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L’enquête de concurrence : comment l’anticiper et y réagir ?

Table des matières

La visite inattendue d’enquêteurs de la concurrence peut être une expérience déstabilisante pour toute entreprise, quelle que soit sa taille. Savoir comment réagir, connaître ses droits et ses obligations, est alors déterminant. Une mauvaise gestion de cette situation peut entraîner des conséquences lourdes, allant de sanctions financières significatives à des poursuites pénales pour obstruction. Cet article a pour but de vous éclairer sur le déroulement de ces enquêtes, les pouvoirs des agents et les réflexes essentiels à adopter pour protéger au mieux les intérêts de votre entreprise.

Qui peut mener une enquête de concurrence ?

Deux principaux types d’agents sont habilités à mener des enquêtes en matière de concurrence sur le territoire français. Il est utile de savoir les distinguer car leurs prérogatives peuvent différer légèrement.

D’une part, il y a les agents des services d’instruction de l’Autorité de la concurrence. Ces agents, habilités par le rapporteur général de l’Autorité, interviennent spécifiquement pour rechercher des pratiques anticoncurrentielles (comme les ententes ou les abus de position dominante visés aux articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce) ou pour contrôler des opérations de concentration économique. Leur champ d’action est donc centré sur les compétences propres de l’Autorité.

D’autre part, interviennent les fonctionnaires de la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF), habilités par le ministre chargé de l’économie. Leur compétence est plus large : ils peuvent enquêter sur l’ensemble des dispositions du livre IV du code de commerce, ce qui inclut non seulement les pratiques anticoncurrentielles mais aussi les règles de transparence tarifaire ou les pratiques restrictives de concurrence. Ils agissent sur l’ensemble du territoire national.

Il est aussi possible, dans le cadre de la coopération européenne, que des agents d’une autorité de concurrence d’un autre État membre assistent les agents de l’Autorité française lors de leurs investigations, notamment lorsque des pratiques transfrontalières sont suspectées.

Enquête simple ou visite domiciliaire (« enquête lourde ») ?

Les interventions des enquêteurs peuvent prendre deux formes principales, dont le degré de contrainte et les implications diffèrent grandement.

L’enquête simple, régie par l’article L. 450-3 du code de commerce, est la forme la plus courante. Elle peut être déclenchée pour recueillir des informations générales sur un secteur d’activité ou pour vérifier des soupçons spécifiques de pratiques anticoncurrentielles. Les pouvoirs des agents incluent alors l’accès aux locaux professionnels pendant les heures ouvrables (généralement 8h-20h), la possibilité de demander la communication de documents (comptables, commerciaux, etc.) et de recueillir des renseignements, soit sur place, soit par convocation dans leurs services. Ce type d’enquête ne permet pas aux agents de fouiller les locaux ou de saisir des documents contre la volonté de l’entreprise.

La visite et saisie, souvent appelée « enquête lourde » ou « dawn raid », est régie par l’article L. 450-4 du code de commerce. Elle est beaucoup plus intrusive et ne peut être menée que sur autorisation préalable et motivée d’un juge : le juge des libertés et de la détention (JLD). Cette autorisation n’est accordée que s’il existe des présomptions sérieuses laissant supposer l’existence de pratiques anticoncurrentielles graves. L’ordonnance du juge délimite précisément l’objet et les lieux de la visite.

Lors d’une visite et saisie, les pouvoirs des enquêteurs sont étendus : ils peuvent pénétrer dans tous les lieux visés par l’ordonnance (y compris le domicile si celui-ci est utilisé à des fins professionnelles), examiner tous documents professionnels, prendre copie ou saisir tous supports d’information (papiers, ordinateurs, serveurs, téléphones…), et apposer des scellés. L’opération se déroule obligatoirement sous le contrôle du JLD qui l’a autorisée (qui peut se déplacer ou déléguer ce contrôle à un autre JLD si la visite a lieu hors de son ressort) et en présence d’un officier de police judiciaire (OPJ). L’entreprise (l’occupant des lieux ou son représentant) doit être présente ou, à défaut, l’OPJ peut requérir deux témoins.

Quels sont les pouvoirs concrets des enquêteurs ?

Qu’il s’agisse d’une enquête simple ou d’une visite et saisie, les agents disposent de pouvoirs définis par la loi, qu’il est important de connaître.

  • Accès aux lieux : Ils peuvent entrer dans tous les locaux, terrains ou moyens de transport à usage professionnel. L’accès au domicile n’est possible que s’il sert aussi de local professionnel et, en cas d’opposition de l’occupant lors d’une enquête simple, sur autorisation du JLD. Lors d’une visite et saisie (Art. L. 450-4), l’autorisation du JLD couvre cet accès si le domicile est visé. L’accès se fait généralement entre 8h et 20h, sauf si les lieux sont ouverts au public ou si une activité y est en cours en dehors de ces heures (production, commercialisation…).
  • Demande de communication de documents et renseignements : Les enquêteurs peuvent exiger la communication de tous documents professionnels : livres comptables, factures, contrats, correspondances commerciales, notes internes, agendas professionnels, etc. Depuis plusieurs années, ce pouvoir s’étend explicitement aux supports numériques : accès aux logiciels, aux données stockées sur les serveurs, ordinateurs, téléphones, clés USB… Ils peuvent en obtenir ou en prendre copie. Ils peuvent également demander l’accès aux moyens de déchiffrement si les informations sont cryptées. Des pouvoirs spécifiques existent aussi, sous contrôle, pour accéder à certaines données de connexion (« fadettes »), bien que leur mise en œuvre puisse soulever des questions juridiques complexes.
  • Auditions : Les agents peuvent recueillir des renseignements et justifications sur convocation ou sur place. Toute personne présente dans l’entreprise peut potentiellement être entendue si elle est susceptible de fournir des informations utiles à l’enquête.
  • Saisies (uniquement lors d’une visite et saisie – Art. L. 450-4) : Les enquêteurs peuvent saisir tous les documents et supports d’information (y compris numériques) qui entrent dans le champ de l’autorisation du juge. Ils peuvent également apposer des scellés sur des locaux, des armoires ou des documents pour garantir leur intégrité pendant la durée de la visite.

Quels sont vos droits et obligations pendant une enquête ?

Connaître et exercer ses droits est fondamental lorsqu’on est confronté à une enquête de concurrence, tout en respectant ses obligations légales.

  • L’obligation de coopérer… et ses limites : L’entreprise a une obligation générale de coopérer et de ne pas entraver le déroulement de l’enquête. Cependant, cette obligation trouve une limite essentielle dans le droit de ne pas s’auto-incriminer. Concrètement, si vous devez fournir les documents existants et répondre aux questions factuelles sur l’organisation de l’entreprise ou le déroulement de faits précis, vous n’êtes pas tenu d’avouer avoir commis une infraction. La nuance est importante : on ne peut vous forcer à produire une confession, mais on peut vous demander de fournir les éléments matériels existants, même s’ils peuvent s’avérer compromettants.
  • Information sur l’objet de l’enquête : Particulièrement lors d’une enquête simple, les enquêteurs doivent vous informer clairement de l’objet de leurs investigations. Vous devez comprendre pourquoi ils sont là et sur quoi porte leur enquête. Cette information est une garantie contre le risque de faire des déclarations dont vous pourriez mal mesurer la portée. En cas de visite et saisie, l’ordonnance du juge, qui vous est obligatoirement remise, précise cet objet.
  • Assistance d’un avocat : Vous avez le droit de vous faire assister par un avocat. Lors d’une visite et saisie, il est fortement recommandé de contacter votre conseil dès l’arrivée des enquêteurs. L’ordonnance du JLD doit d’ailleurs mentionner cette faculté. Même si les enquêteurs ne sont pas tenus d’attendre son arrivée pour commencer leurs opérations, sa présence est essentielle pour vous conseiller, vérifier la régularité des opérations et veiller au respect de vos droits, notamment en matière de confidentialité. Lors d’une audition (sur place ou sur convocation), vous pouvez également demander à être assisté.
  • Protection de la confidentialité : Deux types d’informations sont particulièrement protégés :
    • Le secret des affaires : Les enquêteurs peuvent accéder à des informations sensibles. Lors d’une saisie, il est possible de signaler les documents relevant du secret des affaires. Des procédures existent ensuite pour demander que ces informations ne soient pas divulguées aux autres parties lors de l’instruction devant l’Autorité (nous y reviendrons dans un autre article).
    • La confidentialité des correspondances avocat-client (« legal privilege ») : Les échanges écrits avec votre avocat externe, dans le cadre de l’exercice de vos droits de la défense, sont confidentiels et ne peuvent en principe pas être saisis. Il est important de pouvoir identifier clairement ces documents. Attention, cette protection est interprétée plus strictement pour les juristes internes d’entreprise, notamment au regard du droit européen.
  • Les procès-verbaux : Chaque étape clé de l’enquête (audition, remise de documents, visite et saisie) doit faire l’objet d’un procès-verbal (PV). Ce document relate le déroulement des opérations, liste les documents saisis le cas échéant, et consigne les déclarations recueillies. Il doit être signé par les enquêteurs et par la personne concernée (vous ou votre représentant). Vous avez le droit d’y faire consigner vos observations ou désaccords avant de signer (ou de refuser de signer en motivant ce refus). Une copie du PV doit vous être remise. Ces PV constituent des éléments de preuve importants pour la suite de la procédure, leur contenu et leur régularité sont donc essentiels.

Que risquez-vous en cas d’opposition ?

Tenter de faire obstruction à une enquête de concurrence est une très mauvaise idée aux conséquences potentiellement graves. L’opposition peut prendre plusieurs formes : refuser l’accès aux locaux sans motif légitime, dissimuler ou détruire des documents, fournir des informations fausses ou délibérément incomplètes, refuser de répondre à une convocation, briser des scellés…

Deux types de sanctions sont prévus :

  • Sanctions pénales : Le fait de s’opposer à l’exercice des fonctions des agents de la DGCCRF constitue un délit pénal, prévu à l’article L. 450-8 du code de commerce. Les peines encourues sont lourdes : jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende. Pour les actes d’opposition visant les agents de l’Autorité de la concurrence (ou les agents de la DGCCRF agissant pour le compte de l’Autorité), le régime est un peu différent : si l’opposition est le fait d’une personne physique, les mêmes peines pénales sont encourues (Art. L. 450-9) ; si elle est le fait de la personne morale (l’entreprise elle-même), seule la sanction administrative est applicable (Art. L. 450-10).
  • Sanctions administratives par l’Autorité de la concurrence : Indépendamment des poursuites pénales, l’Autorité peut sanctionner l’obstruction à l’investigation ou à l’instruction menée par ses propres services (ou pour son compte) sur le fondement de l’article L. 464-2 V du code de commerce. Elle peut aussi infliger une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu’à 1% du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé depuis l’exercice précédant celui où l’obstruction a eu lieu. L’Autorité a déjà prononcé des sanctions significatives sur ce fondement, considérant l’obstruction comme une infraction particulièrement grave car elle compromet sa mission de protection de l’ordre public économique.

Il faut noter que la coexistence de sanctions pénales et administratives pour des faits d’obstruction a soulevé des questions au regard du principe selon lequel on ne peut être puni deux fois pour les mêmes faits (non bis in idem). Le législateur est intervenu pour clarifier l’articulation, mais la sévérité des sanctions possibles demeure.


Une enquête de concurrence est une procédure encadrée, mais qui peut s’avérer complexe et intrusive. La préparation en amont (formation des équipes, identification des documents sensibles) et une réaction appropriée le jour J (coopération, affirmation de ses droits, assistance juridique) sont essentielles pour traverser cette étape dans les meilleures conditions possibles.

Si vous êtes confronté à une enquête de concurrence ou si vous souhaitez préparer votre entreprise à cette éventualité, notre cabinet peut vous assister pour définir la stratégie adéquate et protéger vos droits. Contactez-nous pour une analyse de votre situation.

Sources

  • Code de commerce : articles L420-1, L420-2, L450-1 à L450-10, L461-1, L463-4, L464-2 V, R450-1, R450-2.
  • Code pénal : article 226-13 (secret professionnel).
  • Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (devenu articles 101 et 102 TFUE).
  • Jurisprudence pertinente de la Cour de cassation, de la Cour d’appel de Paris et de la Cour de justice de l’Union européenne sur les droits de la défense, le secret professionnel et l’auto-incrimination.

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