Un avocat français et son client examinent les documents de distribution des fonds après une vente forcée de navire ou aéronef.

Distribution et répartition des deniers après saisie de navires et aéronefs : régimes dérogatoires et ordre des créanciers

Table des matières

La vente forcée d’un navire, d’un bateau ou d’un aéronef à la suite d’une saisie est une procédure dont le déroulement et la complexité sont souvent sous-estimés. Une fois l’adjudication prononcée et le prix payé, s’ouvre une phase tout aussi technique : celle de la distribution des deniers entre les différents créanciers. Loin de suivre le régime général, cette répartition est gouvernée par des règles dérogatoires prévues par le Code des transports, qui organisent un ordre de paiement spécifique et une procédure orchestrée par le Juge de l’exécution. Face à la technicité de ces régimes spéciaux, l’assistance d’un avocat expert en saisies complexes est souvent indispensable pour sécuriser les droits des créanciers ou du débiteur.

Le cadre légal des régimes spécifiques : une dérogation au droit commun

La procédure de distribution des deniers issue d’une saisie mobilière est en principe régie par le Code des procédures civiles d’exécution. Cependant, la matière des transports bénéficie d’un statut juridique propre qui prime sur le droit commun. Avant d’analyser les régimes spécifiques aux navires et aéronefs, il est essentiel de comprendre comment ils dérogent aux procédures générales de distribution des deniers, qui organisent la répartition des fonds dans la plupart des situations.

Les dispositions spécifiques au Code des transports

La saisie et la vente des navires, des bateaux de navigation intérieure et des aéronefs sont encadrées par des textes spéciaux, aujourd’hui consolidés par une codification progressive. Chaque catégorie de bien dispose de son propre régime procédural pour la distribution du prix de vente :

  • Pour les navires, les articles R. 5114-35 à R. 5114-46 du Code des transports définissent la procédure de paiement et de répartition des fonds.
  • Pour les bateaux de navigation intérieure, ce sont les articles R. 4123-14 à R. 4123-24 du même code qui s’appliquent, avec des règles très similaires à celles des navires, adaptées au domaine public fluvial.
  • Pour les aéronefs, le régime est fixé par les articles R. 6123-1 à R. 6123-17, issus d’une codification plus récente, compte tenu du travail législatif mené.

Ces dispositions désignent le Juge de l’exécution (JEX) comme l’autorité judiciaire compétente pour superviser l’ensemble de la procédure de distribution.

Portée du principe ‘specialia generalibus derogant’

En droit, l’adage latin specialia generalibus derogant signifie que les règles spéciales dérogent aux règles générales. Ce principe trouve une application directe en matière de saisie de navires, de bateaux et d’aéronefs. Les dispositions du Code des transports, conçues comme une norme spéciale pour répondre aux spécificités du monde maritime et aérien (internationalité, normes de l’Union Européenne, existence de sûretés particulières comme les hypothèques maritimes), prévalent sur le régime de la saisie-vente mobilière de droit commun. Cette distinction est fondamentale : ignorer ces règles spécifiques expose les créanciers, le débiteur ou même l’adjudicataire à des erreurs de procédure civile lourdes de conséquences.

Identification et déclaration des créanciers inscrits : une étape cruciale

La première étape de la distribution consiste à identifier précisément les créanciers qui pourront prétendre à une part du prix de vente. Le Code des transports met en place une procédure rigoureuse pour s’assurer que tous les créanciers titulaires d’une sûreté publiée (hypothèque, privilège) soient informés et puissent faire valoir leurs droits. L’identification des créanciers inscrits est une conséquence directe de l’acte de saisie initial, qui fait souvent suite à un commandement de payer resté infructueux, et de la procédure de saisie de navire elle-même, qui impose des formalités de publicité spécifiques pour protéger les droits de chacun.

Demande de déclaration de créances par le Juge de l’exécution

Lorsque plusieurs créanciers se présentent, la partie poursuivante doit saisir le Juge de l’exécution pour organiser une distribution amiable du prix. Pour les navires et chaque bateau de navigation intérieure, le JEX notifie alors une demande de déclaration de créances aux créanciers inscrits et aux créanciers privilégiés connus. Ces derniers disposent d’un délai de quinze jours pour produire, sur la base de leur titre, un décompte détaillé de leur créance, par l’intermédiaire de leur avocat. Le respect de ce délai est impératif. En cas de défaut de déclaration dans les temps, le créancier est déchu du bénéfice de sa sûreté pour la distribution en cours. Il ne perd pas sa créance, mais il perd son rang de priorité et ne pourra prétendre qu’à un éventuel solde après le paiement de tous les autres créanciers.

Spécificités pour la vente d’aéronefs

La procédure applicable aux aéronefs présente quelques particularités. L’adjudicataire (l’acheteur) a l’obligation de verser le prix de vente à la Caisse des dépôts et consignations dans les trois jours suivant l’adjudication, sous peine de voir cette opération annulée et les enchères réitérées. Ensuite, c’est à lui de prendre l’initiative : dans les cinq jours, il doit déposer une requête auprès du JEX pour que celui-ci convoque tous les créanciers à une audience. L’objectif est de parvenir à un accord amiable sur la répartition du prix. Cette convocation fait l’objet d’une publicité large (affichage au tribunal, publication dans un journal d’annonces légales comme le Journal Officiel et au BODACC) pour garantir que tous les créanciers potentiels en soient informés.

Rôle central du Juge de l’exécution dans le projet de distribution

Le Juge de l’exécution est la clé de voûte de la procédure judiciaire dérogatoire de distribution. Il n’agit pas comme un simple arbitre mais comme le véritable architecte de la répartition des fonds. Le rôle central du Juge de l’exécution dans ces régimes spéciaux trouve un parallèle, bien que différent, dans son rôle dans la distribution du prix en saisie immobilière, qui constitue le droit commun en matière de vente forcée d’actifs.

Élaboration du projet de distribution par ordonnance

Pour les navires et bateaux, après avoir reçu les déclarations de créances, le JEX élabore lui-même un projet de distribution. Ce projet est formalisé dans une ordonnance dont la signification est cruciale et qui est notifiée au débiteur ainsi qu’à chaque créancier concerné. La notification doit contenir des mentions obligatoires, à peine de nullité. Elle doit notamment indiquer que les parties disposent d’un délai de quinze jours à compter de sa réception pour former une contestation motivée par acte d’avocat. Elle précise également qu’en l’absence de contestation dans ce délai, le projet sera considéré comme accepté par tous.

Apposition de la formule exécutoire : finalisation du projet

Si aucune contestation n’est soulevée dans le délai de quinze jours, le projet de distribution acquiert un caractère définitif. La partie la plus diligente (généralement le créancier poursuivant) peut alors demander au greffe du tribunal compétent d’apposer la formule exécutoire sur l’ordonnance. Cet acte confère au projet de distribution la force d’un jugement et permet de procéder au paiement effectif des créanciers.

Procédures de contestation et voies de recours : les spécificités d’appel

Le projet de distribution élaboré par le Juge de l’exécution n’est pas intangible. Le Code des transports organise des voies de recours pour les parties qui s’estimeraient lésées par la répartition proposée. Ces procédures présentent des spécificités notables par rapport au droit commun, notamment en matière d’appel. Les spécificités de l’appel suspensif dans le Code des transports contrastent avec les voies de recours en saisie immobilière, où les conditions et effets peuvent différer.

La contestation du projet de distribution

Toute partie (débiteur ou créancier) qui conteste le projet de distribution notifié par le JEX doit le faire dans un délai strict de quinze jours. La contestation doit être motivée, accompagnée de toutes les pièces justificatives, et déposée au greffe du JEX par l’intermédiaire d’un avocat. Si une contestation est formée, le juge convoque alors toutes les parties à une audience pour débattre des points de désaccord et statuer par un jugement, après un procès-verbal de non-conciliation.

L’appel et son effet suspensif pour navires et bateaux

Une particularité remarquable des régimes applicables aux navires et bateaux de navigation intérieure réside dans l’effet de l’appel. L’article R. 5114-44 du Code des transports (et son équivalent pour chaque bateau) précise que l’appel contre le jugement qui établit l’état des répartitions a un effet suspensif. Concrètement, cela signifie que la procédure de paiement des créanciers est entièrement bloquée jusqu’à ce que la cour d’appel ait rendu sa décision. Cette disposition offre une protection importante, en empêchant une distribution des fonds qui pourrait s’avérer difficile, voire impossible, à annuler si le jugement de première instance était finalement réformé.

Gestion des contestations de créances fiscales

La situation se complexifie lorsqu’une créance fiscale est contestée. La jurisprudence a clarifié la répartition des compétences. Si la contestation porte sur la régularité de la procédure de recouvrement administrative, le Juge de l’exécution reste compétent. En revanche, si la contestation porte sur l’existence même de la dette fiscale ou sur son montant (l’assiette de l’impôt), seul le juge administratif est compétent. Dans ce cas, le JEX doit surseoir à statuer sur la part du prix correspondant à cette créance et renvoyer les parties devant la juridiction administrative pour que l’autorité administrative indépendante tranche cette question préjudicielle relevant de sa compétence exclusive. Cette dualité de juridictions est une caractéristique du contentieux public. L’entreprise débitrice doit alors engager une procédure administrative distincte.

Ordre de collocation et paiement des fonds : la hiérarchie des créanciers

La collocation des créances est l’opération qui consiste à classer les créanciers par ordre de priorité pour le paiement. Dans les régimes dérogatoires du droit des transports, cet ordre est strictement défini et fait la part belle à des créances spécifiques, les privilèges maritimes ou aéronautiques, qui priment sur les sûretés plus classiques comme les hypothèques. La hiérarchie des créanciers, avec ses privilèges et hypothèques spécifiques, s’articule en opposition au droit commun des sûretés mobilières qui régit la plupart des autres biens.

La distinction entre créanciers : privilèges et hypothèques

L’ordre de distribution des deniers est le suivant :

  1. Les créanciers superprivilégiés : Il s’agit principalement des frais de justice engagés pour parvenir à la vente, à la distribution du prix et au plan de répartition.

  2. Les créanciers bénéficiant de privilèges maritimes ou aéronautiques : Ces privilèges, listés par la loi, garantissent des créances jugées essentielles à l’expédition maritime ou aérienne (salaires de l’équipe et de l’équipage, frais de sauvetage liés au dernier voyage, taxes portuaires, etc.). Ils priment sur toutes les autres sûretés, y compris les hypothèques, même si celles-ci ont été inscrites antérieurement.

  3. Les créanciers hypothécaires : Ils sont payés après les créanciers privilégiés, dans l’ordre de leur inscription.

  4. Les créanciers chirographaires : Ce sont les créanciers ne disposant d’aucune sûreté particulière. Ils ne sont payés que s’il reste un solde après le désintéressement de tous les créanciers de rang supérieur. En cas de solde insuffisant, ils sont payés au marc le franc, c’est-à-dire proportionnellement au montant de leur créance.

Processus de paiement par la Caisse des dépôts et consignations

Une fois l’état de répartition devenu définitif et exécutoire (soit par absence de contestation, soit par un jugement passé en force de chose jugée), une copie de la décision est notifiée à la Caisse des dépôts et consignations, souvent par l’intermédiaire d’un huissier de justice. Celle-ci dispose alors d’un délai d’un mois pour procéder au paiement effectif de chaque créancier colloqué, ainsi que du débiteur pour le reliquat éventuel.

La purge des hypothèques et privilèges après distribution

L’un des objectifs majeurs de la vente forcée est de transmettre à l’adjudicataire un bien libre de toute charge. Le mécanisme de la purge des sûretés, qui intervient après le paiement intégral du prix, garantit ce résultat. La procédure de purge prend tout son sens lorsqu’on la met en relation avec le régime spécifique des hypothèques maritimes, dont la radiation est l’objectif final de l’opération pour l’adjudicataire.

Rôle de l’adjudicataire et du JEX dans la purge des sûretés

Une fois le prix de vente intégralement versé, l’adjudicataire peut adresser une requête au Juge de l’exécution. Son objectif est d’obtenir une décision constatant que le paiement du prix a « purgé » le navire, le bateau ou l’aéronef de toutes les hypothèques et privilèges qui le grevaient du chef de l’ancien propriétaire. Le JEX rend alors une ordonnance qui non seulement constate cette purge mais ordonne également la radiation de toutes les inscriptions correspondantes auprès des registres compétents (registre d’immatriculation du bateau ou de l’aéronef, service des douanes pour le pavillon).

Conséquences de la purge pour les créanciers et le débiteur

La purge a un effet radical : elle éteint toutes les sûretés réelles. Les créanciers inscrits qui n’ont pas été intégralement payés lors de la distribution perdent leur droit de suite sur le bien. Leur créance subsiste, mais elle n’est plus garantie par le navire ou l’aéronef ; elle devient une simple créance chirographaire contre le débiteur, qui pourra être une entreprise visée par une procédure collective. Pour ce dernier, la conséquence est également importante : il est libéré de ses obligations à hauteur des sommes qui ont été distribuées aux créanciers. Ce mécanisme, similaire à celui observé dans les plans de cession d’entreprise, assure la sécurité juridique de la transaction et la valeur de l’actif pour le repreneur, qui acquiert ainsi un engin libre de toute dette antérieure.

La distribution du prix de vente d’un navire, d’un bateau ou d’un aéronef est une procédure hautement technique, jalonnée de délais stricts et de règles spécifiques qui dérogent au droit commun. La complexité de ces régimes dérogatoires et l’importance des enjeux financiers imposent l’assistance d’un avocat expert en saisies complexes pour défendre efficacement les intérêts des créanciers ou du débiteur. Notre cabinet se tient à votre disposition pour analyser votre situation et vous accompagner dans ces procédures.

Sources

  • Code des transports, notamment les articles relatifs à la saisie-exécution comme l’article R5114-20, et ceux sur la distribution (articles R. 5114-35 et suivants, issus notamment du décret d’octobre 1967), R. 4123-14 et suivants (pour chaque bateau de navigation intérieure), et R. 6123-1 et suivants.
  • Code des procédures civiles d’exécution.

Vous souhaitez échanger ?

Notre équipe est à votre disposition et s’engage à vous répondre sous 24 à 48 heures.

07 45 89 90 90

Vous êtes avocat ?

Consultez notre offre éditoriale dédiée.

Dossiers

> La pratique de la saisie immobilière> Les axes de défense en matière de saisie immobilière

Formations professionnelles

> Catalogue> Programme

Poursuivre la lecture

fr_FRFR