. L’Autorité doit démontrer, preuves à l’appui, que la pratique affecte négativement le jeu concurrentiel. Cela peut se traduire par une hausse des prix pour les consommateurs, une réduction de la diversité ou de la qualité des produits et services, un ralentissement de l’innovation, ou encore une limitation de la production. L’analyse porte aussi bien sur les effets réels (déjà constatés) que sur les effets potentiels (ceux qui sont susceptibles de se produire avec une probabilité suffisante).  

Le critère essentiel : l’effet sensible et la règle « de minimis »

Une simple restriction théorique ne suffit pas. Pour justifier une intervention, l’effet anticoncurrentiel, réel ou potentiel, doit être sensible. Cette exigence permet aux autorités de concentrer leurs ressources sur les atteintes les plus significatives à la concurrence, en écartant les cas mineurs. Ce critère de sensibilité, inspiré du droit de l’Union européenne, est appliqué de longue date en France et a même été consacré par le législateur.  

L’article L. 464-6-1 du code de commerce offre ainsi à l’Autorité de la concurrence la possibilité de clore une procédure (règle dite « de minimis ») lorsque les parts de marché cumulées des entreprises participant à l’accord ne dépassent pas certains seuils :  

  • 10 % pour les accords entre entreprises concurrentes (accords horizontaux).
  • 15 % pour les accords entre entreprises non concurrentes (accords verticaux, par exemple entre un fournisseur et ses distributeurs).

Attention, il ne s’agit que d’une faculté pour l’Autorité, pas d’une obligation. Elle peut décider de poursuivre une affaire même si les seuils ne sont pas dépassés, notamment si les circonstances particulières le justifient.  

Surtout, cette règle de minimis comporte des exceptions importantes, listées à l’article L. 464-6-2 du code de commerce. Elle ne s’applique jamais aux restrictions considérées comme ayant un objet anticoncurrentiel. Par exemple, un accord de fixation de prix entre concurrents, même s’ils détiennent des parts de marché infimes, ne bénéficiera jamais de la règle de minimis. Sont également exclues les limitations de production ou de vente, la répartition des marchés ou des clients, et certaines restrictions dans les contrats de distribution sélective ou exclusive. De plus, une particularité française exclut du bénéfice de cette règle les accords relatifs aux marchés publics.  

L’application de la règle de minimis se fait au stade de l’analyse de l’infraction (la qualification), et non pas au moment de déterminer une éventuelle sanction. Si un accord bénéficie de la règle de minimis, il est considéré comme n’ayant pas d’effet sensible et donc comme licite au regard de l’article L. 420-1. Il ne s’agit pas d’une exemption qui viendrait « racheter » une pratique illicite par ses effets positifs.  

La nécessité d’une concurrence à affecter

Une dernière précision s’impose : pour qu’une pratique ait un effet anticoncurrentiel, encore faut-il qu’il existe une concurrence susceptible d’être affectée sur le marché pertinent. Si, pour des raisons structurelles ou réglementaires, la concurrence est inexistante ou très limitée sur un marché donné, un accord entre les acteurs présents pourrait ne pas être considéré comme ayant un effet restrictif au sens de l’article L. 420-1. Par exemple, la Cour de cassation a pu considérer que des pratiques tarifaires de médecins de secteur 1, dont les tarifs sont réglementés, échappaient à l’interdiction des ententes faute de concurrence à restreindre sur ce segment précis. De même, un accord entre le détenteur d’un droit de propriété intellectuelle exclusif et son licencié unique sur les conditions de vente du produit concerné a été jugé indifférent au regard du droit de la concurrence, car un seul opérateur était de toute façon habilité à offrir le produit.  

En résumé, la distinction entre objet et effet est déterminante. Si une pratique a un objet anticoncurrentiel, elle est présumée illicite et sa condamnation ne nécessite pas la preuve d’un impact concret sur le marché. Si elle n’a pas d’objet anticoncurrentiel, elle ne sera sanctionnée que si l’Autorité démontre qu’elle produit ou est susceptible de produire un effet négatif sensible sur la concurrence, en tenant compte du contexte spécifique du marché et des parts de marché des entreprises concernées. Cette analyse par les effets est plus complexe et dépend fortement des spécificités de chaque cas. Pour une vue d’ensemble des règles applicables aux ententes, n’hésitez pas à consulter notre article principal. Connaître la définition précise d’une entente est également un prérequis indispensable.

La qualification d’une pratique comme ayant un objet ou un effet anticoncurrentiel peut avoir des conséquences financières et réputationnelles importantes pour les entreprises impliquées. Une analyse juridique préalable de vos accords commerciaux et de vos pratiques est souvent recommandée pour évaluer les risques.

Pour une analyse personnalisée de votre situation et de vos pratiques commerciales au regard du droit de la concurrence, notre équipe se tient à votre disposition.

Sources

  • Code de commerce, notamment les articles L. 420-1, L. 464-6-1, L. 464-6-2.
  • Jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et des juridictions françaises (Cour de cassation, Cour d’appel de Paris).
  • Pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence.

Sources et contenu associé

Vous souhaitez échanger ?

Notre équipe est à votre disposition et s’engage à vous répondre sous 24 à 48 heures.

07 45 89 90 90

Vous êtes avocat ?

Consultez notre offre éditoriale dédiée.

Dossiers

> La pratique de la saisie immobilière> Les axes de défense en matière de saisie immobilière

Formations professionnelles

> Catalogue> Programme

Poursuivre la lecture

fr_FRFR