La défaillance d’une banque ou d’une compagnie d’assurance dans un autre pays de l’Union européenne peut sembler être un événement lointain. Pourtant, en raison de l’interconnexion des marchés financiers, ses conséquences peuvent se propager rapidement au-delà des frontières et affecter directement des entreprises, des créanciers et des assurés en France. Pour éviter le chaos juridique et économique qui résulterait de procédures d’insolvabilité multiples et contradictoires, l’Union européenne a mis en place un cadre spécifique fondé sur le principe d’universalité. Comprendre ce mécanisme est essentiel pour toute entreprise interagissant avec des partenaires financiers européens. Une approche globale des difficultés des entreprises réglementées est nécessaire pour en saisir tous les enjeux, notamment leur dimension européenne.
L’harmonisation européenne face aux crises financières transfrontalières
L’objectif du droit européen en la matière est clair : assurer une gestion unique, cohérente et prévisible des difficultés d’une entité financière opérant dans plusieurs États membres. Avant cette harmonisation, la faillite d’un groupe bancaire international pouvait déclencher l’ouverture de procédures de liquidation distinctes dans chaque pays où il possédait une succursale. Une telle situation entraînait une fragmentation des actifs, une inégalité de traitement entre les créanciers selon leur localisation et une incertitude juridique considérable, paralysant l’activité économique.
Pour contrer ce risque systémique, l’Union européenne a donc bâti un ensemble de règles visant à ce qu’une seule procédure principale, régie par une seule loi, produise ses effets sur l’ensemble du territoire de l’Union. Ce système repose sur deux piliers indissociables : le principe d’universalité et celui de la reconnaissance mutuelle des décisions. Il s’agit de garantir que les mesures prises par les autorités d’un État membre soient respectées et appliquées dans tous les autres, sans qu’il soit nécessaire d’engager des démarches locales complexes.
Le principe d’universalité et de reconnaissance mutuelle
Le cœur du dispositif européen est la règle selon laquelle les mesures d’assainissement ou de liquidation prises dans l’État membre d’origine de l’entité en difficulté, dit « État d’origine », sont reconnues de plein droit et déploient leurs effets sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne. Concrètement, il s’agit d’une procédure unique à l’échelle de l’Union, menée par les autorités de l’État où l’établissement a son siège social. Cette approche unifiée est transposée en droit français, notamment dans le Code monétaire et financier et le Code des assurances.
Ce principe vise à centraliser la gestion de la crise, à assurer un traitement équitable de tous les créanciers européens et à préserver au mieux la valeur des actifs de l’entreprise défaillante. La confiance dans ce mécanisme est fondamentale pour la stabilité des marchés financiers. Ces mécanismes, notamment les procédures de résolution, s’inscrivent directement dans ce cadre d’universalité et de reconnaissance. Pour approfondir ces aspects, vous pouvez consulter notre article sur le redressement et la résolution des établissements financiers par l’ACPR.
Champ d’application : établissements et mesures concernées
Le champ d’application de ce principe est large et couvre les principales entités du secteur financier. Sont principalement concernés les établissements de crédit (les banques), les entreprises d’investissement, mais aussi les entreprises d’assurance et de réassurance. La législation s’applique dès lors que l’entité a son siège social dans un État membre de l’Union européenne et des succursales dans un ou plusieurs autres États membres.
Les mesures visées par la reconnaissance mutuelle sont de deux ordres. D’une part, les mesures d’assainissement, qui ont pour but de préserver ou de rétablir la situation financière de l’entreprise pour éviter la faillite. En France, cela peut correspondre à une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, ou encore à certaines mesures conservatoires prises par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). D’autre part, les mesures de liquidation, qui interviennent lorsque le sauvetage n’est plus possible et visent à organiser la réalisation des actifs pour désintéresser les créanciers. La procédure de liquidation judiciaire française en est l’exemple type.
La portée de la reconnaissance mutuelle
La reconnaissance mutuelle signifie qu’une procédure ouverte dans un État membre est automatiquement reconnue et applicable dans les autres, sans qu’aucune formalité supplémentaire ne soit requise. Par exemple, si une banque espagnole ayant une succursale à Paris est placée en liquidation judiciaire par les autorités espagnoles, cette décision produit immédiatement ses effets en France. Le liquidateur espagnol est habilité à prendre le contrôle des actifs de la succursale parisienne.
Cette règle, consacrée par la directive 2001/24/CE et transposée à l’article L. 613-31-3 du Code monétaire et financier, implique que la loi de l’État d’origine (la lex concursus) régit en principe l’ensemble de la procédure : les conditions d’ouverture, les effets sur les contrats en cours, le classement des créanciers ou encore les pouvoirs des organes de la procédure. C’est une dérogation majeure au principe de territorialité des lois.
Les aménagements au principe d’universalité
Ce principe, bien que puissant, n’est pas absolu. Le législateur européen a prévu des exceptions et des tempéraments pour protéger certains droits et intérêts jugés légitimes, qui restent soumis à la loi locale (la lex rei sitae ou loi du lieu de situation du bien). Ces aménagements visent à ne pas perturber des pans entiers du droit national et à préserver la sécurité juridique de certaines transactions. Ils empêchent que la loi d’un autre État membre vienne bouleverser des règles fondamentales du droit français, par exemple en matière immobilière ou sociale.
Mise à l’écart de la loi de l’état d’origine
L’article L. 613-31-5 du Code monétaire et financier liste plusieurs cas où la loi de l’État d’origine est écartée au profit de la loi locale. Ces exceptions sont d’interprétation stricte.
Ainsi, les contrats de travail continuent d’être régis par la loi qui leur est normalement applicable. La loi française du travail s’appliquera donc aux salariés d’une succursale française d’une banque étrangère en faillite. De même, les contrats portant sur des biens immobiliers (location, vente) sont exclusivement soumis à la loi du pays où l’immeuble est situé. Il en va de même pour les droits sur les navires ou aéronefs inscrits sur un registre public, qui sont régis par la loi de l’État qui tient ce registre.
Une autre exception importante concerne les droits sur des instruments financiers inscrits sur un compte ou dans un système de dépôt. C’est la loi du pays où le compte est tenu qui s’applique, une règle indispensable à la sécurité des marchés financiers.
Protection des créanciers et des sûretés
Au-delà de l’application de la loi locale, certaines situations sont protégées pour ne pas porter atteinte aux droits acquis par les créanciers avant l’ouverture de la procédure. L’article L. 613-31-6 du Code monétaire et financier prévoit que la procédure européenne n’affecte pas certains droits spécifiques.
C’est notamment le cas des droits réels, comme une hypothèque ou un gage, constitués sur un bien situé en France. Le créancier titulaire d’une telle sûreté pourra l’exercer conformément au droit français, sans que la loi de l’État d’origine puisse y faire obstacle. De la même manière, le droit du vendeur qui a stipulé une clause de réserve de propriété sur un bien livré en France est protégé. Enfin, le droit d’un créancier d’invoquer la compensation de sa créance avec celle de l’établissement en difficulté est préservé si la loi applicable à sa créance le permet. Cette dernière disposition est fondamentale, car le droit de compensation est particulièrement protégé, notamment pour garantir la sécurité des systèmes de paiement et de règlement-livraison.
Le rôle des organes de la procédure dans un contexte européen
Pour que le principe d’universalité soit effectif, il est impératif que les organes désignés dans l’État d’origine, comme l’administrateur judiciaire ou le liquidateur, puissent agir dans les autres États membres. Le droit européen et sa transposition en France leur confèrent de larges pouvoirs.
Un administrateur ou un liquidateur nommé par une autorité d’un autre État membre est habilité à exercer en France tous les pouvoirs que lui confère la loi de son pays. Il peut, par exemple, prendre possession des biens de la succursale, gérer ses activités, résilier des contrats ou licencier des salariés. Il peut également se faire représenter ou assister par des professionnels locaux pour faciliter ses démarches.
Toutefois, l’exercice de ces pouvoirs n’est pas sans limites. L’article L. 613-31-9 du Code monétaire et financier précise que l’organe étranger doit respecter la loi française pour certaines modalités pratiques, comme les procédures de réalisation des actifs (la manière de vendre les biens) ou les règles d’information et de consultation des salariés. De plus, ses pouvoirs ne lui permettent pas de recourir à des mesures d’exécution forcée (comme une saisie par huissier) ni de trancher un litige, qui restent de la compétence des juridictions françaises.
Les spécificités pour les entreprises d’assurance européennes
Le secteur de l’assurance bénéficie d’un régime très similaire à celui des établissements de crédit, également fondé sur les principes d’universalité et de reconnaissance mutuelle. Les règles, transposées aux articles L. 326-20 et suivants du Code des assurances, suivent la même logique : une procédure d’assainissement ou de liquidation ouverte dans l’État membre du siège de l’assureur produit ses effets dans toute l’Union.
Les mesures concernées sont, là encore, les mesures d’assainissement (visant à redresser la compagnie) et les procédures de liquidation. La reconnaissance est automatique et de plein droit. Les exceptions prévues sont également analogues à celles existant pour le secteur bancaire. La loi française continuera de s’appliquer aux contrats de travail des salariés en France, aux droits sur les biens immobiliers situés sur le territoire national, ainsi qu’aux droits réels des créanciers sur ces biens. Cette cohérence entre les secteurs bancaire et de l’assurance assure une prévisibilité et une sécurité juridique accrues pour tous les acteurs économiques.
Les procédures collectives transfrontalières impliquant des entités réglementées sont complexes et soulèvent des questions juridiques délicates. L’assistance d’un avocat est indispensable pour naviguer dans ce cadre et défendre efficacement vos droits. Notre cabinet dispose de l’expertise nécessaire pour vous accompagner. Contactez-nous pour une analyse de votre situation.
Sources
- Code monétaire et financier, notamment les articles L. 613-31-1 et suivants.
- Code des assurances, notamment les articles L. 326-20 et suivants.
- Directive 2001/24/CE du 4 avril 2001 concernant l’assainissement et la liquidation des établissements de crédit.
- Directive 2014/59/UE du 15 mai 2014 établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement (BRRD).