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Faillite transfrontalière en Europe : comment ça marche ?

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L’Union européenne a créé un marché unique où les entreprises peuvent facilement opérer dans plusieurs pays. Mais cette liberté économique soulève une question épineuse : que se passe-t-il quand une entreprise active dans plusieurs États membres rencontre des difficultés financières sérieuses ou fait faillite ? Sans règles communes, ce serait rapidement le chaos, avec des procédures concurrentes, des décisions contradictoires et une grande insécurité pour tout le monde. C’est pour éviter cela que l’UE a mis en place un cadre spécifique pour gérer ces situations : les Règlements européens sur les procédures d’insolvabilité (le plus récent étant le Règlement (UE) 2015/848). Cet article vous présente les grands principes de ce système européen.

Pourquoi des règles européennes spécifiques ?

Avant ces règlements, chaque pays appliquait ses propres règles nationales, même pour les faillites internationales. Cela entraînait plusieurs problèmes :

  • Multiplication des procédures : Une même entreprise pouvait faire l’objet de procédures de faillite distinctes et parallèles dans chaque pays où elle avait des activités ou des biens, avec des décisions parfois incompatibles.
  • Manque de coordination : Les administrateurs ou liquidateurs nommés dans un pays avaient du mal à agir dans un autre pays pour récupérer des actifs ou gérer la situation globalement.
  • Incertitude pour les créanciers : Il était difficile pour un créancier de savoir où et comment déclarer sa créance, et quel sort lui serait réservé.
  • Risque de « forum shopping » : Certaines entreprises pouvaient être tentées de déplacer artificiellement leur siège ou leurs actifs vers le pays dont la loi sur la faillite leur semblait la plus favorable, au détriment de leurs créanciers.

L’objectif principal des règlements européens est donc d’établir un système coordonné et prévisible pour traiter les faillites ayant une dimension transfrontalière au sein de l’UE. Il ne s’agit pas d’unifier les lois nationales sur la faillite (qui restent très diverses), mais de déterminer clairement :

  • Quel tribunal est compétent pour ouvrir la procédure principale.
  • Comment les décisions prises dans un État membre sont reconnues et produisent leurs effets dans les autres.
  • Quelle loi s’applique aux différentes questions soulevées par la procédure.

Quelles entreprises et quelles procédures sont concernées ?

Le système européen ne s’applique pas à toutes les entreprises ni à toutes les situations de difficulté. Plusieurs conditions doivent être réunies.

Le critère géographique essentiel : le Centre des Intérêts Principaux (COMI) dans l’UE

Pour qu’une procédure d’insolvabilité relève du cadre européen, le « Centre des Intérêts Principaux » (ou COMI) de l’entreprise doit être situé dans un État membre de l’Union européenne (à l’exception du Danemark, qui ne participe pas à ce système).

Le COMI est défini par le Règlement 2015/848 (article 3) comme le lieu où le débiteur gère habituellement ses intérêts et qui est vérifiable par des tiers. C’est une notion clé, qui vise à identifier le véritable centre économique et de gestion de l’entreprise, là où ses principaux partenaires (clients, fournisseurs, banquiers) s’attendent à ce qu’elle soit gérée.

Pour simplifier les choses, le règlement établit des présomptions (qui peuvent être renversées si la réalité est différente) :

  • Pour une société : Le COMI est présumé être le lieu de son siège statutaire. Si ce siège est purement administratif (« boîte aux lettres ») et que la direction effective et l’activité principale se déroulent ailleurs, la présomption peut être écartée au profit du lieu du siège réel, à condition que cela soit objectivement démontrable et reconnaissable par les tiers. La jurisprudence européenne (Interedil) insiste sur l’importance du lieu de l’administration centrale effective.
  • Pour une personne physique exerçant une activité indépendante (commerçant, artisan, profession libérale) : Le COMI est présumé être son lieu d’activité principal.
  • Pour une autre personne physique (un particulier) : Le COMI est présumé être le lieu de sa résidence habituelle.

La localisation du COMI est déterminante car c’est elle qui fonde la compétence pour ouvrir la procédure principale.

Les types de procédures couvertes

Le cadre européen s’applique aux procédures collectives publiques fondées sur l’insolvabilité (ou un risque d’insolvabilité) visant au redressement, à l’ajustement de dettes, à la réorganisation ou à la liquidation de l’entreprise.

L’Annexe A du Règlement 2015/848 liste précisément les procédures nationales de chaque État membre qui entrent dans ce champ. Pour la France, il s’agit de :

  • La Sauvegarde
  • La Sauvegarde Accélérée
  • La Sauvegarde Financière Accélérée
  • Le Redressement Judiciaire
  • La Liquidation Judiciaire

Sont exclues du système européen les procédures qui ne remplissent pas ces critères, notamment :

  • Les procédures confidentielles (comme le mandat ad hoc ou la conciliation française, sauf si elle est homologuée et publiée).
  • Certaines procédures spécifiques qui ne figurent pas dans l’Annexe A (par exemple, la procédure de traitement du surendettement des particuliers en France).

Les débiteurs exclus

Certains secteurs d’activité font l’objet de règles européennes spécifiques et sont donc exclus du champ d’application général des Règlements « Insolvabilité ». C’est le cas principalement :

  • Des entreprises d’assurance.
  • Des établissements de crédit (banques).
  • De certaines entreprises d’investissement et des organismes de placement collectif.

Ces entités sont soumises à des Directives européennes dédiées qui organisent leur assainissement ou leur liquidation.

Les grands principes du système européen

Le fonctionnement du cadre européen repose sur quelques piliers essentiels.

La procédure « principale » : une compétence unique et universelle

Lorsqu’une entreprise a son COMI dans un État membre, les tribunaux de cet État sont seuls compétents pour ouvrir la procédure d’insolvabilité dite « principale ». Cette procédure principale a une portée universelle : elle vise, en théorie, l’ensemble des biens et actifs du débiteur, où qu’ils se trouvent dans l’Union européenne. La loi applicable à cette procédure principale et à ses effets est, en principe, celle de l’État d’ouverture (on parle de lex concursus). Nous détaillerons ce point dans un prochain article.

Les procédures « secondaires » ou « territoriales » : une compétence limitée

Si l’entreprise, en plus de son COMI dans un pays A, possède un « établissement » dans un autre pays B de l’UE, les tribunaux du pays B peuvent ouvrir une procédure d’insolvabilité dite « secondaire » (si une procédure principale est déjà ouverte) ou « territoriale » (si aucune procédure principale n’est ouverte, sous certaines conditions).

Un « établissement » est défini comme tout lieu d’opérations où le débiteur exerce (ou a exercé récemment) une activité économique de façon non transitoire, avec des moyens humains et des biens (article 2 du Règlement 2015/848). Une simple boîte postale ou la présence isolée d’un bien ne suffit généralement pas. Il faut une structure un minimum organisée et stable (succursale, agence, bureau…).

Contrairement à la procédure principale, la procédure secondaire ou territoriale a une portée strictement limitée : elle ne concerne que les biens du débiteur situés sur le territoire de l’État membre où elle est ouverte. Son objectif principal est de protéger les intérêts locaux (créanciers de l’établissement, salariés locaux…).

La reconnaissance mutuelle automatique

C’est l’un des piliers du système. Une décision ouvrant une procédure d’insolvabilité (principale ou secondaire), prise par le tribunal compétent d’un État membre, doit être reconnue automatiquement dans tous les autres États membres (sauf le Danemark), sans qu’aucune formalité particulière ne soit nécessaire (article 19 du Règlement 2015/848). Plus besoin de passer par une procédure d’exequatur, comme c’est le cas pour les jugements venant de pays hors UE.

Ce principe repose sur la confiance mutuelle entre les systèmes judiciaires des États membres. La conséquence est majeure : les effets juridiques de la procédure ouverte dans un pays (par exemple, la suspension des poursuites contre le débiteur, le dessaisissement de ses biens au profit d’un liquidateur) s’appliquent immédiatement dans toute l’Union.

La nécessaire coordination

Puisqu’il peut y avoir une procédure principale et une ou plusieurs procédures secondaires concernant la même entreprise, le règlement impose une obligation de coopération et de communication entre les différents praticiens de l’insolvabilité (mandataires judiciaires, liquidateurs…) et les tribunaux impliqués. Cette coordination vise à assurer une gestion cohérente et efficace de l’insolvabilité globale de l’entreprise, en respectant la primauté de la procédure principale tout en tenant compte des enjeux locaux des procédures secondaires.


Naviguer dans les méandres des procédures d’insolvabilité européennes requiert une bonne compréhension de ces principes. Savoir où se situe le COMI de votre entreprise ou de vos partenaires, comprendre la différence entre procédure principale et secondaire, et connaître les règles de reconnaissance mutuelle est essentiel pour anticiper les conséquences d’une défaillance transfrontalière. Si votre entreprise a des activités ou des créanciers dans plusieurs pays de l’UE, anticiper les règles applicables est fondamental. Contactez notre cabinet pour évaluer votre situation et bénéficier d’un conseil adapté en matière de faillite transfrontalière.

Sources

  • Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité (refonte).
  • Règlement (CE) n° 1346/2000 du Conseil du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité (pertinence historique et pour procédures ouvertes avant le 26/06/2017).
  • Jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE).

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