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L’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire marque un point de bascule non seulement pour l’entreprise et son dirigeant, mais aussi de manière très directe pour ses créanciers. Fournisseurs, banques, organismes sociaux, fiscaux, salariés… tous se retrouvent confrontés à une situation où le recouvrement de leurs créances devient incertain et soumis à des règles collectives strictes. Parallèlement, la mission principale du liquidateur désigné par le tribunal est de transformer les biens de l’entreprise en argent liquide – c’est la réalisation des actifs – afin de pouvoir désintéresser, au moins partiellement, ces créanciers. Cet article explore les conséquences majeures de la liquidation pour les différentes catégories de créanciers et détaille le processus complexe de réalisation des actifs.
Le sort des créanciers dans la liquidation judiciaire
Dès le jugement ouvrant la procédure, les créanciers voient leurs droits individuels profondément modifiés. La loi instaure une discipline collective visant à assurer une égalité de traitement (relative) et à organiser le paiement selon un ordre précis. On distingue principalement deux grandes catégories de créanciers.
Créanciers antérieurs : déclaration et arrêt des poursuites
Il s’agit des créanciers dont la créance est née avant le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire. Pour eux, les conséquences sont immédiates et contraignantes :
- Arrêt des poursuites individuelles : Le jugement d’ouverture stoppe net toute action en justice individuelle visant à obtenir le paiement d’une créance antérieure (Art. L. 622-21 C. com., applicable sur renvoi de l’Art. L. 641-3 C. com.). De même, les voies d’exécution (saisies, etc.) qui auraient pu être engagées sont interrompues. L’objectif est de geler le passif et d’éviter qu’un créancier ne soit payé au détriment des autres en dehors de la procédure collective.
- Obligation de déclarer la créance : Pour espérer être payés, même partiellement, lors de la répartition des fonds issus de la liquidation, ces créanciers doivent impérativement déclarer leur créance et s’assurer de sa vérification auprès du liquidateur. Ce processus est une étape cruciale qui conditionne la prise en compte de vos droits en tant que créancier antérieur. Cette déclaration doit être faite dans un délai strict, généralement de deux mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au BODACC (Art. L. 622-24 C. com.). Une créance non déclarée dans les délais est, sauf exception (relevé de forclusion), considérée comme éteinte vis-à-vis de la procédure (elle ne pourra pas être payée sur les actifs liquidés). Si la liquidation fait suite à une procédure de sauvegarde ou de redressement, les créanciers ayant déjà déclaré n’ont pas à le faire à nouveau.
- Arrêt du cours des intérêts : Sauf pour les prêts de plus d’un an, le cours des intérêts légaux et conventionnels est arrêté par le jugement d’ouverture (Art. L. 622-28 C. com.).
- Interdiction des paiements : Le débiteur (ou le liquidateur pour son compte) ne peut plus payer aucune créance née avant le jugement d’ouverture, sauf exceptions très limitées (comme le retrait d’un bien gagé).
Le sort de ces créanciers dépendra entièrement du produit de la vente des actifs et de leur rang dans l’ordre des paiements.
Créanciers postérieurs : un traitement différencié
Les créances nées après le jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire connaissent un régime différent. Cependant, toutes ne bénéficient pas d’un traitement de faveur. La loi de 2005 a introduit une distinction basée sur l’utilité de la créance pour la procédure elle-même (critère dit « téléologique »).
L’article L. 641-13 du Code de commerce prévoit que certaines créances postérieures doivent être payées à leur échéance. Si elles ne le sont pas, elles bénéficient d’un privilège de paiement, les plaçant avant la plupart des créanciers antérieurs (mais après certaines créances superprivilégiées comme les salaires ou les frais de justice). Pour bénéficier de ce traitement préférentiel, la créance postérieure doit remplir l’une des conditions suivantes :
- Être née pour les besoins du déroulement de la procédure (exemples : honoraires du liquidateur, frais d’inventaire, frais de justice postérieurs).
- Être née pour les besoins du maintien provisoire de l’activité autorisé par le tribunal (si l’activité est maintenue temporairement, les fournisseurs de cette période sont privilégiés).
- Être la contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant ce maintien d’activité.
- Résulter de l’exécution d’un contrat en cours dont la continuation a été régulièrement exigée par le liquidateur ou l’administrateur.
- Pour un débiteur personne physique, être née des besoins de la vie courante.
Les créances postérieures qui ne remplissent pas ces conditions (par exemple, une indemnité due pour une résiliation de contrat décidée par le liquidateur mais non utile à la procédure) ne bénéficient pas du privilège et sont traitées comme des créances antérieures classiques : elles doivent être déclarées et ne seront payées qu’en fin de liste, si des fonds subsistent.
La déclaration des créances postérieures : une nécessité
Attention : même les créanciers postérieurs dont la créance remplit les conditions pour être payée à échéance ou par privilège doivent se faire connaître. L’article L. 641-13, IV du Code de commerce prévoit qu’ils doivent porter leur créance à la connaissance du liquidateur (ou de l’administrateur s’il y en a un) dans un délai de six mois à compter de la publication du jugement de liquidation (ou un an après un jugement arrêtant un plan de cession). S’ils ne le font pas, ils perdent le bénéfice de leur privilège de paiement.
La réalisation des actifs : transformer les biens en liquidités
La finalité première de la liquidation judiciaire est de vendre les biens du débiteur pour générer des fonds. Cette « réalisation » est menée par le liquidateur, sous le contrôle du juge-commissaire. Elle peut concerner tous types d’actifs : immeubles, matériel, stocks, fonds de commerce, créances clients, etc. Le processus peut toutefois rencontrer des obstacles et obéit à des règles différentes selon la nature des biens.
Les obstacles possibles à la vente
Le liquidateur ne peut pas toujours disposer librement de tous les biens qui semblent appartenir à l’entreprise :
- Biens insaisissables : Certains biens sont protégés par la loi. Pour un entrepreneur individuel, sa résidence principale est insaisissable de droit pour les dettes professionnelles nées après le 7 août 2015 (Art. L. 526-1 C. com.). D’autres biens immobiliers non affectés à l’activité pouvaient aussi être rendus insaisissables par une déclaration notariée avant cette date. Depuis la loi du 14 février 2022, c’est l’ensemble du patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel qui est en principe protégé, sauf exceptions. Le liquidateur ne peut donc pas vendre ces biens, sauf si l’insaisissabilité n’est pas opposable à certains créanciers (antérieurs à la déclaration ou à la loi, ou créanciers personnels).
- Clauses d’inaliénabilité : Un bien peut avoir été donné ou légué au débiteur avec une interdiction de le vendre. Le liquidateur ne peut passer outre cette clause ; il faudrait en obtenir la mainlevée judiciaire, ce qui est complexe et souvent lié à des considérations personnelles échappant aux pouvoirs du liquidateur.
- Biens appartenant à des tiers : L’entreprise peut détenir des biens qui ne lui appartiennent pas (location, dépôt, crédit-bail, vente avec réserve de propriété). Les propriétaires de ces biens peuvent exercer une action en revendication ou en restitution pour les récupérer. Le liquidateur doit être vigilant et ne pas vendre ces biens, sous peine d’engager sa responsabilité. Un inventaire précis est essentiel pour identifier ces situations.
Les modalités de vente des immeubles
La vente des biens immobiliers (bâtiments, terrains) appartenant au débiteur est une étape majeure, encadrée par des règles spécifiques (Art. L. 642-18 C. com.). Le juge-commissaire, après avoir recueilli l’avis des contrôleurs et entendu le débiteur, choisit l’une des trois formes de vente suivantes:
- La vente aux enchères publiques (adjudication judiciaire) : C’est la procédure qui se rapproche le plus de la saisie immobilière de droit commun. Le juge-commissaire fixe la mise à prix et les conditions de vente. La vente a lieu devant le juge de l’exécution. L’adjudication emporte purge des hypothèques et privilèges inscrits sur l’immeuble. Si une procédure de saisie avait déjà été engagée avant la liquidation, le liquidateur peut s’y substituer pour la poursuivre.
- L’adjudication amiable : Si la nature du bien ou les offres reçues le justifient, le juge-commissaire peut opter pour une vente aux enchères organisée par un notaire, selon un cahier des charges précis. Cette forme peut parfois permettre d’obtenir un meilleur prix. Elle emporte également purge des inscriptions.
- La vente de gré à gré : Le juge-commissaire peut autoriser le liquidateur à vendre l’immeuble directement à un acheteur ayant fait une offre, à un prix et selon des conditions déterminés dans son ordonnance. Cette forme est souvent utilisée lorsque des offres sérieuses sont reçues rapidement. Cependant, elle est regardée avec une certaine méfiance car elle est moins transparente que les enchères. Un point important : contrairement aux adjudications, la vente de gré à gré n’emporte pas purge automatique des hypothèques et privilèges. L’acquéreur devra suivre la procédure de purge amiable de droit commun pour se libérer des inscriptions. De plus, ces ventes étant considérées comme faites « par autorité de justice », l’acquéreur ne peut invoquer ni la garantie des vices cachés ni un vice du consentement comme le dol contre le liquidateur.
Dans tous les cas, le débiteur personne physique peut demander au tribunal des délais pour quitter sa résidence principale vendue dans le cadre de la procédure.
La vente des biens mobiliers
Pour les actifs mobiliers (matériel, véhicules, stocks, brevets, fonds de commerce…), le juge-commissaire a également le choix entre la vente aux enchères publiques et la vente de gré à gré (Art. L. 642-19 C. com.). Il statue après avoir entendu le débiteur et recueilli l’avis des contrôleurs.
- Vente aux enchères publiques : Elle est réalisée par un commissaire-priseur judiciaire (ou autre officier public habilité).
- Vente de gré à gré : Le juge-commissaire autorise le liquidateur à vendre directement à un acheteur, à un prix et selon des conditions qu’il fixe. Il peut demander à vérifier le projet de vente avant sa conclusion. Comme pour les immeubles, la Cour de cassation considère ces ventes de gré à gré comme des ventes par autorité de justice, excluant l’annulation pour dol.
La vente d’un fonds de commerce suit ces règles, mais soulève des questions spécifiques liées aux différents éléments qui le composent (corporels, incorporels, droit au bail…) et aux sûretés qui peuvent les grever (nantissement de fonds de commerce, nantissement de matériel…).
La spécificité de la liquidation judiciaire simplifiée
Pour les petites entreprises sans actif immobilier et répondant à certains seuils de chiffre d’affaires et de nombre de salariés (moins de 5 salariés et CA < 750 000 € HT pour la procédure obligatoire), une procédure de liquidation judiciaire simplifiée est prévue (Art. L. 641-2, L. 644-1 s. C. com.).
Son objectif est d’accélérer la procédure (clôture en 6 à 9 mois en principe). Concernant la réalisation des actifs, la principale simplification est que le liquidateur procède à la vente des biens mobiliers (gré à gré ou enchères) dans les quatre mois suivant le jugement d’ouverture, sans nécessiter une autorisation systématique du juge-commissaire pour chaque vente (Art. L. 644-2 C. com.). La vérification des créances est également allégée.
Qui ne peut pas acheter les actifs de l’entreprise ?
Afin d’éviter les conflits d’intérêts ou les rachats à vil prix par des proches, la loi interdit à certaines personnes d’acquérir les biens de l’entreprise en liquidation, directement ou indirectement (Art. L. 642-3 et L. 642-20 C. com.):
- Le débiteur lui-même (personne physique ou morale).
- Les dirigeants de droit ou de fait de la société en liquidation.
- Les parents ou alliés jusqu’au deuxième degré (enfants, parents, frères, sœurs, beaux-parents, beaux-frères/sœurs…) de ces dirigeants ou du débiteur personne physique.
- Les contrôleurs nommés dans la procédure.
Des dérogations très limitées peuvent être accordées par le juge-commissaire sur requête du ministère public, notamment pour des biens de faible valeur nécessaires à la vie courante ou pour des exploitations agricoles.
La répartition des fonds entre les créanciers
Une fois les actifs vendus et les fonds encaissés (provenant aussi du recouvrement de créances ou d’actions en responsabilité), le liquidateur doit les répartir entre les créanciers. Cette répartition ne se fait pas au hasard mais suit un ordre de paiement très strict, défini principalement par l’article L. 643-8 du Code de commerce. Cet ordre vise à privilégier certaines créances jugées prioritaires.
L’ordre strict des paiements
L’ordre des paiements est complexe, mais on peut schématiser les principaux rangs (du plus prioritaire au moins prioritaire) :
- Les créances dites « superprivilégiées » des salariés : Il s’agit des salaires dus pour les 60 derniers jours de travail avant le jugement d’ouverture et certaines indemnités liées à la rupture du contrat, garantis par le superprivilège des salaires (Art. L. 3253-2 C. trav.). Ces sommes sont souvent avancées par l’AGS, qui est ensuite remboursée en priorité absolue sur les premiers fonds disponibles.
- Les frais de justice postérieurs : Les frais engagés après le jugement d’ouverture pour les besoins de la procédure elle-même (frais de greffe, honoraires du liquidateur pour certaines diligences, etc.).
- Le privilège de « new money » de la conciliation : Si l’entreprise avait bénéficié d’une procédure de conciliation avant la liquidation, les créanciers ayant apporté de l’argent frais ou des biens/services dans ce cadre peuvent bénéficier d’un privilège (Art. L. 611-11 C. com.).
- Les créances postérieures privilégiées (Art. L. 641-13) : Celles nées après le jugement pour les besoins de la procédure ou du maintien d’activité, et qui n’ont pas été payées à échéance. Elles viennent après les catégories précédentes.
- Les créances garanties par des sûretés immobilières : Hypothèques, privilège de prêteur de deniers… Elles sont payées sur le prix de vente de l’immeuble concerné, selon leur rang respectif défini par le Code civil.
- Les créances garanties par des sûretés mobilières spéciales : Gage, nantissement de matériel, etc.
- Les autres créances privilégiées antérieures : Privilèges généraux du Trésor public, des organismes sociaux, etc.
- Les créanciers chirographaires : Ceux qui ne bénéficient d’aucune garantie particulière. Ils sont payés en dernier, s’il reste des fonds après paiement de toutes les catégories précédentes. Ils ne reçoivent souvent qu’une part minime, voire nulle, de leur créance.
Cet ordre est impératif et le liquidateur doit le respecter scrupuleusement lors de l’établissement du projet de répartition.
Le rang particulier des créanciers munis de sûretés
Les créanciers bénéficiant de sûretés (garanties) sur des biens spécifiques du débiteur ont une situation particulière :
- Sûretés immobilières (hypothèques…) : Ils sont payés sur le prix de vente de l’immeuble grevé, après les superprivilèges et frais de justice, mais avant les créanciers postérieurs et chirographaires. Leur rang entre eux dépend des règles classiques (date d’inscription).
- Sûretés mobilières spéciales (gages, nantissements…) : Leur rang varie selon la nature de la sûreté. Le gage confère souvent un droit de rétention (réel ou fictif) très puissant.
- Droit de rétention : Qu’il soit issu d’un gage ou d’une autre situation (ex : garagiste), le droit de rétention permet au créancier de conserver un bien jusqu’à paiement. Pour récupérer le bien, le liquidateur peut être autorisé à payer le créancier rétenteur par priorité (Art. L. 641-3 C. com.). Si le bien est vendu, le droit de rétention se reporte sur le prix, donnant au rétenteur une priorité de paiement sur ce prix, même avant les créanciers superprivilégiés pour ce bien spécifique (Art. L. 642-20-1 C. com.).
- Attribution judiciaire du gage : Le créancier gagiste peut demander au juge-commissaire de se faire attribuer le bien gagé en paiement de sa créance (Art. L. 642-20-1 C. com.), échappant ainsi à la vente et à l’ordre des paiements.
Le rôle du liquidateur dans la répartition
C’est le liquidateur qui, après vérification et admission des créances déclarées, établit un projet de répartition des fonds disponibles. Ce projet est soumis aux créanciers qui peuvent le contester devant le juge-commissaire. Une fois le projet définitif, le liquidateur procède aux paiements selon l’ordre établi. Dans la liquidation simplifiée, cette procédure est allégée. Si une erreur est commise dans l’ordre de paiement, le liquidateur peut demander la restitution des sommes indûment versées.
La réalisation des actifs et la répartition des fonds sont des étapes techniques qui conditionnent l’issue de la procédure pour les créanciers, avant d’envisager la fin de la liquidation judiciaire et ses conséquences ultimes. Pour une vision d’ensemble, n’hésitez pas à consulter notre guide général.
Un conseil adapté à votre situation pourrait vous faire économiser temps et ressources. Contactez-nous pour une assistance juridique experte afin de défendre vos droits de créancier en liquidation judiciaire, vous aider à déclarer et vérifier vos créances, et comprendre les mécanismes complexes de réalisation des actifs et de répartition des fonds.
Sources
- Code de commerce : articles L. 526-1, L. 611-11, L. 622-7, L. 622-21, L. 622-24 à L. 622-28, L. 622-30, L. 641-3, L. 641-13, L. 642-3, L. 642-18 à L. 642-20-1, L. 642-22, L. 643-1, L. 643-2, L. 643-8, L. 644-1, L. 644-2, L. 644-4, R. 622-4, R. 641-21, R. 641-32, R. 642-22 à R. 642-41, R. 643-1, R. 643-3, R. 644-2, R. 644-3.
- Code civil : articles 1844-5, 2276, 2286, 2347, 2476 s.
- Code du travail : articles L. 3253-2, L. 3253-4, L. 3253-8, L. 7313-8.
- Code des procédures civiles d’exécution : articles L. 112-2, R. 112-2.
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